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Article de presse: Les massacres continuent en Algérie

Publié le 17/01/2022

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5 janvier 1998 - Le jour même où le ministre algérien de l'intérieur, Moustafa Benmansour, affirmait à Tunis que "le terrorisme destructeur [vit] ses dernières heures", de nouveaux massacres sont venus démentir ces propos lénifiants. Selon le quotidien La Tribune du mardi 6 janvier, plus de 160 civils ont été tués samedi et dimanche au cours de trois attaques de villages dans l'ouest algérien. Si on ajoute à ce chiffre les victimes de tueries évoquées mardi par d'autres quotidiens, ce sont au total plus de 200 personnes qui auraient trouvé la mort ces derniers jours. A en croire La Tribune, 117 civils ont été tués samedi soir dans la localité de Meknassa, dans la région de Rélizane, tandis que le hameau de Had Chekala aurait été "rasé" le lendemain par une trentaine d'agresseurs. C'est peu dire qu'Alger, confronté à des massacres incessants, se retrouve aujourd'hui en mauvaise posture. Car si l'opinion publique algérienne est condamnée au silence, les capitales étrangères haussent le ton. Non pas qu'elles mettent en cause la responsabilité du pouvoir algérien dans des massacres qui ont fait des centaines de morts depuis le début du ramadan, mardi 30 décembre. Au-delà des condamnations indignées "des actes de sauvagerie barbares", ce qui est cause, en premier lieu, c'est l'incapacité du gouvernement algérien à assurer la sécurité de ses citoyens. "Le droit légitime de la population à être protégée" vaut aussi en Algérie, a rappelé, lundi 5 janvier, le ministère français des affaires étrangères. "Le devoir de tout gouvernement est de permettre à ses citoyens de vivre en paix et en sécurité", insiste le Quai d'Orsay dans un communiqué. Le son de cloche est identique aux Etats-Unis. "Nous souhaiterions voir le gouvernement [algérien] faire plus pour protéger ses habitants", a lancé lundi le porte-parole du département d'État, James Rubin. Cette exhortation de Washington s'accompagne d'une demande : qu'une "enquête internationale", conduite sur place par des organisations non gouvernementales (ONG), permette de "faire la lumière" sur les auteurs des massacres. Depuis les tueries à grande échelle commises dans la Mitidja à l'automne 1997, Alger, au nom de "la souveraineté nationale", a rejeté avec constance ce type de demande. Dégradation Mais avec les derniers massacres, c'est la nature même du régime algérien qui est ouvertement montrée du doigt par les Occidentaux. Officiellement, aux yeux de ses dirigeants, l'Algérie est aujourd'hui une démocratie à part entière. Elle "peut se targuer à juste titre de figurer parmi les rares pays de l'hémisphère sud à se doter d'institutions légitimes, d'une démocratie pluraliste et donc d'un Etat de droit", écrivait le quotidien pro-gouvernemental El Moudjahid, dimanche, au lendemain de l'installation du Conseil de la nation, un Sénat contrôlé par le président Zéroual, à l'image des autres institutions de l'État. Les Occidentaux ne partagent pas cette vision rose. Le ton, cette fois, a été donné par la France. Le Quai d'Orsay a appelé de ses voeux, lundi après-midi, "une démocratisation authentique" seule à même " d'associer à la vie politique toutes les forces désireuses de mettre un terme à la violence et de participer à la reconstruction d'une Algérie pacifiée " . La formule est un appel, à peine voilé, au retour dans la vie politique de l'ex-Front islamique du salut (FIS). La réplique algérienne n'a pas tardé. Une poignée d'heures après la publication du communiqué du Quai d'Orsay, un porte-parole du ministère algérien des affaires étrangères s'en est pris aux autorités françaises qui "n'ont aucun titre, ni qualité à rappeler au gouvernement algérien ses devoirs, tout comme il est bien malvenu, de leur part, de prétendre suggérer des solutions alors même que l'Algérie est en train de conduire une démarche de sortie de crise qu'elle s'est librement donnée". La déclaration française, poursuit le communiqué, "ne rompt pas avec l'attitude du gouvernement français qui continue à cultiver l'amalgame, l'équivoque et la dénaturation des réalités dans notre pays [... ] Une telle attitude ne peut procéder que d'un manque de discernement ou d'une volonté délibérée de manipulation des faits." Cette dégradation du climat entre les deux capitales n'est pas pour étonner. Avec l'arrivée de Lionel Jospin à Matignon, les critiques de Paris à l'encontre d'Alger, jusqu'ici à mots couverts, se sont faites plus précises. Interrogé fin septembre sur TF 1, le premier ministre n'avait-il mis en cause "le pouvoir [algérien] qui lui-même utilise d'une certaine façon la violence et la force de l'État". "Nous voyons bien une terreur affreuse, une violence scandaleuse qui se développe contre les populations, mais il est extrêmement difficile d'identifier ce qui se passe", ajoutait M. Jospin. Conduite par Daniel Cohn-Bendit, une délégation de parlementaires de Strasbourg doit se rendre à Alger le mois prochain. Le chef de la diplomatie allemande, Klaus Kinkel, a annoncé dimanche avoir contacté la Grande-Bretagne, qui assume la présidence de l'Union européenne (UE), pour envoyer la "troïka" européenne (Luxembourg, Grande-Bretagne, Autriche) enquêter sur les massacres et étudier les moyens de venir en aide aux victimes. Pour en discuter, M. Kinkel a suggéré la tenue d'une réunion d'urgence des directeurs politiques de l'Union dès cette semaine à Bruxelles. Que M. Kinkel ait pris soin de préciser que les Quinze ne viendraient en aide aux populations qu'avec le feu vert du régime algérien ne suffira sans doute pas à apaiser les réticences de ce dernier. JEAN-PIERRE TUQUOI Le Monde du 7 janvier 1998

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