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Article de presse: Emeutes dans le Constantinois

Publié le 22/02/2012

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20 août 1955 - L'alerte de samedi a été chaude. Philippeville a traversé sur le coup de 11 heures les moments les plus durs de son existence. Si la troupe et les unités de gendarmerie et de CRS n'avaient pas été mises la veille, à tout hasard, en état d'alerte, l'émeute aurait dégénéré en massacre. Mais la réaction a été rapide. En moins d'une heure les foyers insurrectionnels étaient délimités ou circonscrits. La troupe opérait alors un ratissage impitoyable dans les quartiers périphériques et si les chiffres officiels ne situent qu'aux environs de deux cents le nombre de musulmans abattus à Philippeville même-soit le pourcentage le plus fort de tout le Constantinois,-on admet, d'une façon générale, que les communiqués ont voulu minimiser l'importance de la répression et qu'il faut doubler, sinon tripler ces chiffres. Un communiqué laconique l'a annoncé hier. Considérant que dix mechtas ont servi samedi de " foyers de rébellion ", les commandos, hier lundi, ont été chargés de les détruire. Il s'agit de hameaux situés sur les trois communes de Condé-Smendou, Oued-Zenati et Hammam-Meskoutine. Le procédé est simple : les femmes et les enfants sont autorisés à sortir des gourbis, puis la mechta est anéantie... Imperturbable, cependant, le commandement fournit des chiffres incontrôlables sur le décompte des morts. Il s'élevait officiellement dimanche soir à cent dix du côté français, ce qui est assurément exact, et à cinq cent vingt et un du côté rebelle. Selon les estimations faites par des militaires de sang-froid, on pourra dès ce soir, disent-ils, ajouter un zéro à ce chiffre. La journée de lundi dans l'ensemble a été calme du côté français. Quelques rares escarmouches ont fait cependant des morts, particulièrement vers la Kabylie, et l'on signalait dans la soirée, entre autres, l'attaque d'un convoi près d'El Millia, où l'administrateur était grièvement blessé à la tête. A Guelma, attaqué la veille, la situation était pleinement rétablie après extermination d'une centaine de rebelles. A quelques kilomètres de distance, on distingue parfaitement les villages qui ont subi l'attaque des fellagas et ceux qui sont restés paisibles. Dans les premiers, il n'y a plus un Arabe. Pris de panique à l'idée d'être tenus pour responsables (et de fait rares sont ceux qui n'ont pas suivi le mouvement dès qu'ils ont vu paraître les hors-la-loi), les Arabes ont pris le maquis, laissant le terrain à la troupe et aux colons. Ceux-ci, encore bouleversés par les massacres auxquels ils ont échappé et surexcités par les récits qui leur parviennent des villages voisins, ont désormais les réflexes rapides. La stupeur qui les a saisis devant l'ampleur de l'émeute et le fait que certains de leurs plus fidèles serviteurs y ont participé aux premiers rangs, n'hésitant pas à tuer, à coups de hache, femmes et enfants en bas âge, en ont fait subitement des hommes ivres de vengeance. Reprenant une vieille antienne que j'ai déjà souvent entendue ailleurs, l'un deux m'a dit : " Je tire d'abord et puis après je regarde si c'est un bon ou un mauvais ". GEORGES PENCHENIER Le Monde du 23-24 août 1955

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