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Article de presse: Des serments et des ordres

Publié le 17/01/2022

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27 novembre 1942 - 23 juin 1940-Dans l'article 8 de la convention d'armistice franco-allemande, le gouvernement allemand " déclare solennellement et formellement qu'il n'a pas l'intention de formuler de revendications à l'égard de la flotte française à la conclusion de la paix. Exception faite de la partie à déterminer de la flotte de guerre française destinée à assurer la sauvegarde des intérêts français dans l'empire colonial, tous les navires de guerre se trouvant en dehors des eaux territoriales françaises devront être rappelés en France ". Les navires seront rassemblés dans les ports. Ils seront désarmés, et leurs équipages démobilisés. 24 Juin 1940.-Par télégramme secret, l'amiral Darlan, ministre de la marine et comandant en chef des forces navales, prescrit, sous son nom de code Xavier 377, à ses principaux subordonnés, juste avant l'entrée en vigueur de l'armistice : " Précautions secrètes d'autosabordage doivent être prises pour que ennemi ou étranger s'emparant d'un navire par force ne puisse s'en servir " (§ 2). Le paragraphe 3 précise que, si la commission d'armistice allemande ne respectait pas les engagements pris, " navires de guerre seraient sans nouvel ordre soit conduits aux Etats-Unis (alors neutres), soit sabordés s'il ne pouvait être fait autrement pour être soustraits à l'ennemi. En aucun cas, ils ne pourraient être laissés intacts à l'ennemi ". Cet ordre ne sera jamais rapporté. 3 juillet 1940.-Sur ordre de Churchill, la marine britannique s'empare des navires de guerre français encore dans les ports anglais. A Alexandrie, un accord conclu entre les amiraux Godfroy et Cunningham " neutralise " la flotte française dite Force X. Mais, à Mers-el-Kébir, l'amiral Gensoul repousse l'ultimatum. La flotte qu'il commande est écrasée dans la rade : mille deux cent quatre-vingt-dix-sept tués et disparus, trois cent cinquante et un blessés. Hitler suspend l'article 8 et laisse latitude aux navires français de franchir le détroit de Gibraltar et au gouvernement de Vichy de créer une " flotte de haute mer ". Darlan en confiera le commandement à l'amiral de Laborde. 8 novembre.-Débarquement anglo-américain en Afrique du Nord. A Casablanca, il se heurte notamment à une vive réaction des navires de guerre français. Darlan, à Alger, les 9 et 10, négocie avec les Américains " au nom du maréchal Pétain ". 11 novembre.-Les forces allemandes entrent en zone non occupée. Le gouvernement interdit toute résistance. Pétain, tout en refusant de " couvrir " Darlan, fait diffuser un message de protestation contre l'invasion allemande. A Toulon, la flotte est prête à appareiller. Darlan a câblé par deux fois pour " inviter " l'amiral à appareiller, la première fois vers l'A.O.F., la seconde vers l'Afrique du Nord. Laborde répond par une insulte. L'amiral Auphan, secrétaire d'Etat à la marine, multiplie les tentatives pour libérer la flotte, tout en conservant un loyalisme total vis-à-vis de Pétain. A 23 heures, le lieutenant de vaisseau allemand von Ruault-Frappart se présente à l'amiral Marquis, préfet maritime de Toulon. Hitler demande à l'amiral sa parole d'honneur de n'entreprendre aucune action contre l'Axe et de défendre Toulon contre " Les Anglo-Saxons et des Français ennemis du gouvernement ". Le préfet maritime donne sa parole. 12 novembre.-Une même démarche auprès de Laborde pour la flotte de haute mer a le même résultat. Laborde fait prêter serment à tous ses subordonnés directs de lui obéir sans restriction. Le capitaine de vaisseau Pothuau et, à bord du Verdun, le capitaine de corvette Du Garreau refusent et doivent quitter leur commandement. Laborde fait rallumer les feux... pour aller attaquer au large de Barcelone une escadre anglaise et un convoi soupçonnés de vouloir attaquer Toulon. La nouvelle est démentie. La Luftwaffe occupe des aérodromes proches de Toulon. Cependant, de l'avis même de l'amiral de Laborde (Haute Cour de justice, 27 mars 1947), il sera toujours possible d'appareiller le 13 novembre. Selon beaucoup d'experts, une " sortie " restera possible longtemps encore. 17 novembre .-L'amiral Auphan, comprenant la vanité de ses efforts, donne sa démission de secrétaire d'Etat à la marine. Il est remplacé par l'amiral Abrial. 18 novembre.-Vingt bataillons français, arrivés le 14 novembre dans le " camp retranché ". en sont retirés sur l'ordre des Allemands. La marine assurera seule la sûreté du périmètre. Ces forces ne seront affectées à la surveillance que du côté de la mer. 27 novembre.-A 4 h 30, tandis que Laval, chef du gouvernement, reçoit à Châteldon, notification de la décision de Hitler, deux groupements blindés allemands s'emparent par surprise du fort Lamalgue, où se trouve l'amiral Marquis. L'amiral Dornon, major général, a le temps de donner l'alerte, tandis que les blindés allemands poussent de part et d'autre de la rade. L'amiral de Laborde donne l'ordre de sabordage. Celui-ci avait été minutieusement préparé. Les Allemands, retardés par quelques tirs sporadiques, assistent, impuissants, à la fin de la flotte, qu'ils bombardent pour empêcher son éventuelle sortie. A 8 h 30, l'amiral de Laborde, à bord du Strasbourg, qui a coulé droit au fond, refuse de quitter son bord jusqu'à ce qu'un officier allemand vienne lui expliquer pourquoi Hitler a manqué à sa parole, alors que lui, de Laborde, a tenu la sienne. L'amiral et son état-major finiront par quitter le navire à 20 h 15. Sous la menace des armes. Le commandant en chef de la flotte de haute mer est placé pour quelques jours en résidence surveillée à Aix. Dans le texte de la lettre de Hitler à Pétain, il lit : " Il est établi que l'amiral a, une fois de plus, trompé l'Allemagne et l'Italie en donnant l'assurance que la marine française lutterait à Toulon contre toute attaque ennemie. " Furieux, il réclame un démenti. Soixante et une unités (225 000 tonnes au total) avaient été sabordées, dont un cuirassé, le vieux Provence, les deux croiseurs de ligne Strasbourg et Dunkerque, quatre croiseurs de première classe, trois croiseurs de deuxième classe, un transport d'avions, vingt-cinq contre-torpilleurs et vingt-cinq sous-marins. Trente-neuf petits navires (25 000 tonnes au total) qui n'appartenaient pas aux forces de haute mer ont survécu au sabordage. Cinq sous-marins ont réussi, dans des conditions acrobatiques, à fuir la rade. L'un d'eux, la Vénus, s'est sabordé au large un autre, l'Iris, faute de combustible, gagnera Barcelone, où il sera interné. Le Glorieux courra le même risque à Valence, mais réussira à atteindre Oran. Le Casablanca et le Marsouin arriveront le 1er décembre à Alger. JEAN PLANCHAIS Le Monde du 18 septembre 1977

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