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Article de presse: La sainte de Calcutta

Publié le 22/02/2012

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5 septembre 1997 - Elle avait le privilège de savoir ce qui l'attendait après la mort. Mère Teresa raconta à l'un de ses nombreux biographes, Malcolm Muggeridge, qu'elle réservait un bon tour pour le jour où elle se présenterait à la porte du paradis. Saint Pierre dit à Mère Teresa qu'elle ne peut pas entrer, " car, au ciel, il n'y a pas de taudis... ". " Pauvre saint Pierre, répond-elle du tac au tac, je vais remplir le paradis des pauvres gens de mes bidonvilles et vous serez bien forcé de m'y laisser entrer ! " C'est le 17 octobre 1979, à Oslo, que le monde découvre Mère Teresa. Ce jour-là, une petite femme au corps voûté, enveloppé dans un sari bleu et blanc, au visage émacié et fripé comme un cep de vigne, percé par des yeux profonds et espiègles, succède à Anouar El Sadate et à Menahem Begin sur les tablettes du prix Nobel de la paix. Après deux chefs d'Etat, c'est une humble religieuse que le jury norvégien vient de couronner. En 1971 déjà elle avait reçu, des mains de Paul VI, le Prix de la paix Jean-XXIII. Mais c'est en 1964, à Bombay, qu'elle était sortie de l'anonymat. Le pape visite la ville et remarque la petite taille de cette religieuse dans la foule qui applaudit. Il décide alors de lui faire don d'une Lincoln blanche qu'il vient de recevoir d'un bienfaiteur indien. Mère Teresa vend la voiture aux enchères et en distribue le prix. Après cette double consécration de l'Eglise et du monde, sa notoriété n'avait fait que grandir. Dans la lignée des grands charismatiques, des Vincent de Paul ou François d'Assise, Mère Teresa a tenté de secouer la conscience universelle de son temps. Pour les non-croyants, elle incarnait un idéal de solidarité concrète. Pour les croyants, elle était le symbole admiré et même vénéré d'un Evangile en actes. Sa grande popularité a correspondu, dans les années 80, à la fin des systèmes qui promettaient le paradis et la justice sur Terre. Canonisée de son vivant, elle était aussi devenue l'héroïne d'une charité hypermédiatisée, aux méthodes parfois autoritaires et aux idées très arrêtées sur la morale familiale, sur l'avortement dénoncé, jusqu'à la tribune de l'ONU, comme un " meurtre " ou sur les méthodes artificielles de contraception et de procréation, servant de caution aux tendances les plus conservatrices, dans et en dehors de l'Eglise. Ses critiques lui reprocheront aussi de soulager, à bon compte, la mauvaise conscience des Occidentaux face à la misère du tiers-monde en faisant la charité sans trop se soucier de la lutte contre l'injustice et les inégalités. Agnès Gonxha Bojaxhiu naît le 27 août 1910, près de Skopje, grande cité commerçante de Macédoine, d'une famille de notables d'origine albanaise. Son enfance est marquée par les convulsions politiques qui déchirent les Balkans à la veille de la première guerre mondiale. Son père, Köle Bojaxhiu, est l'un des chefs de file du mouvement nationaliste albanais. Accident ou assassinat, il meurt empoisonné en 1919. Agnès reçoit une éducation rigide, mais ouverte. Il y a toujours un pauvre à la table familiale. Sa mère lui dit : " Ma fille, n'accepte jamais une bouchée qui ne soit pas partagée avec les autres. " Elle se montre active dans sa paroisse de Skopje, dirigée par des jésuites, qui lui font découvrir la spiritualité ignacienne. Elle fréquente le sanctuaire marial de Letnice et dévore déjà les revues missionnaires. Dès l'âge de dix-huit ans, Agnès Bojaxhiu opte pour la vie religieuse et choisit la congrégation des soeurs de Loreto, établie en Irlande. Elle embarque pour Dublin le 25 septembre 1928. Pendant six semaines, chez les " dames irlandaises " du couvent de Rathfarnham, elle s'initie à l'anglais et à la vie missionnaire. Le 1er décembre, à bord du Marcha, elle quitte enfin l'Europe, en route vers l'Inde. Son contact avec la misère est abrupt, radical. Dès l'escale de Madras, elle décrit, dans sa correspondance, un pays " secoué par une indescriptible pauvreté. Beaucoup de familles vivent dans la rue, le long des murs ou sur les voies de passage. Ils vivent là, jour et nuit, sur un tapis fabriqué avec de grandes feuilles de palmier ou à même le sol. Ils sont tous complètement nus. Dans le meilleur des cas, un chiffon enroulé autour des reins leur sert de vêtement. " Elle prend l'habit le 23 mai 1929 à Darjeeling (Bengale), au noviciat des soeurs de Loreto. Deux ans plus tard, elle fait sa profession et choisit de s'appeler Marie Teresa de l'Enfant Jésus, en référence non à Thérèse d'Avila, la réformatrice du carmel, mais à Thérèse de Lisieux, qui vient d'être canonisée et promue par le pape patronne des missions. Elle est d'abord affectée à un dispensaire perdu dans la jungle bengalaise, où elle apprend l'hindi et le bengali et côtoie la misère. Déjà on l'appelle Ma (qui veut dire Mère), ce nom qui ne la quittera plus. Mais moins d'un an après, alors que sa voie semble tracée, elle est brutalement rappelée à Calcutta, où, pendant dix-huit ans, elle devra enseigner l'histoire et la géographie au collège Sainte-Marie, réservé aux jeunes filles sages des castes aisées. Elle prononce ses voeux définitifs le 24 mai 1937 à Darjeeling. Obéissante, elle bout toutefois d'impatience. Elle sait qu'elle a mieux à faire auprès des pauvres que dans ce collège huppé. L'Inde devient indépendante en 1947. Après des années de résistance à l'Empire britannique, le pays prend conscience de la gravité de sa détresse, de ses affrontements sociaux, raciaux, religieux et de son sous-développement. A Calcutta, dans une mégalopole qui compte déjà quatre millions d'habitants et suinte la misère, Mère Teresa décide, à trente-huit ans, de claquer la porte de son collège. Sa vocation est sur les trottoirs-mouroirs de la ville. " Je devais sortir du couvent, dit-elle, aider les pauvres, vivre avec eux. C'était un ordre, un devoir, une certitude. " Le 16 août 1948, elle abandonne même l'habit occidental des religieuses de Loreto et enfile le sari blanc, bordé de bleu, avec une croix sur l'épaule, qui va pour toujours l'identifier au peuple indien et devenir célèbre dans le monde. C'est l'habit des missionnaires de la Charité, une congrégation religieuse qu'elle fonde le 7 octobre 1950, après avoir vaincu les réticences de Rome. Ses premières soeurs sont d'anciennes élèves du collège Sainte-Marie. Pour elles, Mère Teresa n'a qu'une exigence : renoncer à tout confort matériel, vivre pour les pauvres et au milieu des pauvres. Elle les conduit parfois d'une main de fer et se bat, avec obstination, sur tous les terrains : la faim, la maladie, la solitude, l'ignorance. Son premier acte symbolique, c'est l'ouverture, en 1952, dans le quartier très populaire de Kalighat, d'un mouroir, un ancien abri de pèlerins qu'elle appelle joliment la Maison du coeur pur, Nirmal Hriday en bengali. Ce bâtiment accueillera jusqu'à 60 000 personnes, venues pour être soignées ou mourir entourées. Elle créera d'autres foyers de mourants, des léproseries, des crèches, des écoles, des dispensaires. Au moment de recevoir le prix Nobel, en 1979, elle avait déjà fondé près de deux cents centres d'accueil, en Inde et dans le reste du monde, pour des personnes privées de tout, naufragées de la vie. Leur nombre a doublé depuis. Les missionnaires de la Charité aussi se sont multipliées et ont essaimé. Elles sont aujourd'hui trois mille cinq cents religieuses, présentes dans près de cent pays. Aucune cause ne lui est étrangère. Un jour, Mère Teresa se rend en Australie pour sensibiliser l'opinion au sort des aborigènes. En 1970, elle est à Amman, en Jordanie, pour s'occuper de réfugiés palestiniens. On la voit en Ethiopie pour soulager des crève-la-faim, au Guatemala après le tremblement de terre de 1977, à Beyrouth-Ouest sous les bombes en 1982, à Cuba en 1986. Son autorité est grande à New Delhi, où, dès qu'elle le demande, elle est reçue par le premier ministre. A Washington, elle téléphone aux présidents Reagan et Clinton et ouvre un foyer pour malades du sida. Des ghettos les plus misérables aux tribunes les plus officielles, elle fait entendre sa voix. Mais on lui reprochera de trop bonnes relations avec la famille Duvalier en Haïti ou celle d'Henver Hodja, l'ex-dictateur albanais, ou encore avec la princesse Diana. On la dit plus indulgente avec les grands de ce monde qu'avec " les pauvresses, qui ont droit à ses discours sur la morale et sur l'obéissance " (dans une biographie de Christopher Hichten). Chez elle, la vie spirituelle est inséparable de son engagement social. Travailler pour les pauvres, répète Teresa, n'est pas une vocation. La seule vocation qui compte est l'engagement total au service de Dieu. " Nous sommes le plus beau des marchés, nous vendons de l'amour ", dit-elle dans un téléfilm qui lui est consacré et sera diffusé, en 1986, dans une quarantaine de pays. " Le peu que nous donnons, ajoute-t-elle, devient infini pour Dieu. " C'est le même message qu'elle délivre aux hommes politiques, aux écrivains, aux évêques qu'elle rencontre lors de ses voyages ou qui, après son prix Nobel, viennent en pèlerinage à Calcutta. C'est dans cette ville que Mère Teresa gardera son quartier général. Chaque jour se forment, à sa porte, de longues files d'attente, où les missionnaires de la Charité distribuent, avec quelques vivres, un peu de soulagement et d'espoir. C'est là que la rencontre Dominique Lapierre, qui décrit, dans un livre devenu un best-seller, La Cité de la joie. " Cette femme peut réunir les hommes beaucoup plus que les livres sacrés et leurs versets ", commente Emmanuel Levinas, le philosophe juif récemment décédé à Paris. Mère Teresa se lie d'une grande amitié avec Jean Paul II. Elle le suit dans ses voyages, participe à ses rassemblements comme celui du 15 août 1993 à Denver (Colorado), devant près d'un demi-million de jeunes. Un jour de 1985, à Nairobi (Kenya), elle quitte le cortège papal. Des journalistes la retrouvent dans un hôpital au milieu de lépreux. " La souffrance physique est très dure, leur dit-elle, mais plus tragique encore le fait d'être indésirable, non aimé, rejeté. " Jean Paul II l'affectionne, au point, s'inquiète-t-on à Rome, de s'enticher d'elle. Il l'invite aux synodes des évêques réunis au Vatican. Elle lui téléphone directement et peut être reçue sur-le-champ. Il la consulte, la cite dans ses discours. A Calcutta, où Mère Teresa le reçoit en 1987, le pape loue la sainte vivante, " dont le témoignage frappe la conscience du monde ". Elle devient son ambassadrice. Il va jusqu'à lui offrir une maison à l'intérieur de la cité du Vatican, qu'elle transforme en un foyer de personnes sans ressources et sans domicile fixe. Mère Teresa ne mâche jamais ses mots. Devant les évêques, au synode de 1980 à Rome consacré à la famille, elle raconte, n'épargnant aucun détail, sa lutte contre la stérilisation des lépreux en Inde et ses campagnes en faveur des méthodes de régulation naturelle des naissances. Devant les chefs d'Etat, elle mène bataille contre l'interruption de grossesse, décrite comme un fléau. " Si vous ne voulez pas de votre enfant, s'écrie t-elle, donnez-le moi. " Elle défend les enfants à naître et les mères au foyer avec la même intransigeance que celle qui la pousse, dans les bidonvilles, au secours des plus pauvres et des infirmes. Mère Teresa voulait " mourir debout ", avait-elle confié dans l'un des nombreux films ou séquences télévisées qui lui ont été consacrés. A pied d'oeuvre depuis l'âge de dix-huit ans, usée par l'âge et la maladie, opérée du coeur en 1992, fréquemment hospitalisée depuis, Mère Teresa était restée jusqu'au bout à l'affût de toutes les souffrances à soulager, des maladies à guérir, des larmes à sécher. Debout elle est morte, et nul doute, si le paradis existe, que saint Pierre lui a déjà ouvert sa porte. HENRI TINCQ Le Monde du 8 septembre 1997

« porte de son collège.

Sa vocation est sur les trottoirs-mouroirs de la ville.

" Je devais sortir du couvent, dit-elle, aider les pauvres,vivre avec eux.

C'était un ordre, un devoir, une certitude.

" Le 16 août 1948, elle abandonne même l'habit occidental des religieuses de Loreto et enfile le sari blanc, bordé de bleu, avecune croix sur l'épaule, qui va pour toujours l'identifier au peuple indien et devenir célèbre dans le monde.

C'est l'habit desmissionnaires de la Charité, une congrégation religieuse qu'elle fonde le 7 octobre 1950, après avoir vaincu les réticences deRome.

Ses premières soeurs sont d'anciennes élèves du collège Sainte-Marie.

Pour elles, Mère Teresa n'a qu'une exigence :renoncer à tout confort matériel, vivre pour les pauvres et au milieu des pauvres.

Elle les conduit parfois d'une main de fer et sebat, avec obstination, sur tous les terrains : la faim, la maladie, la solitude, l'ignorance. Son premier acte symbolique, c'est l'ouverture, en 1952, dans le quartier très populaire de Kalighat, d'un mouroir, un ancienabri de pèlerins qu'elle appelle joliment la Maison du coeur pur, Nirmal Hriday en bengali.

Ce bâtiment accueillera jusqu'à 60 000personnes, venues pour être soignées ou mourir entourées.

Elle créera d'autres foyers de mourants, des léproseries, des crèches,des écoles, des dispensaires.

Au moment de recevoir le prix Nobel, en 1979, elle avait déjà fondé près de deux cents centresd'accueil, en Inde et dans le reste du monde, pour des personnes privées de tout, naufragées de la vie.

Leur nombre a doublédepuis.

Les missionnaires de la Charité aussi se sont multipliées et ont essaimé.

Elles sont aujourd'hui trois mille cinq centsreligieuses, présentes dans près de cent pays. Aucune cause ne lui est étrangère.

Un jour, Mère Teresa se rend en Australie pour sensibiliser l'opinion au sort des aborigènes.En 1970, elle est à Amman, en Jordanie, pour s'occuper de réfugiés palestiniens.

On la voit en Ethiopie pour soulager des crève-la-faim, au Guatemala après le tremblement de terre de 1977, à Beyrouth-Ouest sous les bombes en 1982, à Cuba en 1986.Son autorité est grande à New Delhi, où, dès qu'elle le demande, elle est reçue par le premier ministre.

A Washington, elletéléphone aux présidents Reagan et Clinton et ouvre un foyer pour malades du sida. Des ghettos les plus misérables aux tribunes les plus officielles, elle fait entendre sa voix.

Mais on lui reprochera de trop bonnesrelations avec la famille Duvalier en Haïti ou celle d'Henver Hodja, l'ex-dictateur albanais, ou encore avec la princesse Diana.

Onla dit plus indulgente avec les grands de ce monde qu'avec " les pauvresses, qui ont droit à ses discours sur la morale et surl'obéissance " (dans une biographie de Christopher Hichten). Chez elle, la vie spirituelle est inséparable de son engagement social.

Travailler pour les pauvres, répète Teresa, n'est pas unevocation.

La seule vocation qui compte est l'engagement total au service de Dieu.

" Nous sommes le plus beau des marchés, nousvendons de l'amour ", dit-elle dans un téléfilm qui lui est consacré et sera diffusé, en 1986, dans une quarantaine de pays.

" Lepeu que nous donnons, ajoute-t-elle, devient infini pour Dieu.

" C'est le même message qu'elle délivre aux hommes politiques, auxécrivains, aux évêques qu'elle rencontre lors de ses voyages ou qui, après son prix Nobel, viennent en pèlerinage à Calcutta. C'est dans cette ville que Mère Teresa gardera son quartier général.

Chaque jour se forment, à sa porte, de longues filesd'attente, où les missionnaires de la Charité distribuent, avec quelques vivres, un peu de soulagement et d'espoir.

C'est là que larencontre Dominique Lapierre, qui décrit, dans un livre devenu un best-seller, La Cité de la joie .

" Cette femme peut réunir les hommes beaucoup plus que les livres sacrés et leurs versets ", commente Emmanuel Levinas, le philosophe juif récemmentdécédé à Paris. Mère Teresa se lie d'une grande amitié avec Jean Paul II.

Elle le suit dans ses voyages, participe à ses rassemblements commecelui du 15 août 1993 à Denver (Colorado), devant près d'un demi-million de jeunes.

Un jour de 1985, à Nairobi (Kenya), ellequitte le cortège papal.

Des journalistes la retrouvent dans un hôpital au milieu de lépreux.

" La souffrance physique est très dure,leur dit-elle, mais plus tragique encore le fait d'être indésirable, non aimé, rejeté.

" Jean Paul II l'affectionne, au point, s'inquiète-t-on à Rome, de s'enticher d'elle.

Il l'invite aux synodes des évêques réunis au Vatican.

Elle lui téléphone directement et peut êtrereçue sur-le-champ.

Il la consulte, la cite dans ses discours.

A Calcutta, où Mère Teresa le reçoit en 1987, le pape loue la saintevivante, " dont le témoignage frappe la conscience du monde ".

Elle devient son ambassadrice.

Il va jusqu'à lui offrir une maison àl'intérieur de la cité du Vatican, qu'elle transforme en un foyer de personnes sans ressources et sans domicile fixe. Mère Teresa ne mâche jamais ses mots.

Devant les évêques, au synode de 1980 à Rome consacré à la famille, elle raconte,n'épargnant aucun détail, sa lutte contre la stérilisation des lépreux en Inde et ses campagnes en faveur des méthodes derégulation naturelle des naissances.

Devant les chefs d'Etat, elle mène bataille contre l'interruption de grossesse, décrite comme unfléau.

" Si vous ne voulez pas de votre enfant, s'écrie t-elle, donnez-le moi.

" Elle défend les enfants à naître et les mères au foyeravec la même intransigeance que celle qui la pousse, dans les bidonvilles, au secours des plus pauvres et des infirmes. Mère Teresa voulait " mourir debout ", avait-elle confié dans l'un des nombreux films ou séquences télévisées qui lui ont été. »

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