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Article de presse: La guerre fait demi-tour à Stalingrad

Publié le 17/01/2022

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2 février 1943 - La bataille pour Stalingrad a commencé le 17 juillet 1942 dans la boucle du Don. Après avoir franchi ce fleuve, les Allemands doivent parvenir à cette ville, et être en mesure d'interdire tout trafic russe sur la Volga. Pourquoi Stalingrad devient-elle l'objectif prioritaire ? Certes il y a un motif psychologique. La Wehrmacht a échoué devant Moscou, et ne peut investir Leningrad. Quel coup d'éclat si elle saisit la " ville de Staline " ! Il y a aussi une grande visée stratégique. Si les Allemands ont piétiné devant les deux capitales, c'est en partie parce qu'ils ont manqué de pétrole. Donc il leur faut s'emparer des ressources du Caucase. C'est aussi parce que Moscou est protégée par des environs boisés. Donc, plutôt que de l'attaquer de front, il faut l'encercler par l'arrière. La prise de Stalingrad donne la maîtrise de l'échiquier. Le commandement allemand fait même de cette ville le centre d'une stratégie planétaire. Il s'agit tout simplement, après avoir enlevé le Caucase, de déferler sur le Proche-Orient, de prendre le contrôle des puits pétroliers de cette région, d'obliger au passage la Turquie à se lier aux puissances de l'Axe et de faire la jonction entre les armées du front russe et celles de Rommel en Afrique. Les premières opérations se déroulent conformément au plan. La Wehrmacht s'installe au Kouban, précieux grenier à blé, atteint le Caucase du Nord, pendant que la VI armée du général von Paulus avance sur Stalingrad. Une fois encore, les Soviétiques paraissent surclassés. Les avions allemands peuvent faire jusqu'à trois mille sorties par jour, les soviétiques trois cents seulement. L'attaquant dispose de nombreux chars, l'attaqué en a peu : il ne peut compter que sur l'artillerie installée de l'autre côté de la Volga. Finalement, ordre a été donné aux forces de l'Axe de prendre possession de la ville le 25 août. Elles ont déjà franchi la Volga au nord et formé un saillant profond de 8 kilomètres. Le 23 août, six cents bombardiers tuent quarante mille personnes à Stalingrad. Quelques jours plus tard, les Allemands franchissent la Volga au sud. Ils sont dans les faubourgs. A la mi-octobre, on peut penser que l'affaire est réglée. Les Russes n'ont plus que trois petites têtes de pont. Comment la déroute d'octobre fut-elle transformée en éclatante victoire ? Quels furent les artisans de ce renversement de fortune ? La contre-offensive fut conçue à l'état-major, sous le contrôle de Staline, par Joukov et Vassilevski. Des armées avaient été hâtivement reconstituées sous la direction de Tchouikov, avec les rescapés des batailles précédentes. Depuis septembre, on se disputait la colline de Mamaï, le point culminant où Tchouikov avait installé un précaire poste d'observation et de commandement. Assaillants et assaillis se battaient avec acharnement pour prendre ou garder un mètre de terrain... Selon un officier allemand, ces combats étaient " d'une cruauté et d'une férocité sans précédent ". La grande contre-offensive commença le 19 novembre. Il y avait trois " fronts " russes : ceux de Rokossovski (front du Don), de Vatoutine, et d'Eremenko (front de Stalingrad proprement dit). Selon l'histoire officielle soviétique de la guerre, ces trois fronts groupaient 1 050 000 hommes. Ils disposaient désormais de 900 chars (contre 700 à l'ennemi), de 13 000 canons (contre 10 000) et de 1 000 avions (contre 1 200). D'assiégeant, le général allemand von Paulus devenait assiégé dans le " chaudron de Stalingrad ". A quoi tient cette transformation ? Le matériel avait été enfin acheminé dans des conditions inimaginables, la nuit, par la seule voie ferrée, constamment bombardée le jour, et par la Volga. Les usines évacuées de l'autre côté de l'Oural travaillaient enfin à plein rendement, mais on n'avait pas le temps de constituer des réserves : les chars allaient directement de la fabrique au front. En attendant d'utiliser ce matériel, il fallait le camoufler sur un terrain qui n'offrait pas d'abri naturel. Dans les semaines qui précédèrent la contre-offensive, le commandement soviétique sut pourtant cacher à l'ennemi l'importance des préparatifs et bénéficier ainsi d'un effet de surprise. Il faut dire que le gros de l'effort se porta au moment opportun sur les ailes tenues par les Roumains ou les Italiens, beaucoup moins motivés que les Allemands, ce qui accéléra la décomposition du dispositif. Il faut dire aussi que l'offensive d'été avait coûté cher à la Wehrmacht. Les réserves en vivres et en munitions des troupes enfermées dans le " chaudron " s'épuisaient. Le chef de l'armée, von Paulus, croyait encore aux promesses de Goering qui lui garantissait l'envoi de 500 tonnes par jour. Le flux quotidien ne dépassa pas 100 tonnes et fut de plus en plus réduit. Pendant ce temps, le moral des troupes soviétiques grimpait en dépit de la dureté des combats et de l'importance des pertes. Le 6 novembre, les défenseurs de la cité adressaient à Staline leur célèbre serment : " Nous sommes décidés à lutter jusqu'à la mort. Devant Stalingrad, nous défendrons notre patrie... Ici se décide pour le peuple soviétique la question d'être libre ou de ne pas l'être... Nous jurons de ne jamais ternir la gloire des armes russes... Sous ton commandement, nos pères ont gagné la bataille de Tsaritsyne. Sous ton commandement, nous gagnerons la bataille de Stalingrad ". Les Allemands essayèrent bien de briser l'encerclement en envoyant, le 12 décembre, une colonne blindée, sous le commandement de von Manstein. Le premier jour, la colonne avança de 40 kilomètres. Elle franchit la Myckkova et alla jusqu'à 38 kilomètres du " chaudron ", mais fut repoussée par Malinovski, alors commandant d'une armée. Pendant quelques jours, von Paulus avait eu la possibilité de sortir du piège en rejoignant la colonne blindée... Obéissant aux ordres de Hitler, il refusa de quitter la place et laissa passer l'occasion de sauver sa troupe. Il y avait encore dans la ville et ses faubourgs 195 000 Allemands dont 27 généraux. Paulus rejeta, le 8 janvier, un ultimatum soviétique lui demandant de capituler pour éviter des sacrifices inutiles. Le 17, il rejeta une nouvelle offre de reddition, malgré l'avis de plusieurs de ses généraux. Le 31, il était promu maréchal (Hitler croyait qu'un maréchal ne se rend jamais), mais au même moment il finit par céder. Arrêté par un simple lieutenant, il fut conduit, prisonnier, auprès de généraux soviétiques de son niveau. Il y eut encore des combats jusqu'au 2 février. Quand fut achevée cette bataille, les Allemands durent faire revenir aussi vite que possible leurs troupes envoyées au Caucase. C'est à Stalingrad que la seconde guerre mondiale a fait demi-tour, le 2 février 1943. BERNARD FERON Le Monde du 8 février 1993

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