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Article de presse: La guerre doublement sainte

Publié le 22/02/2012

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6-25 octobre 1973 - Dix jours après le début des hostilités, André Fontaine analyse la situation au Proche-Orient. Il met en lumière les origines du conflit et s'interroge sur la fragilité des solutions obtenues par la seule force des armes. " Jamais auparavant, dans sa tumultueuse histoire, Israël n'a été autant en sécurité ni tellement supérieur du point de vue militaire. Six ans après la guerre de six jours, une guerre ouverte entre Israël et ses voisins semble moins probable qu'à aucun moment dans le passé ". On serait mal venu de se moquer de M. Holbrooke parce qu'il s'exprimait ainsi, il y a tout juste un mois, dans la très sérieuse revue américaine Foreign Policy, dont il est le directeur : tout le monde pensait comme lui. Aussi bien, la première réaction à la nouvelle du déclenchement des hostilités a-t-elle été de penser, y compris chez beaucoup d'amis des Arabes, que ceux-ci allaient au massacre. En juillet dernier encore, le général Sharon, l'un des plus réactionnaires, il est vrai, des opposants au général Dayan, déclarait : " Israël est une super-puissance... En une semaine, nous pouvons conquérir toute la région allant de Khartoum à Bagdad et à l'Algérie ". Il fut un temps où, au moins dans les services de renseignement israéliens, on était plus circonspect. Un de leurs chefs, rencontré il y a deux ans, ne se cachait pas de prendre au sérieux un adversaire dont l'entraînement était devenu singulièrement " agressif ", qui disposait d'un matériel considérable et ultra-moderne, et dont le commandement, au sein duquel les " ventres plats " avaient remplacé les pachas poussifs de jadis, multipliait les exercices de franchissement de voies d'eau. Moyennant quoi, déjà à ce moment-là, les dirigeants, intimement, ne croyaient guère à la possibilité d'une attaque. Et quelques mois plus tard le départ des conseillers soviétiques avait achevé de les rassurer sans eux, disait-on, les Egyptiens n'arriveront jamais à monter une offensive. Un affrontement inéluctable Tout en gardant le fusil à la bretelle, les Israéliens s'imaginaient que les Arabes " finiraient par comprendre " et par accepter le fait accompli de la présence juive dans les territoires occupés, voire par se féliciter de la chance qu'elle donnait aux Palestiniens d'atteindre, avant leurs frères des pays voisins, aux rivages bénis de la société de consommation. Ceux qui se permettaient d'exprimer quelque scepticisme devant cette assurance se voyaient répondre qu'ils ne comprenaient rien à la psychologie arabe. Seule une minorité d'obstinés et de criminels, leur disait-on, continuaient à contester l'évidence. Mais des coups si rudes leur étaient portés qu'ils auraient vite cessé de constituer un danger. Donnant la priorité à la lutte contre les fedayins, les services spéciaux israéliens auraient-ils un peu négligé la recherche du renseignement sur les activités des Etats voisins ? Les signes annonciateurs de l'attaque étaient nombreux. Ce n'est pas une fois, mais dix, que M. Sadate avait déclaré que, puisque " toutes les portes lui avaient été claquées au visage " par les Américains et les Israéliens, l'affrontement était devenu inéluctable. La " réanimation " du front était le thème principal des nombreux entretiens qu'il avait eus au cours des dernières semaines avec les dirigeants syriens, jordaniens et saoudiens. Il est vrai qu'il avait si souvent parlé, dans le passé, de se lancer à l'attaque, " dût-elle faire un million de morts ", que nombre de ses compatriotes eux-mêmes avaient tendance à tenir ses propos pour simples rodomontades. La soudaine réconciliation du Raïs égyptien avec les rois Fayçal et Hussein, le retour à leurs postes des journalistes de gauche épurés, ne peuvent tout de même pas ne pas avoir amené les Israéliens, toujours attentifs au moindre détail de l'évolution de la politique arabe, à se poser des questions. Et les journaux de Tel-Aviv faisaient depuis plusieurs jours état de mouvements de troupes adverses. Il fallut cependant, d'après ce qu'ils ont dit aux ambassadeurs étrangers, le départ des familles des experts soviétiques de Syrie, quarante-huit heures avant le déclenchement des hostilités, et celui d'unités russes mouillées dans la rade d'Alexandrie, pour que les dirigeants de Jérusalem commencent à s'inquiéter sérieusement. Certes, ajoutaient-ils, on signalait depuis quelque temps d'importantes concentrations de troupes sur les frontières, mais, Dieu sait, ce n'était pas le première fois. L'attitude de Moscou Peut-on prendre cet aveu de candeur pour argent comptant ? Il est normal que vienne à l'esprit l'hypothèse que Jérusalem, dans le dessein de se concilier une opinion internationale moins bien disposée à son égard que par le passé, ait délibérément laissé l'adversaire finir le premier, ou que les Etats-Unis, soucieux de préserver la détente, l'y aient vraiment encouragé. Il est possible aussi que le général Dayan ait estimé qu'il vaincrait mieux l'adversaire en le laissant s'avancer. Mais rien pour le moment ne permet de l'affirmer. De toute façon, qu'il y ait eu ou non surprise du côté israélien quand au fait même de l'attaque, il est hors de doute que la combativité des troupes arabes et la qualité de leur matériel ont bien constitué une surprise. Même si la fameuse " ligne Bar Lev " n'était, comme on nous le dit maintenant, qu'une chaîne de " sonnettes ", le général Elazar n'a sûrement pas abandonné de gaieté de coeur aux Egyptiens la rive orientale du canal de Suez. Surprise aussi, à n'en pas douter, l'attitude soviétique. On avait décidé une fois pour toutes que Moscou avait désormais partie liée avec Washington et ne fournissait plus qu'un appui théorique et verbal aux pays arabes. Le départ des conseillers russes d'Egypte en 1972 avait été universellement interprété, après la chute et l'arrestation du premier ministre soviétophile Ali Sabry, comme l'indice d'un net refroidissement entre Le Caire et le Kremlin. Et il semblait que Damas fut en passe d'en faire autant. Les gouvernements arabes ne se cachaient pas d'être agacés par l'arrivée, chaque mois, en Israël, de quelque trois mille juifs soviétiques qui n'étaient pas tous, contrairement aux affirmations de M. Gromyko, des vieillards, des malades ou des incapables. Il y a quelques semaines encore, le " sommet " d'Alger avait montré en quelle suspicion de nombreux " non-alignés ", sensibles aux thèses chinoises, tenaient la politique de M. Brejnev à leur égard. Or non seulement celui-ci n'a apparemment rien fait pour empêcher Le Caire et Damas de se lancer dans une aventure dont il était, comme le montre l'évacuation des familles russes de Syrie, dûment averti. Mais il appuie sans réserve leur attitude-l'agence Tass parle d' " exercice par les Arabes de leur droit d'autodéfense ",-leur livre ouvertement des armes et emploie à l'égard d'Israël un ton passablement menaçant. Le Kremlin a d'ailleurs tout intérêt à cet engagement aussi longtemps qu'il ne compromet ni ses bonnes relations avec les Etats-Unis ni la détente en Europe. Alors que la vulnérabilité énergétique de l'Occident devient chaque jour plus évidente, il fait des Arabes, détenteurs du tiers des ressources mondiales de pétrole, ses obligés. Sans son appui diplomatique et matériel, il leur aurait été impossible de remporter les premiers succès qui ont lavé un quart de siècle d'humiliations. En même temps, il marque un point décisif sur la Chine, qui aura de la peine, désormais, à dénoncer, comme elle le faisait depuis des années, la trahison par l'URSS de la cause arabe. Est-ce à dire que le Kremlin pourrait être à l'origine de la reprise des hostilités ? Même si tel était le cas, ce qui n'est pas prouvé, la lutte garderait son caractère fondamentalement arabe, qui fait que pour une fois, de l'Arabie saoudite à l'Irak progressiste, du Maroc à l'Egypte, tout le monde, à la curieuse exception du colonel Kadhafi, participe, qui avec le gros de ses forces, qui avec des contingents symboliques, qui avec son argent, à la guerre pour la libération des territoires occupés. C'est le Djihad, la guerre sainte, aussi sainte que celle que mènent les Israéliens pour la sauvegarde de leur Etat. Un ton modéré La libération des territoires occupés, c'est le but, et le seul, que Damas et Le Caire ont officiellement assigné à leurs troupes. Le trait le moins remarquable de cette guerre n'est pas, en effet, la relative modération du langage de leurs propagandistes. Il contraste heureusement avec les imprécations de l'abominable Choukeiri. Les soldats de Tsahal, l'armée israélienne, ont pour eux un entraînement, une technicité sans pareils. Ils se battent comme jadis les Romains contre les envahisseurs, pro aris et focis, pour leurs autels et leurs foyers, pour qu'il demeure sur la terre un endroit où les juifs se gouvernent eux-mêmes. Malgré la rupture des relations diplomatiques par une série d'Etats africains, malgré la perte de l'alliance française, malgré le refroidissement progressif de leurs relations avec l'Europe occidentale, et notamment la Grande-Bretagne, ils ont la solidarité active de la Diaspora, qui fait une fois de plus la quête et d'où accourent par milliers les hommes qui viennent prendre, dans les usines, les fermes et les administrations, la place des réservistes mobilisés. Ils ont surtout derrière eux la puissance énorme des Etats-Unis. Les peuples du tiers-monde le savent bien, qui qualifient si souvent Israël de " tête de pont de l'impérialisme américain ". En réalité, c'est plus souvent Israël qui contraint Washington, grâce à la force du " lobby sioniste ", à s'aligner sur ses vues. C'est bien parce que les Etats-Unis ont constitué le principal rempart sur lequel s'appuyait l'intransigeance israélienne que le président Sadate s'est efforcé avec constance, au cours des dernières années, de les séduire. Il s'est débarrassé des lieutenants communisants ou pro-soviétiques de Nasser. Il a chassé les " conseillers militaires " russes de façon quasi ignominieuse. C'est seulement après avoir constaté que ces tentatives ne donnaient rien qu'il s'est décidé à recourir à la manière forte. Encore est-il manifeste que celle-ci ne suffit pas, à ses yeux, à obtenir le résultat cherché, et que le moment est venu pour les Arabes de faire directement pression sur les Etats-Unis en utilisant l'arme du pétrole pour qu'ils obligent Israël à se retirer, comme Eisenhower l'avait fait en 1957. A long terme, c'est-à-dire à l'horizon d'une décennie, cette arme serait sans doute fort efficace. Que le cessez-le-feu qui finira par intervenir comble les espoirs des uns ou ceux des autres, ou qu'il consolide simplement, comme en 1948 ou en 1967, la ligne du front, qu'il soit le fruit de l'usure mutuelle ou celui de la victoire, qu'il soit ou non imposé par l'extérieur, il y a fort à craindre qu'il ne règle rien. A moins que de part et d'autre on ne comprenne enfin que sur le sable fragile de l'Orient le sang, si souvent versé dans les combats fratricides et épuisants, n'a jamais assuré que des sursis. S'il y a un vaincu, demain, ne va-t-il pas de nouveau préparer sa revanche ? ANDRE FONTAINE Le Monde du 17-18 octobre 1973

« l'adversaire finir le premier, ou que les Etats-Unis, soucieux de préserver la détente, l'y aient vraiment encouragé.

Il est possibleaussi que le général Dayan ait estimé qu'il vaincrait mieux l'adversaire en le laissant s'avancer.

Mais rien pour le moment nepermet de l'affirmer. De toute façon, qu'il y ait eu ou non surprise du côté israélien quand au fait même de l'attaque, il est hors de doute que lacombativité des troupes arabes et la qualité de leur matériel ont bien constitué une surprise.

Même si la fameuse " ligne Bar Lev "n'était, comme on nous le dit maintenant, qu'une chaîne de " sonnettes ", le général Elazar n'a sûrement pas abandonné de gaietéde coeur aux Egyptiens la rive orientale du canal de Suez. Surprise aussi, à n'en pas douter, l'attitude soviétique.

On avait décidé une fois pour toutes que Moscou avait désormais partieliée avec Washington et ne fournissait plus qu'un appui théorique et verbal aux pays arabes.

Le départ des conseillers russesd'Egypte en 1972 avait été universellement interprété, après la chute et l'arrestation du premier ministre soviétophile Ali Sabry,comme l'indice d'un net refroidissement entre Le Caire et le Kremlin.

Et il semblait que Damas fut en passe d'en faire autant.

Lesgouvernements arabes ne se cachaient pas d'être agacés par l'arrivée, chaque mois, en Israël, de quelque trois mille juifssoviétiques qui n'étaient pas tous, contrairement aux affirmations de M.

Gromyko, des vieillards, des malades ou des incapables. Il y a quelques semaines encore, le " sommet " d'Alger avait montré en quelle suspicion de nombreux " non-alignés ", sensiblesaux thèses chinoises, tenaient la politique de M.

Brejnev à leur égard.

Or non seulement celui-ci n'a apparemment rien fait pourempêcher Le Caire et Damas de se lancer dans une aventure dont il était, comme le montre l'évacuation des familles russes deSyrie, dûment averti.

Mais il appuie sans réserve leur attitude-l'agence Tass parle d' " exercice par les Arabes de leur droitd'autodéfense ",-leur livre ouvertement des armes et emploie à l'égard d'Israël un ton passablement menaçant. Le Kremlin a d'ailleurs tout intérêt à cet engagement aussi longtemps qu'il ne compromet ni ses bonnes relations avec les Etats-Unis ni la détente en Europe.

Alors que la vulnérabilité énergétique de l'Occident devient chaque jour plus évidente, il fait desArabes, détenteurs du tiers des ressources mondiales de pétrole, ses obligés. Sans son appui diplomatique et matériel, il leur aurait été impossible de remporter les premiers succès qui ont lavé un quart desiècle d'humiliations.

En même temps, il marque un point décisif sur la Chine, qui aura de la peine, désormais, à dénoncer, commeelle le faisait depuis des années, la trahison par l'URSS de la cause arabe. Est-ce à dire que le Kremlin pourrait être à l'origine de la reprise des hostilités ? Même si tel était le cas, ce qui n'est pasprouvé, la lutte garderait son caractère fondamentalement arabe, qui fait que pour une fois, de l'Arabie saoudite à l'Irakprogressiste, du Maroc à l'Egypte, tout le monde, à la curieuse exception du colonel Kadhafi, participe, qui avec le gros de sesforces, qui avec des contingents symboliques, qui avec son argent, à la guerre pour la libération des territoires occupés.

C'est leDjihad, la guerre sainte, aussi sainte que celle que mènent les Israéliens pour la sauvegarde de leur Etat. Un ton modéré La libération des territoires occupés, c'est le but, et le seul, que Damas et Le Caire ont officiellement assigné à leurs troupes.

Letrait le moins remarquable de cette guerre n'est pas, en effet, la relative modération du langage de leurs propagandistes.

Ilcontraste heureusement avec les imprécations de l'abominable Choukeiri. Les soldats de Tsahal, l'armée israélienne, ont pour eux un entraînement, une technicité sans pareils.

Ils se battent comme jadisles Romains contre les envahisseurs, pro aris et focis, pour leurs autels et leurs foyers, pour qu'il demeure sur la terre un endroitoù les juifs se gouvernent eux-mêmes.

Malgré la rupture des relations diplomatiques par une série d'Etats africains, malgré laperte de l'alliance française, malgré le refroidissement progressif de leurs relations avec l'Europe occidentale, et notamment laGrande-Bretagne, ils ont la solidarité active de la Diaspora, qui fait une fois de plus la quête et d'où accourent par milliers leshommes qui viennent prendre, dans les usines, les fermes et les administrations, la place des réservistes mobilisés. Ils ont surtout derrière eux la puissance énorme des Etats-Unis.

Les peuples du tiers-monde le savent bien, qui qualifient sisouvent Israël de " tête de pont de l'impérialisme américain ".

En réalité, c'est plus souvent Israël qui contraint Washington, grâceà la force du " lobby sioniste ", à s'aligner sur ses vues. C'est bien parce que les Etats-Unis ont constitué le principal rempart sur lequel s'appuyait l'intransigeance israélienne que leprésident Sadate s'est efforcé avec constance, au cours des dernières années, de les séduire.

Il s'est débarrassé des lieutenantscommunisants ou pro-soviétiques de Nasser.

Il a chassé les " conseillers militaires " russes de façon quasi ignominieuse.

C'estseulement après avoir constaté que ces tentatives ne donnaient rien qu'il s'est décidé à recourir à la manière forte.

Encore est-ilmanifeste que celle-ci ne suffit pas, à ses yeux, à obtenir le résultat cherché, et que le moment est venu pour les Arabes de faire. »

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