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Article de presse: Batista, la corruption industrialisée

Publié le 22/02/2012

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1er janvier 1959 - La fuite du dictateur Batista tourne la page sur vingt-cinq ans d'histoire cubaine. Cet ancien sergent sténographe, trapu et l'oeil vif, plein de force et d'intelligence, était entré sur la scène politique par son coup d'Etat de 1933, qui avait fait d'un obscur rouage de l'état-major le maître de l'armée. Chassé de l'île par les élections libres qu'il avait lui-même organisées en 1944, il y revient par un second coup d'Etat en 1952. Chaque fois, Batista a su profiter au maximum de la carence du pouvoir civil et du mécontentement de l'armée. Mais là s'arrête le parallèle entre ses deux tentatives. Si la violence ne fut jamais exclue sous son règne, la période 1933-1944 sauvegarde les apparences de la démocratie, alors que depuis 1952 le dictateur a imposé à son pays un régime de terreur qui devait finalement dresser contre lui la majorité de la population et l'acculer au geste que son orgueil démesuré lui interdisait : quitter le pouvoir avant l'expiration de son mandat présidentiel. Il avait cru trouver un moyen de sauver la face dans les élections de novembre dernier, où il avait réussi sans difficulté à faire élire à sa place le successeur qu'il s'était lui-même choisi, et auquel il entendait léguer un héritage lourd de meurtres et de vols. Car le " général " Batista sentait bien que la situation lui échappait, et il n'aspirait plus qu'à se réfugier dans un pays où il pourrait enfin jouir de la fortune accumulée par le pillage du Trésor public. Cet interrègne lui a été fatal : la perspective de la passation des pouvoirs, qui devait intervenir le 24 février prochain, a démoralisé une armée de toute façon peu disposée à se battre, et du même coup encouragé les forces insurrectionnelles de Fidel Castro. En quittant La Havane, Batista emporte ses rêves déçus, dissimulés aujourd'hui sous les images atroces de crimes et d'assassinats qui ne pouvaient pas lui permettre de réaliser ses aspirations d'autrefois. L'ancien sergent a semé la terreur et la ruine dans son pays, pour finalement découvrir que la dictature n'a pas guéri les maux dont souffrait une démocratie trop fragile. Mais la terreur et la corruption, dont il avait fait ses deux principaux moyens de gouvernement, ont suscité contre lui une opposition résolue dont il faut souhaiter qu'elle parvienne à instaurer maintenant à Cuba un authentique régime démocratique. Deux ans après son premier coup d'Etat, en 1935, Batista avait confié au général Pedraza le soin de réprimer un vaste mouvement de grève. La consigne avait été exécutée avec une extraordinaire brutalité, qui n'avait pourtant pas empêché le général de tomber quelques années plus tard en disgrâce. Il est significatif que tout récemment Batista ait fait sortir Pedraza de l'ombre pour lui donner le commandement des trois provinces à l'est de l'île. Mais contre les vieillards galonnés et leurs auxiliaires de tous rangs et de tous âges se dressait une jeunesse qui prenait la relève de ses aînés massacrés quelque vingt ans plus tôt. Cette deuxième vague a réussi là où la génération précédente avait échoué. On a décrit les crimes de ce dictateur, aujourd'hui abandonné par ceux qui, à l'intérieur et à l'extérieur, l'ont servi pour mieux bénéficier de ses largesses. S'il n'a pas introduit la corruption à Cuba, il l'a amplifiée et en quelque sorte industrialisée. S'il n'a pas inventé la terreur policière, il l'a portée à un degré que n'avait pas atteint le dictateur Machado. Ses mercenaires, pourvus d'un équipement auquel les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont abondamment contribué, n'ont pas eu raison d'un mouvement populaire où se retrouvaient fraternellement intellectuels, ouvriers et paysans. CLAUDE JULIEN Le Monde du 3 janvier 1959

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