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Article de presse: Bousquet, le Fouché de Laval

Publié le 22/02/2012

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Mémoire 1993 - Souvent présenté comme un technocrate froid et cassant, uniquement obsédé du bon fonctionnement de l'Etat, René Bousquet dissimulait mal un vrai politique. Et même un surdoué promis au meilleur avenir avant la Libération. Ce fils de notaire, né à Montauban le 11 mai 1909, semblait en effet paré de tous les dons : la rigueur, la puissance de travail et le courage. Sa vie publique commence en fanfare. Il n'a que vingt et un ans lorsque des inondations terribles submergent le Sud-Ouest en mars 1930. Chef de cabinet du préfet de Tarn-et-Garonne, il défie la crue d'une rivière et sauve de la noyade plusieurs personnes. Le voilà, du jour au lendemain, glorifié par la presse et promu au rang mythique de héros national. Le président Gaston Doumergue tient à lui remettre personnellement la Légion d'honneur et la Médaille d'or des belles actions. Une carrière d'excellence s'ouvre devant lui. La IIIe République l'adopte comme un fils prodige. Les frères Sarraut - Maurice, le sénateur et directeur de la Dépêche de Toulouse, et Albert, le député et ministre - le parrainent. Et il monte bientôt à Paris pour collectionner les fonctions de chef de cabinet. Dès 1931-1932, il découvre les arcanes du ministère de l'intérieur. Le ministre Pierre Cathala, proche de Pierre Laval, s'attache cet élément brillant et sûr de lui. Ainsi René Bousquet s'intègre-t-il au groupe des fidèles de Laval au point de se voir confier, lors des élections sénatoriales de novembre 1935, la mission de représenter le président du conseil aux banquets et autres journées forestières alors en usage... Sa fidélité lui vaut d'être nommé plus jeune sous-préfet de première classe à vingt-six ans. Ses options radical-socialistes le distingueront plus tard aux yeux de Roger Salengro, ministre de l'intérieur du Front populaire, pour devenir chef du fichier central à la direction générale de la Sûreté nationale en un temps où les ligues d'extrême droite et les complots terroristes de la Cagoule menacent la République. A la veille de la seconde guerre mondiale, il n'a certes pas failli. Mais l'Occupation aura raison de ses sentiments républicains, et la présence des troupes allemandes en France n'entamera jamais l'impeccable cours de sa carrière... Il connaît et subit la " drôle de guerre " à son poste de secrétaire général de la préfecture de la Marne. Un an plus tard, en septembre 1940, il est promu préfet, à nouveau le plus jeune de sa catégorie, dans un corps largement épuré. La " Révolution nationale " de Philippe Pétain est en marche avec son cortège de compromissions dramatiques. Sans doute René Bousquet fait-il front à sa manière, au début : ses amitiés le conduisent à maintenir les élus francs-maçons en place, comme le maire de Reims, Paul Marchandeau, alors que les nazis les pourchassent. A deux reprises, il décline une promotion politique exceptionnelle : l'amiral Darlan, chef du gouvernement, lui propose début 1942 un maroquin aux ministères du ravitaillement et de l'agriculture. Il a seulement trente-trois ans. Mais son refus devient acceptation quand Pierre Laval, revenu au pouvoir en avril 1942, lui demande d'occuper le poste de secrétaire général de l'intérieur pour la police. Derrière ce titre, une seule réalité : Bousquet devient le " premier flic " de France. Il a rang de ministre et dispose d'une délégation générale du chef de gouvernement. On le surnomme alors le " Fouché de Laval ". De ce pouvoir immense, il croit pouvoir jouer en manoeuvrant au plus près comme son maître. Il entreprend de négocier avec les plus hauts responsables nazis : Oberg, Heydrich, Himmler. Son obsession consiste, écrit-il, " à assurer la sécurité de l'armée d'occupation et le maintien de l'ordre intérieur ", et à restituer à la police française une part de sa souveraineté. Mais, en obtenant gain de cause, il s'oblige à donner des gages permanents de bonne volonté à l'occupant... Il signe, en juin 1942, des accords qui conduisent à une collaboration aux allures de fusion. Le voilà entièrement mobilisé par la lutte contre " les ennemis communs ", les communistes et les gaullistes. Ce combat le conduit aussi à se " débarrasser " des juifs étrangers et apatrides. Sous ses ordres, la police française s'engage à transmettre toutes ses informations utiles aux Allemands. Il couvre alors une chasse impitoyable qui se conclut par des prises d'otages, des exécutions sommaires et des déportations. Devant la Haute Cour de justice En septembre 1942, la police française livre ainsi soixante-dix personnes aux Allemands. Des dizaines de " radios " transmettant les messages de la Résistance à Londres sont aussi arrêtés et torturés. L'année suivante, policiers français et allemands cernent un commando communiste à Villeurbanne : cent cinquante " terroristes " seront déportés. Le 31 mars 1943, René Bousquet pénètre en personne dans la cellule où Edouard Daladier, ancien président du conseil, est retenu prisonnier, pour l'avertir de sa déportation vers l'Allemagne. Après-guerre, le secrétaire général de la police aura bien du mal à se souvenir de ces " incidents dramatiques ". " J'ai violemment protesté auprès d'Oberg ", dit-il seulement pour sa défense durant son procès. Des protestations douteuses. Le 2 juillet 1942, les Allemands consignent en effet dans un compte-rendu de réunion que Bousquet est prêt à faire arrêter sur l'ensemble du territoire " le nombre de juifs ressortissants étrangers que nous voudrons ". On sait que la police française, mettant à contribution son fichier de la préfecture de police de Paris, arrêtera les 16 et 17 juillet plus de douze mille juifs, dont un tiers de Français. Rien n'arrêtera cette politique, dont René Bousquet explique à l'occasion qu'il en limite les " dégâts ". Aux préfets régionaux, il recommande la plus grande fermeté dans les mesures antijuives : " Vous n'hésiterez pas à briser toutes les résistances que vous pourrez rencontrer dans les populations et à signaler les fonctionnaires dont les indiscrétions, la passivité ou la mauvaise volonté auraient compliqué votre tâche. " Ainsi Bousquet est-il bien ce " collaborateur précieux " perçu par Himmler, d'autant plus efficace qu'il est très organisé, méthodique, au fait des rouages de l'administration. L'intensité des luttes de pouvoir à Vichy est cependant telle que la chute de Laval scelle la sienne à la fin de l'année 1943. Son baroud d'honneur consiste à ordonner la destruction de ses archives après s'être offert le luxe d'adresser à son homologue allemand Knochen une note où il écrit : " Pour les services de police et l'administration française, le fait d'être israélite ne constitue une présomption de responsabilité ni en matière politique, ni en matière de droit commun. " Le rappel est certes opportun, mais si tardif... Sous son autorité, soixante mille juifs ont été arrêtés et remis aux Allemands. Ainsi ce haut fonctionnaire qui a toujours démenti être antisémite aura-t-il pris l'écrasante responsabilité d'envoyer vers les camps de concentration plus de juifs que son successeur, le milicien Joseph Darnand, beaucoup plus vindicatif. Une seconde carrière Une fois écarté du pouvoir, René Bousquet continuera d'être tenu en suspicion par les ultras de la collaboration. Quelques jours après le débarquement des troupes alliées, le 6 juin 1944, la Gestapo procède à son arrestation ainsi qu'à celle de sa famille. Une arrestation en gants blancs : lui et les siens sont conduits dans une voiture, mise à leur disposition par Karl Oberg, en Bavière. Cette mise en résidence surveillée permettra à René Bousquet de revenir après-guerre en France en se parant du titre de déporté. Mais cette protection est de courte durée. Son action à la tête du ministère de l'intérieur lui est aussitôt reprochée et il reste emprisonné de mai 1945 à 1947. Son procès n'a lieu qu'en juin 1949. Il sera parmi les derniers à être jugés par la Haute Cour de justice. Particulièrement maître de lui devant quinze jurés parlementaires, dont son ami Jean Baylet, député radical et directeur de la Dépêche du Midi, il expose sa vision des choses plus qu'il ne répond à des accusations. Les archives n'avaient pas alors livré beaucoup de secrets. Lorsque le procureur général lance : " Vous étiez le chef suprême de la police française ", René Bousquet peut avoir l'aplomb de l'interrompre : " Je vous mets au défi d'apporter la moindre preuve de ce que vous avancez "... L'arrestation de résistants ? Il oppose maintes circulaires qui les auraient protégés dans toute la mesure du possible. La déportation des juifs ? " Pour moi, sous l'Occupation, dit-il, il n'y avait pas et il ne pouvait y avoir de problème israélite. Je ne suis pas et je n'étais pas antisémite, je le dis. " Au troisième jour, il est condamné à cinq ans de dégradation nationale, dont il est aussitôt relevé pour services rendus à la Résistance. LAURENT GREILSAMER Le Monde du 9 juin 1993
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« l'avertir de sa déportation vers l'Allemagne.

Après-guerre, le secrétaire général de la police aura bien du mal à se souvenir de ces" incidents dramatiques ".

" J'ai violemment protesté auprès d'Oberg ", dit-il seulement pour sa défense durant son procès. Des protestations douteuses.

Le 2 juillet 1942, les Allemands consignent en effet dans un compte-rendu de réunion queBousquet est prêt à faire arrêter sur l'ensemble du territoire " le nombre de juifs ressortissants étrangers que nous voudrons ".

Onsait que la police française, mettant à contribution son fichier de la préfecture de police de Paris, arrêtera les 16 et 17 juillet plusde douze mille juifs, dont un tiers de Français. Rien n'arrêtera cette politique, dont René Bousquet explique à l'occasion qu'il en limite les " dégâts ".

Aux préfets régionaux, ilrecommande la plus grande fermeté dans les mesures antijuives : " Vous n'hésiterez pas à briser toutes les résistances que vouspourrez rencontrer dans les populations et à signaler les fonctionnaires dont les indiscrétions, la passivité ou la mauvaise volontéauraient compliqué votre tâche.

" Ainsi Bousquet est-il bien ce " collaborateur précieux " perçu par Himmler, d'autant plusefficace qu'il est très organisé, méthodique, au fait des rouages de l'administration. L'intensité des luttes de pouvoir à Vichy est cependant telle que la chute de Laval scelle la sienne à la fin de l'année 1943.

Sonbaroud d'honneur consiste à ordonner la destruction de ses archives après s'être offert le luxe d'adresser à son homologueallemand Knochen une note où il écrit : " Pour les services de police et l'administration française, le fait d'être israélite ne constitueune présomption de responsabilité ni en matière politique, ni en matière de droit commun.

" Le rappel est certes opportun, mais sitardif...

Sous son autorité, soixante mille juifs ont été arrêtés et remis aux Allemands.

Ainsi ce haut fonctionnaire qui a toujoursdémenti être antisémite aura-t-il pris l'écrasante responsabilité d'envoyer vers les camps de concentration plus de juifs que sonsuccesseur, le milicien Joseph Darnand, beaucoup plus vindicatif. Une seconde carrière Une fois écarté du pouvoir, René Bousquet continuera d'être tenu en suspicion par les ultras de la collaboration.

Quelques joursaprès le débarquement des troupes alliées, le 6 juin 1944, la Gestapo procède à son arrestation ainsi qu'à celle de sa famille.

Unearrestation en gants blancs : lui et les siens sont conduits dans une voiture, mise à leur disposition par Karl Oberg, en Bavière. Cette mise en résidence surveillée permettra à René Bousquet de revenir après-guerre en France en se parant du titre dedéporté.

Mais cette protection est de courte durée.

Son action à la tête du ministère de l'intérieur lui est aussitôt reprochée et ilreste emprisonné de mai 1945 à 1947.

Son procès n'a lieu qu'en juin 1949.

Il sera parmi les derniers à être jugés par la HauteCour de justice.

Particulièrement maître de lui devant quinze jurés parlementaires, dont son ami Jean Baylet, député radical etdirecteur de la Dépêche du Midi, il expose sa vision des choses plus qu'il ne répond à des accusations. Les archives n'avaient pas alors livré beaucoup de secrets. Lorsque le procureur général lance : " Vous étiez le chef suprême de la police française ", René Bousquet peut avoir l'aplombde l'interrompre : " Je vous mets au défi d'apporter la moindre preuve de ce que vous avancez "... L'arrestation de résistants ? Il oppose maintes circulaires qui les auraient protégés dans toute la mesure du possible.

Ladéportation des juifs ? " Pour moi, sous l'Occupation, dit-il, il n'y avait pas et il ne pouvait y avoir de problème israélite.

Je ne suispas et je n'étais pas antisémite, je le dis.

" Au troisième jour, il est condamné à cinq ans de dégradation nationale, dont il estaussitôt relevé pour services rendus à la Résistance. LAURENT GREILSAMERLe Monde du 9 juin 1993. »

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