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Article de presse: La présidence de Georges Pompidou

Publié le 17/01/2022

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20 juin 1969 - Après la démission du général de Gaulle, seul en mesure d'être élu, Georges Pompidou sera donc le candidat unique de la majorité : souvent à regret, les gaullistes historiques et orthodoxes, les centurions du compagnonnage, doivent accepter qu'il en soit ainsi et faire bloc autour de lui. Il mène une campagne incisive et active contre l'opposition de gauche, mais celle-ci ne présente pas moins de quatre candidats et n'est pas dangereuse. En fait, elle est spectatrice plus que protagoniste. C'est à son adversaire centriste, le président du Sénat, Alain Poher, déjà installé à l'Elysée comme président intérimaire, que Georges Pompidou se mesure en réalité. On se dispute les mots-chocs : à l'un la continuité, à l'autre le renouvellement; et chacun promet l'ouverture, chacun garantit le changement. Cependant, Alain Poher, après avoir pris un très bon départ, décourage ses supporters les plus ardents et perd du terrain chaque fois qu'il s'exprime à la télévision. A la veille du premier tour, le succès du candidat de la majorité ne fait guère de doute. Le second tour, le 15 juin, est joué et gagné d'avance. Le boursier du lycée d'Albi, l'étudiant socialiste de Normale supérieure, le petit professeur, le conseiller occulte est parvenu au terme de son cheminement. Il succède à l'homme qui avait si souvent proclamé qu'il n'aurait pas de successeur. Après avoir été pendant six ans le second, puis renvoyé soudain onze mois plus tôt à son obscurité, le voici enfin le premier en France. Mais il n'est pas, pas encore, le premier des Français. Le premier des Français, en effet, a voté d'Irlande par procuration, mais il n'a dit mot. Rentré à Colombey, il se mure dans le silence. A l'Elysée, le pouvoir légal; à la Boisserie, le pouvoir moral. L'exercice de l'un se ressent de l'existence de l'autre, et il en sera ainsi jusqu'à ce que, au soir du 9 novembre 1970, le chêne tombe soudain foudroyé. C'est pourquoi dans les dix-sept mois qui séparent son élection de la mort du général de Gaulle, le président de la République semble contenu, un peu effacé, comme intimidé. Il gouverne peu et arbitre moins encore. Ce n'est pas sur lui, sur l'Elysée, que sont braqués les projecteurs : c'est sur son premier ministre, Jacques Chaban-Delmas, sur l'hôtel Matignon où une équipe brillante multiplie les grands projets, les initiatives, les ambitions dont la moindre n'est pas celle d'édifier une " nouvelle société ", d'améliorer la " qualité de la vie ". Le choix de Jacques Chaban-Delmas, la rentrée de Valéry Giscard d'Estaing, le ralliement de Jacques Duhamel, de René Pleven et des centristes, avaient illustré avec éclat la promesse de renouvellement dans la continuité. Au début, le président et le premier ministre marchent la main dans la main : ensemble, ils assument la dévaluation du mois d'août, le plan de redressement de la rentrée. Les premiers craquements se font entendre à l'automne : le président semble déçu, voire irrité, de la lenteur de son second. Mais au cours de l'hiver 1969-1970 ces divergences s'atténuent devant les premiers succès du plan de redressement, de la politique contractuelle. Au surplus, Jacques Chaban-Delmas ne manque-t-il pas de proclamer devant l'Assemblée qui lui donne sa confiance par 369 voix contre 85 que " l'homme prééminent est à l'Elysée ". Une seule exception à cet effacement relatif du président, mais une exception de taille : le " sommet " européen de La Haye, les 1er et 2 décembre. Il en a pris l'initiative et, au grand soulagement des cinq partenaires de la France, il a fortement lancé le thème de l'union économique et monétaire, poussé à l'élargissement du Marché commun dans lequel la Grande-Bretagne fera, en effet, son entrée le 1er janvier 1973. C'est le prix payé aux " européens ", républicains indépendants et centristes, pour leur concours. Au lendemain de la mort de son ancien chef, Georges Pompidou monte en première ligne. Il se sent, cette fois, les mains vraiment libres. Il va décisivement appesantir son emprise, accentuer rapidement le dessaisissement du premier ministre et du gouvernement, affirmer en tout sa propre autorité, sa primauté absolue. A plusieurs reprises, et en particulier au cours d'une conférence de presse (23 septembre 1971), le chef de l'Etat oppose la majorité parlementaire, qui peut fluctuer, et la majorité présidentielle, qu'il veut seule connaître, distinction qui suscitera d'amples commentaires. Cette année 1971 voit fleurir ce qu'on nomme les " scandales " : diverses affaires financières et immobilières douteuses et d'autres qui ne le sont même pas tant elles sentent mauvais. A vrai dire, les hommes directement mis en cause ou compromis sont de rang assez médiocre dans le compagnonnage et le système : un député, deux ou trois membres de cabinets ministériels, quelques animateurs de groupuscules gaullistes et aucun de ceux qui sont éclaboussés n'occupe de fonctions réellement importantes dans l'Etat. Le climat est sérieusement affecté, l'amalgame aidant, par toutes ces péripéties. Aussi la publication par le Canard enchaîné, au début de janvier 1972, de la feuille d'impôts du premier ministre (usant habilement de l'avoir fiscal, il a réussi à échapper en partie au fisc) atteint-elle de plein fouet Jacques Chaban-Delmas. Une diplomatie personnelle Son sort est, dès lors, scellé. Le président de la République, qui a décidément repris les leviers de commande, est préoccupé par l'approche des élections législatives. La majorité écrasante de juin 1968 ne saurait se perpétuer. Il décide un référendum dont le thème surprend : l'admission de la Grande-Bretagne dans la Communauté européenne. Diviser l'opposition en contraignant les " européens " à se démarquer des communistes, rassembler et élargir la majorité, c'est, dit-on, " bien joué ". Si la partie est gagnée, les élections législatives pourront avoir lieu " dans la foulée ", à la faveur des nouvelles solidarités et des nouveaux clivages apparus sur le thème de l'Europe. La campagne, morne et mal conduite, ne mord pas sur l'opinion. Certes, communistes et socialistes ne donnent pas la même réponse à la question posée, les premiers optent pour le " non " et les seconds recommandent le refus de vote. Pourtant, au soir du 23 avril 1972, il apparaît que la bataille du référendum, si elle est gagnée au plan formel puisqu'on dénombre une majorité de " oui ", est perdue comme manoeuvre stratégique. Deux électeurs inscrits sur cinq ont choisi d'aller à la pêche, près d'un sur cinq de glisser dans l'urne un bulletin portant le mot " non " et moins de deux sur cinq seulement ont voté " oui ". Avec près de 40 % d'abstentions et près de 7 % de bulletins blancs ou nuls, chiffres jamais atteints dans une consultation à l'échelle nationale, les Français ont moins répondu " oui à Pompidou " qu'ils n'ont manifesté leur indifférence à sa personne, à sa politique, à son initiative. C'est le premier grand échec du président. Le premier ministre, rendu responsable de l'échec de l'opération, dont il n'a été que l'exécutant docile, insiste pour être autorisé à engager la responsabilité de son gouvernement devant l'Assemblée. Jacques Chaban-Delmas obtient le 23 mai la confiance des députés par 368 voix contre 96. Il n'en est pas moins, six semaines plus tard, prié de se retirer. C'est un gaulliste de bon aloi, intègre et froid, qui lui succède le 5 juillet. Pierre Messmer ne se souciera pas, lui, d'obtenir l'approbation des députés puisqu'il ne se présentera devant l'Assemblée que trois mois après sa nomination, à la rentrée d'octobre. Le " retour aux sources " gaulliennes du régime se manifeste sous différentes formes, dans le vocabulaire, le choix des hommes, le réveil des mythes. Du côté de l'opposition aussi, on s'organise et se mobilise un accord sur le " programme commun de gouvernement " des deux formations a été conclu le 27 juin. L'entente et la satisfaction se manifestent avec éclat dans la gauche dont les chefs se retrouvent, en particulier le 1er décembre au Palais des Sports de Paris, sur les estrades de meetings unitaires et les sondages enregistrent une montée lente mais constante des voix de l'opposition. Dans le pays cependant on manifeste pour la défense de l'environnement, contre l'agrandissement du camp militaire du Larzac, pour la libéralisation de l'avortement, contre le racisme, plus ardemment encore que, pour ou contre l'UDR et l'union de la gauche. La contestation, essoufflée, semble parfois renaître dans la jeunesse, chez les lycéens en particulier. Mais de tout cela, le président n'a cure : l'ordre prime tout, il doit être maintenu, et voilà. A grand renfort de visites d'Etat, de voyages privés et de consultations réciproques, il a noué des liens personnels avec ses homologues étrangers, les chefs d'Etat et de gouvernement. Il s'entend bien avec Edward Heath et Leonid Brejnev, moins aisément avec le chancelier Willy Brandt et le président Richard Nixon. Il ne croit pas à la construction européenne, pas plus d'ailleurs qu'à la paix mondiale, mais il semble jouer le jeu et, à l'automne 1972, il s'efforce de se placer au centre des débats d'ailleurs décevants de la conférence au sommet des Neuf réunie à Paris. En 1973, c'est plutôt la diplomatie planétaire qui l'occupe, à travers maintes rencontres avec ses quatre grands interlocuteurs et quelques personnages de moindre importance cette année-là aussi, il réalise une vieille ambition de son prédécesseur en visitant la Chine et en rencontrant Mao. Peut-on dire que sa politique extérieure demeure gaulliste ? La réponse est plutôt négative en ce qui concerne l'Europe, douteuse pour ce qui concerne la détente avec l'Est et plutôt positive sur tous les autres terrains, y compris et surtout le Proche-Orient. De toute façon, la France n'a pas de politique extérieure : c'est Georges Pompidou et lui seul qui, dans ce domaine, met en oeuvre une pratique toute personnelle. Sans vergogne, il intervient dans la campagne électorale de février-mars 1973, grossit les éléments du choix qui, à l'entendre, serait entre le totalitarisme et la misère d'une part, la liberté, le progrès, le bonheur d'autre part, entre la république populaire et la démocratie. Il orchestre la campagne de la majorité, réveille les ministres, secoue les candidats, cogne de toutes ses forces sur l'opposition avec des ahans de bûcheron. Et il gagne. Effacé le demi-échec du référendum, évanouies les craintes d'une accession de la gauche au pouvoir, dissipés les nuages qui obscurcissaient l'avenir de la majorité : avec quarante sièges de plus qu'une opposition certes considérablement renforcée, l'UDR, et ses alliés giscardiens et centristes conservent une marge suffisante pour gouverner. La maladie Cette belle vigueur du président de la République, ce succès obtenu à l'arraché, cette détermination nouvelle, seront cependant sans lendemain. Car l'homme est déjà atteint, miné par les soucis que lui donne sa santé. Lorsqu'il était souffrant, au cours de l'hiver 1972-1973, on parlait à l'Elysée de grippes à rechutes. Au printemps, on le trouvait mal à l'aise, grossi, gonflé eût-on dit. Mais quand il apparaît à la télévision, le 31 mai 1973, face à un Richard Nixon alerte et souple qu'il rencontre à Reykjavik, quinze ou vingt millions de Français sont stupéfaits de l'empâtement de sa silhouette, de la bouffissure de ses traits, de sa démarche lourde et hésitante, de son évidente lassitude et même de sa difficulté à s'exprimer. Dès lors, c'est dans un climat de fin de règne que va se dérouler le dernier épisode de cette étonnante carrière. Il a engagé dès juin 1973, avec une résolution et une vigueur sans égales, une opération délicate et sérieuse : la révision de la Constitution pour le raccourcissement de sept à cinq ans du mandant présidentiel. Ayant choisi la voie parlementaire pour appliquer la réforme, il obtient les premiers votes dans des conditions telles que l'échec, au congrès du Parlement, semble probable. Sans barguigner, il retire et met sous le boisseau le projet déclaré la veille encore extrêmement urgent et fondamental. C'est son second échec après l'insuccès du référendum d'avril 1972 et, cette fois, le dogme gaullien de l'infaillibilité présidentielle est sérieusement mis à mal. Un homme malade, irritable : ainsi apparaît de plus en plus au regard du pays, car la classe politique sait, elle, à quoi s'en tenir et s'agite déjà à la recherche de son successeur. PIERRE VIANSSON-PONTE Le Monde du 4 avril 1974

« Son sort est, dès lors, scellé.

Le président de la République, qui a décidément repris les leviers de commande, est préoccupépar l'approche des élections législatives.

La majorité écrasante de juin 1968 ne saurait se perpétuer.

Il décide un référendum dontle thème surprend : l'admission de la Grande-Bretagne dans la Communauté européenne.

Diviser l'opposition en contraignant les" européens " à se démarquer des communistes, rassembler et élargir la majorité, c'est, dit-on, " bien joué ".

Si la partie estgagnée, les élections législatives pourront avoir lieu " dans la foulée ", à la faveur des nouvelles solidarités et des nouveauxclivages apparus sur le thème de l'Europe. La campagne, morne et mal conduite, ne mord pas sur l'opinion.

Certes, communistes et socialistes ne donnent pas la mêmeréponse à la question posée, les premiers optent pour le " non " et les seconds recommandent le refus de vote.

Pourtant, au soirdu 23 avril 1972, il apparaît que la bataille du référendum, si elle est gagnée au plan formel puisqu'on dénombre une majorité de" oui ", est perdue comme manoeuvre stratégique.

Deux électeurs inscrits sur cinq ont choisi d'aller à la pêche, près d'un sur cinqde glisser dans l'urne un bulletin portant le mot " non " et moins de deux sur cinq seulement ont voté " oui ".

Avec près de 40 %d'abstentions et près de 7 % de bulletins blancs ou nuls, chiffres jamais atteints dans une consultation à l'échelle nationale, lesFrançais ont moins répondu " oui à Pompidou " qu'ils n'ont manifesté leur indifférence à sa personne, à sa politique, à soninitiative.

C'est le premier grand échec du président. Le premier ministre, rendu responsable de l'échec de l'opération, dont il n'a été que l'exécutant docile, insiste pour être autoriséà engager la responsabilité de son gouvernement devant l'Assemblée. Jacques Chaban-Delmas obtient le 23 mai la confiance des députés par 368 voix contre 96.

Il n'en est pas moins, six semainesplus tard, prié de se retirer. C'est un gaulliste de bon aloi, intègre et froid, qui lui succède le 5 juillet.

Pierre Messmer ne se souciera pas, lui, d'obtenirl'approbation des députés puisqu'il ne se présentera devant l'Assemblée que trois mois après sa nomination, à la rentréed'octobre.

Le " retour aux sources " gaulliennes du régime se manifeste sous différentes formes, dans le vocabulaire, le choix deshommes, le réveil des mythes. Du côté de l'opposition aussi, on s'organise et se mobilise un accord sur le " programme commun de gouvernement " des deuxformations a été conclu le 27 juin.

L'entente et la satisfaction se manifestent avec éclat dans la gauche dont les chefs se retrouvent,en particulier le 1 er décembre au Palais des Sports de Paris, sur les estrades de meetings unitaires et les sondages enregistrent une montée lente mais constante des voix de l'opposition. Dans le pays cependant on manifeste pour la défense de l'environnement, contre l'agrandissement du camp militaire du Larzac,pour la libéralisation de l'avortement, contre le racisme, plus ardemment encore que, pour ou contre l'UDR et l'union de lagauche.

La contestation, essoufflée, semble parfois renaître dans la jeunesse, chez les lycéens en particulier.

Mais de tout cela, leprésident n'a cure : l'ordre prime tout, il doit être maintenu, et voilà. A grand renfort de visites d'Etat, de voyages privés et de consultations réciproques, il a noué des liens personnels avec seshomologues étrangers, les chefs d'Etat et de gouvernement.

Il s'entend bien avec Edward Heath et Leonid Brejnev, moinsaisément avec le chancelier Willy Brandt et le président Richard Nixon.

Il ne croit pas à la construction européenne, pas plusd'ailleurs qu'à la paix mondiale, mais il semble jouer le jeu et, à l'automne 1972, il s'efforce de se placer au centre des débatsd'ailleurs décevants de la conférence au sommet des Neuf réunie à Paris.

En 1973, c'est plutôt la diplomatie planétaire quil'occupe, à travers maintes rencontres avec ses quatre grands interlocuteurs et quelques personnages de moindre importance cette année-là aussi, il réalise une vieille ambition de son prédécesseur en visitant la Chine et en rencontrant Mao. Peut-on dire que sa politique extérieure demeure gaulliste ? La réponse est plutôt négative en ce qui concerne l'Europe,douteuse pour ce qui concerne la détente avec l'Est et plutôt positive sur tous les autres terrains, y compris et surtout le Proche-Orient.

De toute façon, la France n'a pas de politique extérieure : c'est Georges Pompidou et lui seul qui, dans ce domaine, meten oeuvre une pratique toute personnelle. Sans vergogne, il intervient dans la campagne électorale de février-mars 1973, grossit les éléments du choix qui, à l'entendre,serait entre le totalitarisme et la misère d'une part, la liberté, le progrès, le bonheur d'autre part, entre la république populaire et ladémocratie.

Il orchestre la campagne de la majorité, réveille les ministres, secoue les candidats, cogne de toutes ses forces surl'opposition avec des ahans de bûcheron.

Et il gagne.

Effacé le demi-échec du référendum, évanouies les craintes d'une accessionde la gauche au pouvoir, dissipés les nuages qui obscurcissaient l'avenir de la majorité : avec quarante sièges de plus qu'uneopposition certes considérablement renforcée, l'UDR, et ses alliés giscardiens et centristes conservent une marge suffisante pourgouverner.. »

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