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Article de presse: La percée africaine de Moscou

Publié le 17/01/2022

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22 mars 1977 - Arrivée de Nicolas Podgorny a Dar-es-Salaam pour une visite officielle de trois jours. Le chef de l'Etat soviétique se rend ensuite a Lusaka, puis a Maputo. L'URSS est-elle vraiment en train de réussir sa " percée africaine "? Sur les cartes publiées dans des journaux occidentaux, les pays qui lui sont supposés acquis forment une envahissante tache noire. De la Somalie au Mozambique, en passant par l'Angola, le Bénin et le Congo, certains régimes sont tenus pour " marxistes ", tandis qu'un grisé plus ou moins sombre rend compte des contaminations en cours du fait d'une " présence active " de l'URSS au Nigeria, en Ethiopie, au Mali ou ailleurs. L'aggravation de la situation en Afrique australe, les positions encore équivoques de l'Occident à l'égard des régimes minoritaires, et la radicalisation des partisans de la lutte armée offrent en effet à Moscou, sur le continent noir, une marge de manoeuvre sans précédent. Les chefs des mouvements de libération, qu'il s'agisse de la SWAPO namibienne ou de l'ANC de Rhodésie, se succèdent au Kremlin, où ils s'entendent promettre, dans des communiqués chaleureux, une aide morale et militaire accrue. En juin 1976, lors de la visite du premier ministre angolais, l'URSS a proclamé sa " solidarité inconditionnelle " avec les luttes de libération. Depuis l'intervention cubaine en Angola, et bien que La Havane ait assuré, de façon peu convaincante, en avoir pris seule l'initiative, l'Union soviétique paraît dotée d'un bras séculier efficace. Toutefois, cette intervention elle-même, précédent redouté par beaucoup d'Africains, n'est pas entièrement concluante, et tout indique que les soldats de M. Fidel Castro se heurtent à forte partie. L'ambassadeur américain auprès de l'ONU, M. Andrew Young, qui avait fait scandale en créditant les Cubains d'avoir instauré " une certaine stabilité ", n'a pas mal décrit leur situation en déclarant récemment au Washington Post qu'ils " s'enlisent dans le marécage africain ". Dans ces conditions, le prestige de l'URSS devrait être à son zénith auprès de ses alliés africains. D'autant qu'à en juger par les proclamations officielles, le " marxisme-léninisme " fleurit au sud du Sahara. Le FRELIMO mozambicain vient de s'en réclamer, en se transformant en " parti d'avant-garde " d'une classe ouvrière encore à naître, et en choisissant, non sans témérité, la voie de l' " industrie lourde ". Le Bénin et le Congo exaltent lyriquement la " dictature du prolétariat ". Pourtant, depuis qu'en décembre 1961 l'ambassadeur soviétique fut expulsé de Conakry sous l'accusation d'avoir voulu " remplacer un impérialiste par un autre ", il n'apparaît pas que l'URSS ait réussi à trouver sur le continent un seul régime inconditionnellement acquis à ses vues. Moscou a consenti un effort financier non négligeable. Des 3 milliards de dollars dépensés, selon le Pentagone, entre 1970 et 1976, dans onze pays africains, l'URSS a consacré plus de la moitié à l'Egypte, où elle a perdu assez piteusement sa mise. Si ses armes et ses experts militaires sont très appréciés, son influence politique et son enracinement en terre africaine demeurent en fin de compte assez modestes. Soutenu par l'URSS, M. Joshua Nkomo, l'un des dirigeants du Front patriotique rhodésien, a tenu à rappeler à Lusaka, le 17 mars, que son mouvement de libération " n'a jamais été inspiré ou influencé par les Etats communistes ". En une phrase, il a livré le secret de beaucoup d'attitudes " prosoviétiques " : " Si les pays occidentaux nous croient inspirés par certains Etats dont nous pourrions devenir les marionnettes, qu'ils nous mettent à l'épreuve en nous apportant une aide massive, et ils verront que nous ne la refuserons pas. " Les autres obligés se montrent tout aussi jaloux de leur autonomie. La Somalie, qui a longtemps passé pour l'allié le plus fidèle de Moscou, et bénéficie d'une aide militaire massive, 130 millions de dollars et près de deux mille conseillers), montre des signes de lassitude et secoue une tutelle jugée encombrante. Elle menace même, sous l'influence de l'Arabie saoudite et des régimes arabes modérés, de virer de bord au moment où Moscou transfère sa mise-non sans hésitation-sur une Ethiopie " révolutionnaire " mais incertaine. L'accession à l'indépendance de Djibouti, dans des conditions qui, pour l'essentiel, satisfont Mogadiscio, accélère cette évolution. Le Mozambique et l'Angola, pourtant dirigés par les mouvements de libération qui furent toujours aidés par Moscou, et lui en restent reconnaissants, cachent à peine leur désenchantement à l'égard de l'assistance soviétique, jugée mesquine et assortie de conditions financières trop dures. Rien n'a changé depuis l'époque où Khrouchtchev justifiait cette ladrerie avec son bon sens paysan: " Nous observons toujours une certaine prudence à l'égard de gens qui adoptent une étiquette mais semblent s'intéresser avant tout à notre aide militaire. " (1) La coopération civile soviétique se heurte toujours, en effet, à des difficultés. Dans toutes les capitales où elle s'exerce, les Africains se plaignent de l' " arrogance " ou du " manque de contacts humains " des représentants de l'URSS, souvent coupés de la population et même soupçonnés de ne pas nourrir envers les Noirs de sympathies particulières. En dépit de la qualité de certains diplomates qui, parfois, tel l'ambassadeur en Zambie, M. Solodovnikov, sont de remarquables spécialistes, le courant ne passe guère, et c'est un lieu commun en Afrique que d'opposer l'aide soviétique à celle, " discrète, désintéressée et efficace " des Chinois, vivant pauvrement, acceptant toutes les tâches, apprenant la langue du pays, et suscitant souvent l'admiration de leurs hôtes. Une mêlée confuse Dans sa politique africaine, l'URSS ne semble pas, au demeurant, accorder un intérêt particulier aux affinités " idéologiques ". Le président soudanais fut reçu à Moscou quelques mois après avoir massacré les dirigeants du PC impliqués dans une tentative de putsch. L'agence Tass vient, pour sa part, toute honte bue, de voler au secours du maréchal Amin, qualifié de " progressiste ", et armé par Moscou. De son côté, M. Fidel Castro, par la grâce d'un abrazo spectaculaire, a fait un " révolutionnaire " de l'intégriste islamique qu'est le colonel Kadhafi. Dans la partie engagée entre Moscou et Washington, seul le résultat compte, et tous les coups sont permis. En effet, sur un continent qui, en quelques années, s'est transformé en poudrière, la lutte contre le sous-développement et même les affrontements entre " militants " et modérés cèdent de plus en plus le pas à une mêlée confuse entre voisins. Soudan contre Ethiopie. Ethiopie contre Somalie, Ouganda contre Kenya, accusations qui s'entrecroisent à propos du raid mené contre le Bénin, troubles à la frontière du Zaïre et de l'Angola, querelle du Sahara occidental..., une grande rumeur guerrière monte du continent, où la fiction du respect des frontières héritées de la colonisation est en train de s'effondrer. Dans ce combat de tous contre tous, chacun cherche des alliés et des pourvoyeurs d'armement. C'est en ce sens que se justifie l'apparent paradoxe du président Senghor, pour qui " la dépendance envers l'étranger est plus grave aujourd'hui que du temps du régime colonial ". La fin du rêve de la solidarité continentale préoccupe beaucoup d'Africains. Le secrétaire général de l'OUA, M. Eteki M'Boumoua, vient de constater, dans un rapport d'un pessimisme lucide, " l'absence de volonté politique des Etats, non seulement pour construire en commun, pour organiser l'assistance, pour exploiter les complémentarités, mais aussi, hélas! pour sauvegarder ce qui existe et éviter l'éclatement des structures communautaires qui ont eu un caractère exemplaire ". " C'est le cas, ajoute-t-il, de la communauté est-africaine, dont l'éclatement médiocre nous consterne. " Il déplore " la multiplication de points chauds, de conflits entre Etats membres, la cristallisation de situations d'essence colonialiste. " L'attitude des régimes blancs d'Afrique australe ne fait, à cet égard, qu'exaspérer les tensions, et fournir à l'URSS et à ses alliés des possibilités d'intervention. Sans le raid angolais des soldats de M. Vorster, les Cubains n'auraient pas pu monter leur " opération Charlotte ", et faire combattre leur armée dans un Etat africain. PAUL-JEAN FRANCESCHINI Le Monde du 20-21 mars 1977

« spécialistes, le courant ne passe guère, et c'est un lieu commun en Afrique que d'opposer l'aide soviétique à celle, " discrète,désintéressée et efficace " des Chinois, vivant pauvrement, acceptant toutes les tâches, apprenant la langue du pays, et suscitantsouvent l'admiration de leurs hôtes. Une mêlée confuse Dans sa politique africaine, l'URSS ne semble pas, au demeurant, accorder un intérêt particulier aux affinités " idéologiques ".Le président soudanais fut reçu à Moscou quelques mois après avoir massacré les dirigeants du PC impliqués dans une tentativede putsch. L'agence Tass vient, pour sa part, toute honte bue, de voler au secours du maréchal Amin, qualifié de " progressiste ", et armépar Moscou.

De son côté, M.

Fidel Castro, par la grâce d'un abrazo spectaculaire, a fait un " révolutionnaire " de l'intégristeislamique qu'est le colonel Kadhafi.

Dans la partie engagée entre Moscou et Washington, seul le résultat compte, et tous lescoups sont permis. En effet, sur un continent qui, en quelques années, s'est transformé en poudrière, la lutte contre le sous-développement et mêmeles affrontements entre " militants " et modérés cèdent de plus en plus le pas à une mêlée confuse entre voisins.

Soudan contreEthiopie. Ethiopie contre Somalie, Ouganda contre Kenya, accusations qui s'entrecroisent à propos du raid mené contre le Bénin,troubles à la frontière du Zaïre et de l'Angola, querelle du Sahara occidental..., une grande rumeur guerrière monte du continent,où la fiction du respect des frontières héritées de la colonisation est en train de s'effondrer.

Dans ce combat de tous contre tous,chacun cherche des alliés et des pourvoyeurs d'armement.

C'est en ce sens que se justifie l'apparent paradoxe du présidentSenghor, pour qui " la dépendance envers l'étranger est plus grave aujourd'hui que du temps du régime colonial ". La fin du rêve de la solidarité continentale préoccupe beaucoup d'Africains.

Le secrétaire général de l'OUA, M.

EtekiM'Boumoua, vient de constater, dans un rapport d'un pessimisme lucide, " l'absence de volonté politique des Etats, nonseulement pour construire en commun, pour organiser l'assistance, pour exploiter les complémentarités, mais aussi, hélas! poursauvegarder ce qui existe et éviter l'éclatement des structures communautaires qui ont eu un caractère exemplaire ". " C'est le cas, ajoute-t-il, de la communauté est-africaine, dont l'éclatement médiocre nous consterne.

" Il déplore " lamultiplication de points chauds, de conflits entre Etats membres, la cristallisation de situations d'essence colonialiste.

" L'attitudedes régimes blancs d'Afrique australe ne fait, à cet égard, qu'exaspérer les tensions, et fournir à l'URSS et à ses alliés despossibilités d'intervention.

Sans le raid angolais des soldats de M.

Vorster, les Cubains n'auraient pas pu monter leur " opérationCharlotte ", et faire combattre leur armée dans un Etat africain. PAUL-JEAN FRANCESCHINILe Monde du 20-21 mars 1977. »

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