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Article de presse: La Biélorussie, une dictature aux portes de l'Europe

Publié le 17/01/2022

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22 juin 1998 - Quelle mouche a piqué le président biélorusse, Alexandre Loukachenko ? En expulsant un groupe d'ambassadeurs occidentaux de leurs résidences en banlieue de Minsk, la capitale, afin de rattacher les terrains et les bâtiments à son propre domaine immobilier, M. Loukachenko a franchi une nouvelle étape dans sa dérive mégalomane, et surtout dans sa vision paranoïaque d'un monde qui camperait encore, selon lui, dans la " guerre froide " : Ouest contre Est. La crise diplomatique qui l'oppose à l'Union européenne, dont les cinq ambassadeurs ont quitté Minsk, lundi 22 juin, pour protester contre le traitement qui leur était réservé, suivis dans cette démarche par leurs collègues américain et japonais, jette une lumière crue sur l'enlisement dans l'autoritarisme de cette ancienne République soviétique de 10 millions d'habitants, voisine de la Pologne, et donc de l'Europe. Le pays est tombé sous le joug d'un ancien éducateur politique de l'Armée rouge et ancien directeur de sovkhoze, nostalgique de l'URSS et de Staline, chantre de l'économie planifiée et fustigeur de tout ce qui, ailleurs à l'Est, a constitué la " transition post-communiste " . En Biélorussie, la télévision et la radio sont aux ordres. Les rares journaux indépendants, avec leur diffusion maigrelette, sont frappés d'amendes. Les opposants se réfugient à l'étranger, ou bien vivent dans la hantise d'être subitement passés à tabac dans la rue, par des sbires en civil qui lâchent au passage : " et ça sera pire, si tu continues... " . Des procès-spectacles ont lieu, comme à l'époque stalinienne. Le principal avocat de l'opposition, Harry Paganyaila, s'est récemment vu retirer sa licence. Une série de mythes A quarante-trois ans, Alexandre Loukachenko est, dans la galerie des dictateurs, un cas particulièrement cocasse. Il a été élu président en 1994 avec 85 % des voix, et il s'est emparé des pleins pouvoirs après un référendum tenu en novembre 1996. Son pouvoir est basé sur une série de mythes, apparemment porteurs dans ce pays dépourvu de société civile, où la population reste, d'une certaine façon, traumatisée par les guerres successives qui ont balayé son territoire au cours du siècle, par l'industrialisation forcée soviétique, et par la catastrophe de Tchernobyl. L'un de ces mythes : Alexandre Loukachenko est un sauveur de la nation (" Appelez-moi " père " , tout simplement " ). Il " sauve " les Biélorusses en leur épargnant d'abord les affres du capitalisme tel qu'il se pratique en Russie et en Ukraine voisines : privatisations à scandales, apparition de nouveaux riches, amoncellement des salaires impayés. Il les " sauve " aussi des ingérences d'ennemis tapis dans l'ombre, parmi lesquels figurent l'OTAN, en passe de s'élargir à l'Est, et l'Union européenne, accusée de " soutenir " l'opposition biélorusse. Autre mythe, Alexandre Loukachenko est doté du talent d'ubiquité. Il circule (c'est vrai) à travers le pays en hélicoptère, atterrissant où bon lui semble pour des visites impromptues qui ne manquent pas de tenir les directeurs de kolkhoze et d'usines, potentiels " spéculateurs " , au garde à vous... Pour prouver encore qu'il est partout, M. Loukachenko s'est rendu au Japon lors des Jeux olympiques d'hiver, afin de commenter lui-même, en direct de Nagano, les images des performances de l'équipe nationale biélorusse. Mais Alexandre Loukachenko n'est pas simplement un Ubu roi contrôlant une petite République sans grand enjeu stratégique. Il a une alliée de taille, qui tour à tour le rabroue et le cajole : la Russie de Boris Eltsine. Leurs relations n'ont pas toujours été au beau fixe, mais une " union " , scellée en avril 1996, lie ces deux Républiques, " soeurs slaves " . Le soutien russe La Russie est la béquille économique de la Biélorussie, qui lui exporte, par des accords de troc, une production antédiluvienne de tracteurs et téléviseurs de type soviétique, invendables sur d'autres marchés. C'est essentiellement grâce au soutien russe que les usines biélorusses tournent encore, offrant en 1997 à cette République l'un des plus forts taux de croissance de l'ex-URSS, 10 % (selon des statistiques officielles, douteuses). Alors que le régime de M. Loukachenko est régulièrement dénoncé pour ses violations des droits de l'homme, un spécialiste occidental de retour de Minsk résume ainsi le paradoxe : " l'Ouest donne à la Russie [aides du FMI] et la Russie donne à la Biélorussie... " Moscou utilise la Biélorussie pour le transit de ses hydrocarbures vers l'Ouest, pour des trafics d'armes dans lesquels M. Loukachenko jouerait, selon des opposants biélorusses, le rôle d'intermédiaire, et plus généralement comme tremplin pour son influence en Europe centrale. M. Loukachenko est, de son côté, un apôtre du pan-slavisme. Il nourrit aussi des ambitions politiques en Russie propre. Il multiplie les contacts régionaux, effectuant récemment un voyage à Smolensk, et certains hommes politiques russes (dont le général Alexandre Lebed) ont par le passé salué sa poigne. Moscou lâchera-t-il un jour l'homme fort biélorusse ? Face à la crise diplomatique en cours entre la Biélorussie et ses " partenaires " occidentaux, la Russie a adopté une position d'attente. Elle a critiqué Minsk, mais s'est gardée d'emboîter le pas aux Européens en rappelant son ambassadeur. M. Loukachenko n'en est, après tout, pas à sa première expulsion : en 1997, il avait chassé un diplomate américain, la fondation Soros, et l'organisation caritative Les Enfants de Tchernobyl, sous divers motifs dont celui " d'espionnage " . NATALIE NOUGAYREDE Le Monde du 24 juin 1998

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