Article de presse: La " normalisation " politique s'achève en Algérie sur fond de massacres
Publié le 17/01/2022
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25 décembre 1997 - Les partisans du président Liamine Zeroual ont raflé la plupart des sièges sénatoriaux qui étaient attribués, jeudi 25 décembre, au suffrage indirect. Annoncés en fin de journée à la télévision par le ministre de l'intérieur, Mostefa Benmansour, les résultats confirment d'abord la suprématie du Rassemblement national démocratique (RND), le parti du chef de l'Etat, créé il y a un an, qui s'adjuge 80 des 96 sièges à pourvoir. Fin octobre, le RND avait déjà remporté une victoire contestée lors des élections communales et départementales.
Le Front de libération nationale (FLN), l'ex-parti unique, fait également bonne figure. Au vu de ses résultats aux élections locales, il n'était en mesure de revendiquer que 2 sièges (malgré ses 165 candidats). Il en obtient en fait 10, grâce, semble-t-il, au soutien de grands électeurs proches du RND. Egalement membres de la coalition gouvernementale, les islamistes " modérés " du MSP (ex-Hamas), de Mahfoud Nahnah, font en revanche piètre figure avec seulement 2 élus. Sans surprise, le Front des forces socialistes (FFS), d'Hocine Aït-Ahmed, engrange les 4 sièges à pourvoir en Kabylie (Tizi-Ouzou et Bejaïa), le bastion du parti. En revanche, la formation concurrente, le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), du docteur Saïd Sadi, en dépit de ses 11 candidats, ne sera pas représentée à la Chambre haute. Il en sera de même d'une autre formation de l'opposition, le Mouvement islamiste Ennahda (Renaissance), dont aucun des 30 candidats ne l'a emporté. Au total, 10 formations politiques sur 14 n'ont eu aucun élu.
Avant d'annoncer le résultat du vote des 15 003 grands électeurs, le ministre de l'intérieur avait déclaré que ces élections, qui se sont déroulées " dans la sérénité " , confirment " le parachèvement de l'édifice institutionnel de la République " et consacrent " définitivement le choix démocratique de l'Algérie " . M. Benmansour a dit également sa fierté pour " notre système démocratique fondé sur des institutions élues " .
Avant que ne siège le Conseil de la nation (pour une durée de six ans), le président de la République doit en compléter les rangs par la désignation de 48 membres supplémentaires. La Constitution (article 101) précise que ces futurs sénateurs, dont les mandats sont renouvelables par moitié tous les trois ans, seront choisis " parmi les personnalités et compétences nationales dans les domaines scientifique, culturel, professionnel, économique et social " . Leurs noms n'ont pas encore été annoncés et la presse continuait jeudi à avancer des listes invérifiables. La même incertitude concerne la date d'installation du Conseil de la nation, dont le président assumerait la présidence de la République en cas de vacance du pouvoir. Selon certains organes de presse, cette installation pourrait avoir lieu le 10 janvier.
La mise en place de cette Chambre haute apporte une touche finale à trois ans de reconstruction institutionnelle destinée à effacer le coup d'Etat militaire de janvier 1992 (en réponse à la victoire des islamistes aux législatives de décembre 1991). Première pièce de l'édifice, l'élection présidentielle au suffrage universel (16 novembre 1995), marquée par la victoire du général à la retraite Liamine Zeroual, a été suivie un an plus tard par l'adoption d'une nouvelle Constitution, accordant des pouvoirs très étendus au chef de l'Etat. Ont été organisées par la suite des élections législatives (juin 1997) et locales (octobre 1997), toutes deux remportées haut la main par des formations proches du pouvoir. Pour autant, la violence ne semble pas faiblir. Dans la nuit du mardi 23 au mercredi 24 décembre, entre 81 et 120 personnes, selon la presse, ont été assassinées dans deux hameaux isolés proches de Tiaret, dans le sud-ouest du pays. Le bilan officiel parle de 48 morts et d'une trentaine de blessés graves. La même nuit, mais à Baïnem, à la périphérie de la capitale, ce sont onze personnes, appartenant à deux familles, qui ont été égorgées et mutilées par un groupe armé.
Le chef de la deuxième région militaire, le général Kamel Abderrahim, qui s'est rendu à Tiaret, a reconnu l'impuissance des autorités à faire cesser ces massacres. " L'Etat, a-t-il dit aux habitants selon la presse, ne peut mettre un soldat devant chaque maison. Vous avez le choix entre prendre des armes individuellement, vous regrouper et armer un groupe de jeunes ou déménager et rejoindre les villes. "
JEAN-PIERRE TUQUOI
Le Monde du 27 décembre 1997
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