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Article de presse: Bentalha, ville martyre, ville fantôme d'Algérie

Publié le 17/01/2022

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23 septembre 1997 - Bentalha est une ville fantôme. Un mois après le massacre de plusieurs centaines de ses habitants par des groupes armés, elle hésite entre un silence définitif et un retour à la vie. Avec ses rues au revêtement incertain bordées de moignons d'arbres, ses groupes d'hommes accroupis qui attendent on ne sait quoi, ses maisons jamais vraiment terminées, ses terrains vagues où des moutons cherchent leur pitance parmi les détritus, la petite ville ressemble à ses voisines de la Mitidja. Non, rien de particulier ne distingue Bentalha, située à 40 km au sud d'Alger, de Sidi Moussa, de Raïs... Elles ont grandi ensemble. Depuis cet été, un lien supplémentaire les unit : les tueries collectives qui les ont ensanglantées. Une partie de Bentalha veut oublier le massacre. " Chez Ali " , un café de fortune, on a placardé une grande affiche du Front des forces socialistes (FFS). Peut-être à cause de la proximité des élections locales, le jeudi 23 octobre. " Chez Ali " , on vend les mêmes pâtisseries que dans le centre d'Alger. A deux pas du café, un vendeur de rue propose des sachets d'un pop-corn bariolé, du tabac à priser, des portefeuilles en plastique à l'effigie de Hasni, " le prince du raï" . Un peu plus loin, c'est un agriculteur qui a fait le voyage dans une Peugeot d'un autre âge pour venir écouler sa production de carottes et de tomates. Mais à quelques mètres existe l'autre Bentalha, celle qui, dans la nuit du 22 au 23 septembre, a connu le fer et le feu. Là, un silence presque religieux domine aujourd'hui. Les ruelles sont désertes et la plupart des habitations, à l'abandon. Des blocs de béton renforcent les portes des maisons encore habitées. Leurs habitants, sauf exception, rasent les murs. Des projecteurs flambant neufs ont été installés sur les toits. Sur près d'une centaine de mètres de long, entre le village et la forêt voisine, tous les arbres, tous les arbustes ont été sacrifiés pour dégager la vue et ainsi pouvoir donner l'alerte en cas d'attaque. Dérisoire protection : les groupes armés opèrent de nuit. L'horreur hante toujours ce quartier de Bentalha. Dans une vaste maison à étages, où près d'une quarantaine de personnes ont été égorgées, le récit du massacre se lit à livre ouvert, comme s'il avait eu lieu la nuit précédente. Il suffit de suivre les traces de sang. Le sol, l'escalier en est maculé. Leur couleur contraste avec les plafonds noircis par la fumée. A demi-calcinés, des matelas reposent par terre. Des vêtements, des chaussures dépareillées, certaines appartenant à des enfants, traînent encore dans plusieurs pièces. Écoles fermées faure d'élèves Comment expliquer de telles tueries ? Pourquoi ici et pas ailleurs, dans les autres quartiers, les communes voisines ? Les rescapés de Bentalha se taisent. Non loin de là, à Raïs, où plus de trois cents personnes ont été tuées fin août dans des conditions voisines, les langues, au contraire, commencent à se délier. Oui, dans cette région qui avait voté pour le FIS en 1990 et 1991, les Groupes islamiques armés (GIA) ont, un temps, utilisé la ville comme base arrière après leurs opérations dans la capitale algérienne. A Raïs, les GIA levaient aussi une sorte d'impôt islamique. Jusqu'à ce que des habitants refusent d'être pressurés plus longtemps. Ils se sont tournés vers les autorités de l'Etat et leur ont demandé des armes. Elles leur ont été refusées. Les GIA avaient les mains libres pour se venger. Dans les écoles de Raïs, chaque année, les classes sont traditionnellement surchargées. Celles qui comptent quarante élèves ne sont pas rares. La dernière rentrée scolaire a fait exception. Dans la classe d'Ahmed, le professeur principal d'une école primaire, il n'y avait fin septembre que vingt-sept élèves inscrits. Les autres enfants ont été tués lors du massacre ou ont quitté la région avec leurs parents pour aller trouver refuge plus près de la capitale. Dans la préfecture de Médéa, elle aussi sérieusement touchée par la violence, trois cent cinquante écoles auraient été fermées faute d'élèves. Pour la première fois sans doute de son histoire, l'Algérie a des enseignants en surnombre dans certaines régions. JEAN-PIERRE TUQUOI Le Monde du 22 octobre 1997

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