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Article de presse: La marmite algéroise saute

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

13 mai 1958 - " Nom de Dieu, Léger, qu'est-ce que c'est que ce bordel ? Foutez-moi dehors tous ces excités. " Le capitaine Léger, auquel s'adressait le général Massu, était, dans la soirée du 13 mai 1958, bien en peine d'exécuter son ordre. A quatre, impossible de chasser la foule qui grouille dans l'immeuble du gouvernement général à Alger, jette par les fenêtres des milliers de dossiers, les machines à écrire-l'une d'elles tombe sur la tête d'un des CRS acculés en bas contre le mur-et même les meubles. Léger intervient cependant : " J'admets que nous avons un gouvernement de pourris et d'incapables, mais ce n'est pas une raison pour foutre le mobilier par les fenêtres. Un gouvernement, ça se change, des meubles ça se paye avec l'argent des contribuables. Vous êtes une bande de petits cons. Disparaissez ! " Le vocabulaire, ce soir-là, est hautement militaire. Une heure plus tôt, à 18 heures, sur le plateau des Glières, au-dessous du Forum que domine le gouvernement général, cent mille personnes, excitées par un discours du président de l'association des étudiants d'Alger, Pierre Lagaillarde, hurlaient : " Vive Massu ! Vive l'Algérie française ! ", tandis que le général Salan, commandant supérieur en Algérie, les chefs de l'armée de l'air-le général Jouhaud-et de la marine-l'amiral Auboyneau,-ainsi que Massu, commandant militaire du département d'Alger, et le préfet de région Serge Barret déposaient une gerbe au monument aux morts. Tous les éléments sont réunis pour que la marmite algéroise saute. La gerbe est déposée à la mémoire de trois soldats français prisonniers depuis 1956 : le FLN a annoncé le 9 mai qu'ils ont été fusillés à la suite du bombardement aérien, le 8 février, du village de Sakhiet-Sidi-Youssef, en territoire tunisien, par l'aviation française. La crise internationale qui a suivi cette annonce a abouti à la nomination de deux " MM. Bons Offices " entre la Tunisie et la France, Robert Murphy et Harold Beeley. On ne veut connaître et dénoncer que le premier, l'Américain Robert Murphy, ancien consul général à Alger. Avant la cérémonie du plateau de Glières, des manifestants ont mis à sac, rue Michelet, le centre culturel américain... Surtout, depuis le 9 avril, la France n'a plus de gouvernement. Celui de Félix Gaillard, renversé, expédie les affaires courantes. On a fait appel à Georges Bidault, puis à René Pleven. Ils ont échoué. Le ministre résident en Algérie, Robert Lacoste, qui a échauffé les esprits en prédisant un " Dien-Bien-Phu diplomatique ", est à Paris. Les ultras, à Alger, n'ont cessé de comploter, s'assurant le concours des réservistes des unités territoriales. Ils ont à Paris l'appui des hommes politiques partisans de l'Algérie française, qui veulent non pas renverser un régime affaibli mais pousser au pouvoir un gouvernement " de salut public " qui leur soit totalement acquis. Les gaullistes cherchent, eux, à créer les conditions d'un retour au pouvoir du général de Gaulle. Ils sont aidés par le ministre de la défense nationale, Jacques Chaban-Delmas. Sous couvert d'une " antenne " de son ministère, ont été envoyés à Alger des hommes sûrs, qui ont pris contact avec certains groupements activistes et certains chefs militaires, comme le général Gilles, nouvellement nommé à la tête de la région de Constantine, et le colonel Bigeard. Encore ne s'agit-il là que de quelques-uns des complots ou des manoeuvres qui agitent la classe politique métropolitaine et les ultras algériens. Sur le plateau des Glières, les généraux et l'amiral se sont retirés, la brève cérémonie achevée, avec un discret soulagement. L'immense foule, loin de se disperser, grimpe vers le Forum. Les CRS et les gardes mobiles sont vite débordés, noyés dans la masse qui escale les escaliers monumentaux. La compagnie du 3e régiment de parachutistes coloniaux du colonel Trinquier arrivée en renfort, est, elle, diluée sous les embrassades et les adjurations. Elle ne pourrait guère résister, en aurait-elle la ferme volonté. Un de ses camions, crabotage engagé, force lentement les grilles du portail. Massu intervient Le GG, comme on dit à Alger, est envahi, malgré les tentatives du général Allard et du colonel Ducournau pour calmer les manifestants. La mise à sac commence. Jacques Massu n'appartient à aucun complot. Il porte le poids de la bataille d'Alger contre le terrorisme, qu'il a menée sans regarder aux moyens, comme le lui ont enjoint ministres et généraux. Il est, en France, considéré par une partie-restreinte-de l'opinion comme une brute sanguinaire : il est, pour la même raison, follement populaire à Alger. En fait, si Massu est un esprit porté à la simplification, ce n'est nullement un simple d'esprit ni, comme on le dira, une sorte de fasciste ou un homme de pronunciamiento. C'est un guerrier aux réactions promptes, avec le profil de Cyrano et le langage de Cambronne. Le " bordel " que, rappelé en hâte de son QG à 19 h 15, il découvre, il ne l'a pas provoqué. Il a même horreur de ça : ces civils inconnus ruisselant de toutes les portes, escaladant les fenêtres, dans une frénésie incontrôlable ce rez-de-chaussée inondé par les pompiers qui ont éteint un incendie dans les archives... Le colonel Trinquier, qui a assisté à la scène depuis les hauts d'Alger, arrive avec les compagnies restantes pour apercevoir le général Salan qui s'avance au balcon. Hué par la foule, qui voit en lui l'homme de Paris, le commandant supérieur interarmées disparaît. Massu, au premier étage, dans le vaste bureau du directeur du cabinet de Robert Lacoste, est entouré de manifestants comme un sanglier dans une meute. Le chef du 3e RPC redescend au Forum et en revient aussitôt, hissé de gré ou de force sur les épaules des émeutiers. Le général Salan s'est retiré en silence dans une pièce exceptionnellement épargnée, avec les grands chefs et des membres de son état-major. Faute d'avoir pu les refouler, Massu assure d'abord à ceux qui le pressent de prendre le pouvoir, en termes fort clairs, qu'ils... l'ennuient. Mais il est seul, sans directives, au milieu du tourbillon. Puisque le mouvement est impossible à maîtriser à moins de tirer sur une foule désarmée, il faut le " coiffer ". " En parachutiste habitué à la manoeuvre, je sens que le moment est venu de sauter et je saute (1). " Il se nomme président d'un comité de salut public. Sur une feuille de papier, il inscrit les noms des trois colonels qui l'entourent Trinquier, Ducasse et Thomazo, de Pierre Lagaillarde, puis, comme on établit une liste pour une corvée de cantonnement, ceux de six autres civils inconnus qui sont là. L'un déclare simplement représenter " la foule ". Le colonel Godard, chef du secteur Alger-Sahel, ( " Votre comité a pour nom rébellion " ) et son adjoint, le colonel Vaudrey, refusent. Le général Salan, dans son salon, reste de marbre. Massu, au balcon, lance à 20h45 sa proclamation : " Moi, général Massu, je viens de former un comité de salut public (...) pour qu'en France soit formé un gouvernement de salut public, présidé par le général de Gaulle. " Il est acclamé, mais personne apparemment ne prête attention à la référence à l'ancien chef de la France libre, qu'on n'aime guère à Alger. Puis, au préfet d'Oran, Maurice Lambert-il sera défenestré le lendemain,-qui l'appelle au téléphone pour le morigéner, le général-président répond : " Que feriez-vous à ma place ? " Le colonel Trinquier, averti que, d'une pièce voisine, l'état-major a fait appel à la 7e division mécanique rapide (DMR) pour rétablir l'ordre, enjoint ostensiblement à ses officiers de tirer au bazooka sur le premier char qui se présenterait. Et aussi sur le deuxième... L'affaire n'ira pas plus loin. A 22 heures, les gendarmes tenteront cependant de repousser la foule du Forum. Sur les ordres du colonel Trinquier et de ses officiers ( " Nous avions besoin d'elle " ), les manifestants se couchent et les gendarmes s'arrêtent puis reculent. C'est alors qu'apparaissent ou reparaissent les " politiques ". D'une part, les gaullistes, d'autre part, le général Salan. Les gaullistes : Léon Delbecque, de l'antenne de la défense nationale, qui est, dit-il, le représentant de Jacques Soustelle, gaulliste, ancien gouverneur général de l'Algérie, et Lucien Neuwirth, réserviste en uniforme, venu de métropole. Ils se déclarent les organisateurs de la manifestation de l'après-midi ils réclament de faire partie, avec leurs amis, du comité de salut public-et l'obtiennent. Ainsi, leur propre complot n'ayant pas réussi, vont-ils, en se recommandant de Jacques Soustelle, noyauter le comité issu de la foule et l'orienter. Pendant ce temps, à Paris, où l'inquiétude est grande, Pierre Pflimlin a été investi à 2 h 45 par l'Assemblée nationale. Massu, au nom du comité, l'annonce à la foule toujours présente, évoque la venue prochaine de Jacques Soustelle, que les Algérois attendent sous les étoiles, et supplie le général de Gaulle de " vouloir bien rompre le silence en s'adressant au pays en vue de la formation d'un gouvernement de salut public ". Quant au général Salan, qui, disait le général de Lattre, " a toujours préféré laisser venir les situations pour ensuite les prendre solidement en main ", il sort de son silence pour faire lire vers 3 heures du matin, au micro, un communiqué soigneusement pesé : " Ayant mission de vous protéger, je prends provisoirement en main les destinées de l'Algérie française. Je vous demande de faire confiance à l'armée et à ses chefs et de montrer, par votre calme, votre détermination. " D'ailleurs, il a reçu, au cours de la nuit, de Félix Gaillard, qui va passer ses pouvoirs-il a l'accord de son successeur Pflimlin, qui confirmera,-les pouvoirs civils de maintien de l'ordre. Ainsi pourra-t-il, avant l'arrivée de Jacques Soustelle, dont il redoute la popularité, se présenter à la fois, au moins pour un temps, comme le représentant du pouvoir républicain et le chef de la rébellion, comme le commandant supérieur des forces françaises en Algérie, responsable du maintien de l'ordre, qui ne rompt pas la chaîne hiérarchique légale, et le champion de l'Algérie " intégrée ". Pour peu de temps. La porte entrouverte à Charles de Gaulle, celui-ci saura la pousser avant d'écarter ceux qui lui demanderont, comme Léon Delbecque, s'il a " franchi le Rubicon pour y pêcher à la ligne ". Quant au général Massu, après ce qu'il appellera " la nuit la plus longue " , il rentre se reposer quelques heures. Il espère que la voix de de Gaulle se fera maintenant entendre. Lui, après tant d'adjurations, a perdu la sienne. Il se plonge dans un bain chaud et prend une inhalation d'eucalyptus. JEAN PLANCHAIS Le Monde du 7-8 mai 1985

« Le colonel Trinquier, qui a assisté à la scène depuis les hauts d'Alger, arrive avec les compagnies restantes pour apercevoir legénéral Salan qui s'avance au balcon.

Hué par la foule, qui voit en lui l'homme de Paris, le commandant supérieur interarméesdisparaît. Massu, au premier étage, dans le vaste bureau du directeur du cabinet de Robert Lacoste, est entouré de manifestants commeun sanglier dans une meute.

Le chef du 3 e RPC redescend au Forum et en revient aussitôt, hissé de gré ou de force sur les épaules des émeutiers. Le général Salan s'est retiré en silence dans une pièce exceptionnellement épargnée, avec les grands chefs et des membres deson état-major. Faute d'avoir pu les refouler, Massu assure d'abord à ceux qui le pressent de prendre le pouvoir, en termes fort clairs, qu'ils...l'ennuient.

Mais il est seul, sans directives, au milieu du tourbillon.

Puisque le mouvement est impossible à maîtriser à moins detirer sur une foule désarmée, il faut le " coiffer ". " En parachutiste habitué à la manoeuvre, je sens que le moment est venu de sauter et je saute (1).

" Il se nomme président d'un comité de salut public.

Sur une feuille de papier, il inscrit les noms des trois colonels qui l'entourent Trinquier, Ducasse etThomazo, de Pierre Lagaillarde, puis, comme on établit une liste pour une corvée de cantonnement, ceux de six autres civilsinconnus qui sont là.

L'un déclare simplement représenter " la foule ".

Le colonel Godard, chef du secteur Alger-Sahel, ( " Votrecomité a pour nom rébellion " ) et son adjoint, le colonel Vaudrey, refusent.

Le général Salan, dans son salon, reste de marbre. Massu, au balcon, lance à 20h45 sa proclamation : " Moi, général Massu, je viens de former un comité de salut public (...) pourqu'en France soit formé un gouvernement de salut public, présidé par le général de Gaulle.

" Il est acclamé, mais personneapparemment ne prête attention à la référence à l'ancien chef de la France libre, qu'on n'aime guère à Alger.

Puis, au préfetd'Oran, Maurice Lambert-il sera défenestré le lendemain,-qui l'appelle au téléphone pour le morigéner, le général-présidentrépond : " Que feriez-vous à ma place ? " Le colonel Trinquier, averti que, d'une pièce voisine, l'état-major a fait appel à la 7 e division mécanique rapide (DMR) pour rétablir l'ordre, enjoint ostensiblement à ses officiers de tirer au bazooka sur le premierchar qui se présenterait.

Et aussi sur le deuxième... L'affaire n'ira pas plus loin. A 22 heures, les gendarmes tenteront cependant de repousser la foule du Forum.

Sur les ordres du colonel Trinquier et de sesofficiers ( " Nous avions besoin d'elle " ), les manifestants se couchent et les gendarmes s'arrêtent puis reculent. C'est alors qu'apparaissent ou reparaissent les " politiques ".

D'une part, les gaullistes, d'autre part, le général Salan.

Lesgaullistes : Léon Delbecque, de l'antenne de la défense nationale, qui est, dit-il, le représentant de Jacques Soustelle, gaulliste,ancien gouverneur général de l'Algérie, et Lucien Neuwirth, réserviste en uniforme, venu de métropole.

Ils se déclarent lesorganisateurs de la manifestation de l'après-midi ils réclament de faire partie, avec leurs amis, du comité de salut public-etl'obtiennent.

Ainsi, leur propre complot n'ayant pas réussi, vont-ils, en se recommandant de Jacques Soustelle, noyauter le comitéissu de la foule et l'orienter. Pendant ce temps, à Paris, où l'inquiétude est grande, Pierre Pflimlin a été investi à 2 h 45 par l'Assemblée nationale.

Massu, aunom du comité, l'annonce à la foule toujours présente, évoque la venue prochaine de Jacques Soustelle, que les Algéroisattendent sous les étoiles, et supplie le général de Gaulle de " vouloir bien rompre le silence en s'adressant au pays en vue de laformation d'un gouvernement de salut public ". Quant au général Salan, qui, disait le général de Lattre, " a toujours préféré laisser venir les situations pour ensuite les prendresolidement en main ", il sort de son silence pour faire lire vers 3 heures du matin, au micro, un communiqué soigneusement pesé :" Ayant mission de vous protéger, je prends provisoirement en main les destinées de l'Algérie française.

Je vous demande de faireconfiance à l'armée et à ses chefs et de montrer, par votre calme, votre détermination.

" D'ailleurs, il a reçu, au cours de la nuit,de Félix Gaillard, qui va passer ses pouvoirs-il a l'accord de son successeur Pflimlin, qui confirmera,-les pouvoirs civils demaintien de l'ordre. Ainsi pourra-t-il, avant l'arrivée de Jacques Soustelle, dont il redoute la popularité, se présenter à la fois, au moins pour untemps, comme le représentant du pouvoir républicain et le chef de la rébellion, comme le commandant supérieur des forcesfrançaises en Algérie, responsable du maintien de l'ordre, qui ne rompt pas la chaîne hiérarchique légale, et le champion del'Algérie " intégrée ".. »

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