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Article de presse: La fin des privilèges des armées africaines

Publié le 22/02/2012

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18 mai 1996 - Il n'y a pas si longtemps, quand les militaires africains descendaient dans la rue, c'était pour défiler en bon ordre afin de manifester leur pouvoir ou leur soutien au régime en place, ce qui, souvent, revenait à peu près au même. L'homme qui était à la tête de l'Etat était l'un des leurs et il y avait été porté par la force des armes. Il leur arrivait aussi de quitter leur caserne pour renverser le chef de l'Etat et installer un autre militaire aux affaires. Et, s'ils appuyaient un civil, celui-ci devait composer avec eux, sinon satisfaire leurs revendications de tous ordres. Mais la période dorée qu'ont connue les armées africaines, surtout dans les années 60 et 70, après les indépendances, est bel et bien terminée. La fin de l'affrontement Est-Ouest a privé les régimes musclés du continent noir d'une marge de manoeuvre qui leur permettait de se ménager la tolérance des pays occidentaux. La communauté internationale, quasi unanime, a progressivement imposé le mot d'ordre de la démocratisation à la fin des années 80 et au début de cette décennie. Affrontant de très graves crises économiques et financières, les Etats africains ont dû se soumettre aux " diktats " des bailleurs de fonds, de moins en moins enclins à dépenser sans compter. Les militaires étaient le pilier du pouvoir et, en quelques années, ils se sont retrouvés sur la touche, priés de se montrer discrets et modestes. Comme le reste de la fonction publique, souvent pléthorique, ils ont été sommés plus ou moins fermement de réduire leurs dépenses et de diminuer considérablement leurs effectifs. Inquiétudes et frustrations se sont rapidement accumulées. Dans les pays les plus pauvres, le choc de la démocratisation, de l'assainissement et de la libéralisation de l'économie a été rude. En Guinée, les 2 et 3 février, en Centrafrique, du 18 au 21 avril, des centaines de soldats, comme de simples fonctionnaires, ont envahi les rues de Conakry et de Bangui pour réclamer au moins leur dû, des mois de solde impayés, voire une amélioration de leur sort. Comme fréquemment en Afrique, comme au Zaïre en 1993, conséquence d'une misère ordinaire : l'émeute a tourné au pillage et des civils ont suivi le mouvement pour se saisir de ce que les militaires n'avaient pas emporté. Réactions en chaîne A Conakry, une poignée d'officiers a profité de l'émeute pour tenter de s'emparer du pouvoir, et il s'en est fallu de peu que ce putsch improvisé ne réussisse. A Bangui, en avril, il n'était apparemment pas question d'une telle tentative. Les revendications des mutins ont gardé un caractère " social ". Mais, un mois plus tard, après un nouveau sursaut de colère, sous prétexte que le pouvoir n'avait pas respecté tous ses engagements, une partie des mutins a semblé, mercredi 22 mai, vouloir aller au-delà et exiger la démission du président Ange-Félix Patassé. A Conakry, au prix de concessions importantes, le président Lansana Conté, un général, ancien chef d'état-major sous la dictature d'Ahmed Sékou Touré, converti vaille que vaille à la démocratie, a pu faire entendre raison à la majorité des mutins. Du coup, son intervention a provoqué, par une sorte de réaction en chaîne, nombre d'autres revendications salariales dans l'administration et le secteur public. Reste à savoir si l'armée a été durablement remise au pas. En plein coeur de Conakry, dans le " camp Samory ", au pied de l'immeuble du ministère de la défense, des soldats vivent toujours dans un bidonville, avec leur famille, leurs chèvres et leur basse-cour. A quelques kilomètres de là, dans un vaste dépôt, une grande quantité de matériel lourd soviétique continue de rouiller, depuis longtemps inutilisable, faute d'entretien... A Bangui, le président Patassé, premier chef d'Etat démocratiquement élu en septembre 1993, n'est pas un militaire. On lui reproche aujourd'hui de n'avoir pas assez ménagé l'armée, d'avoir été moins attentif que son prédécesseur, le général André Kolingba, maintenant chef de l'opposition. Même au Bénin, pourtant cité pour le caractère exemplaire de sa transition démocratique, il a fallu veiller à ce que les militaires ne posent pas problème après avoir été l'élément majeur de la vie politique. Pendant son mandat (1991-1996), le président Nicéphore Soglo s'est tellement méfié de l'armée qu'il a pris soin de développer la gendarmerie. Même en Côte-d'Ivoire, où l'armée n'a jamais eu un rôle aussi considérable que dans les pays voisins, le gouvernement vient de confirmer qu'une tentative de putsch a eu lieu au moment de l'élection présidentielle, en octobre 1995. Dans les pays les plus démunis, en République Centrafricaine et en Guinée par exemple, les militaires, après avoir longtemps servi à réprimer la moindre velléité de contestation populaire, paraissent pouvoir jouer maintenant sur le mécontentement des autres catégories sociales pénalisées par les politiques d'austérité. " Et, eux, ils ont les armes ", soulignait, au début de la semaine, à Bangui, un syndicaliste, en rappelant la série de grèves qui venaient d'avoir lieu dans l'administration. Un pareil retournement de situation est évidemment lourd de menaces pour la suite du processus de démocratisation. FRANCIS CORNU Le Monde du 24 mai 1996

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