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Article de presse: Le traité entre la Russie et l'Ukraine met fin à cinq ans de frictions

Publié le 22/02/2012

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31 mai 1997 - Dans la série des accords "historiques" que Boris Eltsine, ragaillardi, signe depuis un mois (avec la Tchétchénie, la Chine, la Biélorussie, la Moldavie, l'OTAN), celui qui doit être conclu, samedi 31 mai à Kiev, mérite ce qualificatif au moins pour une raison formelle : il marquera la première visite d'un président russe en Ukraine. Annoncée à six reprises depuis l'indépendance proclamée à Kiev en 1991, elle fut chaque fois reportée. La séparation des deux géants slaves était trop douloureuse pour la Russie, qui ne voulait pas perdre sa "tête" ukrainienne, selon le mot fameux de Lénine. Les négociations entamées en 1992 sur le partage de la vieillissante flotte de la mer Noire, basée en Crimée, ont été ponctuées d'accords toujours remis en cause, entretenant une tension parfois présentée comme pouvant mener à un nouveau conflit européen, si ce n'est une troisième guerre mondiale. Mais les trois accords signés mercredi à Kiev par les premiers ministres russe et ukrainien ont été jugés suffisants au Kremlin pour permettre à Boris Eltsine de venir à Kiev signer le "grand traité" politique que l'Ukraine attend depuis cinq ans. A première vue pourtant, c'est la Russie qui a fini par accepter les conditions de l'Ukraine sur la question de la Flotte, comme l'a souligné jeudi la presse russe, non seulement communiste et nationaliste, mais aussi "libérale". Des groupes nationalistes ukrainiens ont, en revanche, jugé insultante la location à la Russie, pour vingt ans, de 80 % des installations du port de Sébastopol pour y baser sa part équivalente de la Flotte. C'est dire que la ratification par les députés du traité prévu peut poser problème, surtout à Moscou. Boris Eltsine souhaiterait éviter de le soumettre à son Parlement, qui a adopté des lois affirmant que le "glorieux" Sébastopol "est et restera russe". La dernière offensive de ce genre avait été menée en décembre 1996 par la chambre basse du Parlement russe avec l'appui du maire de Moscou, Iouri Loujkov, et de l'opposant Alexandre Lebed. L'unanimité en Russie pour regretter la cession de la Crimée, presqu'île donnée par Nikita Khrouchtchev "en cadeau" à l'Ukraine en 1954, est comparable à celle entourant l'opposition à l'élargissement de l'OTAN. Mais le désir d'apaisement dans les relations russo-ukrainiennes est sans doute plus profond encore chez les deux peuples. Au niveau politique, il est devenu pour Boris Eltsine une question prioritaire dans l'espoir que Kiev modère sa marche vers l'OTAN. Le jour même, en effet, où le président russe signait à Paris son Acte fondateur avec l'Alliance, le président ukrainien Leonid Koutchma rejoignait en Estonie ses collègues polonais et baltes pour affirmer que leurs cinq Etats "sont liés par la perception d'un même danger d'atterrir dans une zone grise en termes de sécurité" et que "l'OTAN devrait rester ouvert" aux anciennes Républiques de l'URSS. L'opposition du Kremlin à cette possibilité est considérée à Kiev comme une ingérence dans ses affaires et c'est cette contradiction que les accords russo-ukrainiens ont à gérer. Le statut flou de Sébastopol Parmi les quarante et un articles du traité, l'un prévoit que les deux pays développent un protocole de coopération militaire. Or il y a urgence. Des incidents ont émaillé les manoeuvres navales menées ce printemps par l'OTAN en Mer Noire avec des bateaux ukrainiens, au grand déplaisir de Moscou. L'absence de confiance a aussi été illustrée par les ultimes négociations sur le partage des bases de Sébastopol : Moscou a obtenu que la petite baie située au débouché des trois autres (la principale et la plus enclavée étant russe, les deux autres ukrainiennes) soit occupée "en commun" par les militaires russes et ukrainiens, pour éviter que ces derniers ne puissent interdire une sortie des bâtiments russes. Moscou garde aussi la base de Féodossia, à l'est de la péninsule, mais perd tous les autres ports situés en territoire ukrainien. Le coût du partage est maintenant fixé. La location, 100 millions de dollars par an, va effacer une partie de la dette énergétique de Kiev (3,5 milliards de dollars). Moscou versera aussi 700 millions de dollars à l'Ukraine pour les derniers navires auxquels celle-ci renonce et, en compensation des armements nucléaires retirés d'Ukraine. Le "grand traité d'amitié et de coopération" doit assurer les droits de la minorité russe d'Ukraine et clarifier les questions douanières. Kiev demande que soit achevée la délimitation des frontières, notamment autour de la Mer d'Azov, ce que Moscou refuse. Le "statut" de Sébastopol reste indéfini, même si Kiev affirme que le point final mis à la question de la "location" signifie que l'appartenance de la ville à l'Ukraine n'est plus contestée. La fureur des opposants nationalistes en Russie pourrait faire long feu, comme pour l'accord avec la Tchétchénie et celui avec l'OTAN. La tendance est à l'acceptation des réalités, en Ukraine comme dans toute la CEI : le Kremlin sait qu'il ne peut ni s'imposer par la force en Crimée ni construire immédiatement une autre base navale près de Novorossik, sur la côte russe de la Mer Noire. Le stationnement à Sébastopol des deux flottes rappelle certes les problèmes inextricables des kommunalkas (appartements communautaires) soviétiques, mais Moscou peut en escompter encore des avantages, ne serait-ce que par les trafics qui s'y sont développés. En tout état de cause, les accords russo-ukrainiens auront le sort qu'a prédit vendredi Boris Eltsine à celui signé avec l'OTAN : "son succès dépendra de son application", a-t-il dit... SOPHIE SHIHAB Le Monde du 31 mai 1997

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