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Article de presse: Jean-Paul II seul maître à bord

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

16 octobre 1978 - Cinq années après l'élection de Jean-Paul II au Pontificat, Alain Woodrow dresse un premier bilan de l'action du premier pape non italien depuis 1522. Trois nouvelles récentes en provenance du Vatican ont frappé les catholiques. Le 5 septembre, Jean-Paul II condamnait vigoureusement le divorce, la sexualité préconjugale, l'homosexualité, le contrôle " artificiel " des naissances, l'avortement, l'euthanasie et l'ordination des femmes à la prêtrise. Le 8 septembre, c'était la Congrégation romaine pour la doctrine de la foi qui publiait une lettre pour rappeler que seuls les évêques et les prêtres sont habilités à dire la messe. Le 17 septembre, enfin, le pape prononçait le plus sévère réquisitoire de son pontificat contre les moyens " artificiels " de contraception. Que signifie ce durcissement-dans la forme et l'intensité, sinon dans le contenu-de la doctrine pontificale? Cinq ans après son élection, Jean-Paul II entend-il accélérer et compléter la reprise en main qui s'esquisse au fil de ses écrits, de ses prises de position et surtout de ses voyages à travers le monde pour " confirmer " les Eglises locales? Les langues se délient difficilement derrière les murs épais du Vatican. Tout le monde reconnaît volontiers que Jean-Paul II est " un vrai patron " et " le seul maître à bord ", mais les analyses divergent sur le bilan de ces cinq ans. Deux boutades entendues dans la Ville éternelle, cependant, résument bien les griefs qui reviennent le plus souvent. " Il faudrait que le pape ajoute au calendrier chargé de ses prochains voyages une petite halte au Vatican ", disent ceux qui trouvent que le gouvernement central de l'Eglise souffre des absences répétées de son chef. " Polonais à plein temps, mais pape à temps partiel ", ajoutent ceux qui sont agacés moins par l'intérêt, somme toute légitime, que Jean-Paul II porte à sa patrie que par les nombreux conseillers polonais, de passage ou à demeure, qui ont l'oreille du pape. Un style très personnel Mais au-delà des jalousies compréhensibles provoquées par la présence à Rome du premier pape non italien depuis quatre siècles et demi, c'est le style de gouvernement très personnel de Jean-Paul II qui explique les attitudes les plus réservées. Les exemples ne manquent pas de décisions prises unilatéralement par le pape-après une large consultation, certes-qui semblent contredire la doctrine de la collégialité si souvent prônée par Jean-Paul II lui-même. Il n'est un secret pour personne, par exemple, que le cardinal Agostino Casaroli, le secrétaire d'Etat (le premier ministre, en quelque sorte), ne partage pas toutes les analyses de Jean-Paul II-qu'il s'agisse de l'Ostpolitik (relations du Saint-Siège avec les pays de l'Est) inaugurée par Paul VI, du scandale du Banco Ambrosiano et du rôle qu'y joua Mgr Marcinkus, ou de la présence politique de l'Eglise en Amérique latine. Or le cardinal Casaroli s'est vu progressivement écarté du pouvoir, son rôle étant pratiquement réduit à celui de simple exécutant. De même, sur le plan national, les épiscopats se sentent parfois désavoués par l'autorité suprême. Les évêques espagnols étaient majoritairement opposés à la transformation du statut de l'Opus Dei d'institut séculier en prélature personnelle, mais le pape a passé outre à leurs objections. En Italie, il a appuyé publiquement le mouvement Communion et Libération, après que l'épiscopat eut exprimé ses réserves à l'égard de celui-ci. Et, en France, il a fallu tout le doigté de l'archevêque de Paris, ainsi que l'amitié que le pape lui porte, pour que le désaveu romain des nouvelles méthodes de catéchèse ne soit pas considéré comme un camouflet infligé aux évêques. Le synode des évêques, enfin, instance collégiale par excellence, est loin de remplir son rôle, même consultatif. Le chanteur, pas la chanson Le pontificat de Jean-Paul II est souvent qualifié, à Rome, de " monarchie absolue ". Lorsque le pape s'est exprimé sur un sujet-le célibat des prêtres (il y a trois mille demandes de laïcisation actuellement bloquées), le port de l'habit religieux ou le non-engagement politique de clercs,-il attend une obéissance totale. D'aucuns, qui ne cachent pas leur admiration pour la stature internationale de Jean-Paul II, notamment dans le domaine des droits de l'homme et de la paix mondiale, le comparent volontiers au général de Gaulle : " L'intendance suivra " en toute circonstance. Les qualités qu'il cherche à développer, comme l'obéissance, la discipline, la piété mariale, des institutions ecclésiastiques fortes et visibles dans la cité séculière, sont évidemment celles qu'il avait connues dans son Eglise d'origine. Pour le pape, l'Eglise est une réalité sociale, et il ne comprend pas pourquoi, en Italie par exemple, les quarante millions de catholiques ne montrent pas leur force pour défendre la doctrine de l'Eglise sur le divorce ou l'avortement. Or il existe des failles dans les meilleurs systèmes. Grâce aux valeurs redécouvertes par le concile Vatican II, telles la primauté de la conscience, la liberté religieuse, la pauvreté des moyens, la vérité détenue par les Eglises non catholiques et les religions non chrétiennes, la citadelle catholique édifiée depuis le concile de Trente a été largement démolie. Pour beaucoup de catholiques, surtout les plus jeunes, nés depuis le concile, il est impensable de revenir en arrière. Cela explique, en grande partie, pourquoi le langage tenu par Jean-Paul II passe si mal auprès de beaucoup. Si les foules accourent pour le voir lors de ses voyages internationaux, c'est surtout pour applaudir et admirer une figure charismatique, un homme courageux (auréolé du martyre à cause de l'attentat manqué), sympathique. Son discours est relégué au second plan, selon le dicton anglais " The singer, not the song " (Le chanteur, pas la chanson). D'autre part, la décentralisation mise en branle par le concile, avec une autonomie accrue accordée aux conférences épiscopales, rend très difficile au pape de prononcer une parole unique. Il doit compter avec les cultures et les coutumes locales, et, lorsqu'il voyage, le ton de ses homélies est souvent donné par les évêques qui le reçoivent. Rome ne peut plus dire le dernier mot dans toutes les controverses qui agitent la chrétienté, pour la simple raison que le monde est trop complexe et trop divers. " La cavalerie légère " Ce sont les ordres religieux les plus pénétrés de l'esprit conciliaire, enfin, qui se montrent souvent réfractaires à toute nouvelle tentative d'uniformisation. La transformation de la Compagnie de Jésus, on le sait, a été telle, surtout pendant les vingt ans qui ont suivi le concile, que le pape, excédé, a fini par demander à " la cavalerie légère de l'Eglise ", pour citer la phrase du Père Pittau, délégué adjoint de la Compagnie, " de descendre de cheval et de se convaincre que, désormais, il faut marcher tous ensemble ". Inquiété par une autonomie qu'il juge excessive chez certains ordres religieux, Jean-Paul II se prépare à intervenir. Aux Etats-Unis, où les religieuses sont particulièrement affranchies-certaines militent même en faveur de l'ordination des femmes,-le pape vient de nommer une commission composée de trois évêques qui doit " examiner la vie religieuse aux Etats-Unis ". On dit, d'autre part, à Rome, qu'un document pontifical sur le sujet est imminent. Ainsi la politique de Jean-Paul II est, en gros, celle d'une restauration chrétienne. Or, malgré son énergie débordante et sa vitalité, il ne saurait la mener seul, et les assauts d'une sécularisation inéluctable paraissent trop forts pour ne pas atteindre des enclaves, protégées jusqu'ici, comme la Pologne ou l'Irlande. ALAIN WOODROW Le Monde du 21 septembre 1983

« Or il existe des failles dans les meilleurs systèmes.

Grâce aux valeurs redécouvertes par le concile Vatican II, telles la primautéde la conscience, la liberté religieuse, la pauvreté des moyens, la vérité détenue par les Eglises non catholiques et les religions nonchrétiennes, la citadelle catholique édifiée depuis le concile de Trente a été largement démolie.

Pour beaucoup de catholiques,surtout les plus jeunes, nés depuis le concile, il est impensable de revenir en arrière.

Cela explique, en grande partie, pourquoi lelangage tenu par Jean-Paul II passe si mal auprès de beaucoup.

Si les foules accourent pour le voir lors de ses voyagesinternationaux, c'est surtout pour applaudir et admirer une figure charismatique, un homme courageux (auréolé du martyre à causede l'attentat manqué), sympathique.

Son discours est relégué au second plan, selon le dicton anglais " The singer, not the song "(Le chanteur, pas la chanson). D'autre part, la décentralisation mise en branle par le concile, avec une autonomie accrue accordée aux conférencesépiscopales, rend très difficile au pape de prononcer une parole unique.

Il doit compter avec les cultures et les coutumes locales,et, lorsqu'il voyage, le ton de ses homélies est souvent donné par les évêques qui le reçoivent.

Rome ne peut plus dire le derniermot dans toutes les controverses qui agitent la chrétienté, pour la simple raison que le monde est trop complexe et trop divers. " La cavalerie légère " Ce sont les ordres religieux les plus pénétrés de l'esprit conciliaire, enfin, qui se montrent souvent réfractaires à toute nouvelletentative d'uniformisation.

La transformation de la Compagnie de Jésus, on le sait, a été telle, surtout pendant les vingt ans qui ontsuivi le concile, que le pape, excédé, a fini par demander à " la cavalerie légère de l'Eglise ", pour citer la phrase du Père Pittau,délégué adjoint de la Compagnie, " de descendre de cheval et de se convaincre que, désormais, il faut marcher tous ensemble ". Inquiété par une autonomie qu'il juge excessive chez certains ordres religieux, Jean-Paul II se prépare à intervenir.

Aux Etats-Unis, où les religieuses sont particulièrement affranchies-certaines militent même en faveur de l'ordination des femmes,-le papevient de nommer une commission composée de trois évêques qui doit " examiner la vie religieuse aux Etats-Unis ".

On dit, d'autrepart, à Rome, qu'un document pontifical sur le sujet est imminent. Ainsi la politique de Jean-Paul II est, en gros, celle d'une restauration chrétienne.

Or, malgré son énergie débordante et savitalité, il ne saurait la mener seul, et les assauts d'une sécularisation inéluctable paraissent trop forts pour ne pas atteindre desenclaves, protégées jusqu'ici, comme la Pologne ou l'Irlande. ALAIN WOODROW Le Monde du 21 septembre 1983. »

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