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Article de presse: Moscou dans le concert européen

Publié le 22/02/2012

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14 mai 1997 - Quand l'Alliance atlantique fêtera son cinquantième anniversaire en avril 1999, les dirigeants occidentaux pourront penser, à bon droit, qu'elle revient de loin. Fondée en 1949 pour contenir la menace soviétique, elle a pendant quarante ans rempli sa mission. Mais après l'ouverture du mur de Berlin, l'effondrement du système soviétique et la dissolution du pacte de Varsovie, ses jours paraissaient comptés. Il ne manquait pas de voix à l'Est, bien sûr, mais également à l'Ouest, pour estimer qu'elle avait perdu sa raison d'être. Or, c'est autour de l'Alliance atlantique et de l'OTAN, son organisation militaire, que devrait se structurer la sécurité européenne de l'après guerre-froide. L'accord conclu entre le secrétaire général de l'OTAN, Javier Solana, et le ministre russe des affaires étrangères, Evgueni Primakov, équivaut à une reconnaissance de cette réalité par Moscou. Les Occidentaux ont beau affirmer que "l'acte fondateur" n'est pas une "compensation" accordée à la Russie en contrepartie de l'élargissement de l'OTAN à certains pays de l'ancien bloc soviétique, il n'en reste pas moins qu'à Paris et à Bonn, sinon à Washington, la conclusion de ce texte apparaissait indispensable pour éviter une détérioration du climat international. Grâce à l'habileté d'un vieux routier de la diplomatie soviétique et à la volonté de Boris Eltsine, la Russie a obtenu ce à quoi elle tient le plus : avoir son mot à dire et un mot décisif dans la sécurité et la stabilité de l'Europe. Tous les dirigeants de Moscou, sous quelque régime que ce soit, s'y sont appliqués depuis des siècles avec des moyens variés, de la force la plus brutale à la persuasion la plus subtile. Après avoir "perdu la guerre froide", les Russes ont arraché aux Occidentaux la reconnaissance d'une sorte de parité dans les affaires européennes, qui tient compte de leur poids stratégique sur le continent. Les institutions mises en place par l' "acte fondateur" sont loin d'être insignifiantes. Les Russes et les membres de l'OTAN siégeront dans un "conseil conjoint" qui disposera d'un secrétariat permanent et qui surtout sera coprésidé par le secrétaire général de l'OTAN et un haut diplomate russe. Autrement dit, Moscou aura le même poids dans le fonctionnement de ce conseil que les alliés occidentaux. Sans doute le Conseil atlantique, propre à l'OTAN, continuera-t-il à exister de manière indépendante et pourra-t-il prendre des décisions propres à l'OTAN, y compris en cas de désaccord avec le Kremlin, mais la présence des diplomates russes dans les locaux mêmes de l'OTAN à Bruxelles, transformera profondément, à terme, l'organisation occidentale. Beaucoup dépendra de ce que les Russes feront des institutions "conjointes" qui leur sont ainsi proposées. Ils peuvent jouer le jeu de la coopération avec l'OTAN, s'intégrer dans les mécanismes de décisions multilatérales, prendre leur part de la stabilité en Europe et participer à des opérations de maintien de la paix, comme c'est le cas actuellement en Bosnie. Ils peuvent aussi jouer les perturbateurs, profiter de leur nouvelle position pour gêner les Occidentaux, bloquer leurs initiatives, se refaire une clientèle, à l'intérieur ou en dehors de l'organisation avec les Etats qui se sentiront frustrés ou menacés par l'élargissement sélectif de l'Alliance atlantique. Adaptation Le choix dépendra d'abord de l'évolution interne de la Russie sur laquelle, contrairement à une idée très répandue, l'étranger a peu d'influence. Si la Russie parvient à sortir de ses difficultés économiques et sociales, à surmonter sa crise d'identité, à définir de manière rationnelle ses nouveaux intérêts stratégiques, elle comprendra tout le parti qu'elle peut tirer de la nouvelle donne en Europe. Si, au contraire, elle se crispe dans des attitudes nationalistes, voit son avenir plus vers l'Asie que du côté européen, elle pourrait être tentée d'utiliser les nouveaux instruments mis à sa disposition pour "prendre sa revanche". La Russie n'est certes plus la grande puissance qu'elle croyait être au temps de l'URSS, mais elle en a suffisamment de beaux restes pour inquiéter les Occidentaux. Coopération ou perturbation ? Le plus probable est que les Russes joueront un peu sur les deux tableaux. D'autant que le remodelage de la sécurité européenne ne s'arrête pas à l'accord bilatéral OTAN-Russie. Pour faire patienter les pays d'Europe centrale et orientale qui ne seront pas dans la première vague de l'élargissement et qui pourtant sont des candidats honorables à l'adhésion à l'OTAN, les Occidentaux vont proposer la création d'un Conseil du partenariat euro-atlantique qui regroupera tous les Etats européens, les Etats-Unis et le Canada, ainsi que toutes les anciennes républiques de l'Union soviétique. L'idée, lancée par l'ancien secrétaire d'Etat américain Warren Christopher, à la veille de sa retraite, sous la forme d'un Conseil du partenariat atlantique, avait été fraîchement accueillie par les Européens, notamment les Français. Ceux-ci ont obtenu que le Conseil s'appelle "euro-atlantique". Toujours est-il que la Russie va se retrouver avec l'ensemble des Etats européens dans ce Conseil, en même temps que l'OTAN crée spécialement pour elle un "conseil conjoint", ce qui donne au Kremlin cette position spéciale à laquelle il a toujours aspiré. Confiants d'avoir apaisé les craintes russes, les Occidentaux vont pouvoir préparer dans la sérénité le sommet atlantique prévu à Madrid les 8 et 9 juillet 1997. Trois points devaient être inscrits à l'ordre du jour de ce sommet : l'élargissement, les relations avec la Russie et l'adaptation de l'OTAN. Les deux premiers points sont pratiquement réglés. Quant à l'adaptation qui devait assurer un rôle accru à l'Europe dans l'organisation atlantique, elle est en panne. Il reste à espérer que les Américains et les Russes ayant eu ce qu'ils voulaient, elle ne sera pas complètement oubliée. DANIEL VERNET Le Monde du 16 mai 1997

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