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Article de presse: La question noire aux Etats-Unis

Publié le 17/01/2022

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18 novembre 1957 - Le 18 novembre 1957, à Atlanta, en Georgie, en plein " Deep South ", c'est-à-dire au coeur des Etats du Sud, à forte proportion de Noirs, le président Eisenhower adressait un appel aux Américains. Il convient, déclarait-il, de mettre un terme à toutes les " discriminations " qui, pour des raisons de race, de couleur et de religion, interdisent l'accès de nombreuses professions à une partie de la population. Evoquant la Déclaration américaine d'indépendance, selon laquelle " tous les hommes sont créés égaux ", il déclarait : " Alors que notre puissance nationale est aujourd'hui partout mise à l'épreuve, cette tradition acquiert une urgence supplémentaire. Notre économie peut difficilement se permettre un tel gaspillage de talents et de capacités, conséquence d'interdictions prononcées contre certains en raison de leur race, de leur couleur ou de leurs croyances. Tout citoyen qui contribue à faire de l'égalité légale et économique une réalité vivante aide l'Amérique. " Le président Eisenhower a mis ce jour-là le doigt sur la très grave blessure que les Etats-Unis s'infligent à eux-mêmes en refusant à leurs 17 300 000 Noirs des possibilités d'instruction et d'emploi égales à celles des Blancs. Dans le Sud, où les Noirs, au nombre d'environ 11 millions, constituent jusqu'à 38,8 % de la population (Caroline-du-Nord) et même 45,3 % (Mississippi), cette déperdition de forces est particulièrement grave. Soumis à toutes sortes d'interdictions et de limitations, les Noirs du Sud sont pratiquement écartés de toutes les professions qui exigent une véritable qualification. L'enseignement leur est dispensé dans des conditions beaucoup moins favorables qu'aux Blancs : leurs écoles sont surpeuplées et leurs maîtres inférieurs en nombre et en qualité à ceux des écoles blanches. " Separate but equal ", vous dit-on dans le Sud... Mais les étudiants noirs sont souvent contraints d'émigrer dans d'autres Etats pour y recevoir un enseignement que leurs universités, aux ressources trop limitées, ne peuvent leur donner que dans un nombre restreint de branches. Cette séparation raciale, imposée par les Blancs aux Noirs s'observe en effet partout et à tous les instants : dans les autobus, les gares, les restaurants, les hôtels, les piscines... L'apartheid que nous avons observé en Afrique du Sud n'a pas d'autre visage. Les Noirs quittent donc le Sud par milliers vers la terre promise du Nord et de l'Ouest, avec ses hauts salaires et, surtout, ses discriminations atténuées. Ce véritable exode aboutit à la diminution de la population noire dans les Etats du Sud et à son accroissement très sensible dans toutes les grandes villes industrielles des Etats-Unis. Dans le grand New-York, par exemple, les Noirs constituent aujourd'hui 14,2 % de la population, contre 9,8 % en 1950. A Chicago, ils sont passés de 278 000 en 1940 (8,2 % de la population) à 753 000 en 1955 (près de 20 %). Ils atteignent également 20 % à Detroit. A Los Angeles, où ils déferlent actuellement au rythme de 1 700 par mois, ils sont déjà plus de 300 000, contre 60 000 seulement en 1940. Onze Etats et vingt-six villes ont adopté une législation " fair employment practice " destinée à garantir des chances égales aux Noirs et aux Blancs. En fait, les gens de couleur sont pratiquement écartés de tous les emplois de bureau. Dans l'industrie, il est très rare que les gens de couleur accèdent à la maîtrise quant aux postes de direction, mieux vaut n'en pas parler. La ségrégation Passons maintenant à l'enseignement et prenons le cas le plus favorable, celui de New-York, la ville américaine qui lutte avec le plus d'énergie contre les discriminations raciales : la ségrégation scolaire s'y maintient intégralement, malgré les lois et les décisions judiciaires. La ségrégation totale des logements constitue le signe le plus clair, le plus incontestable du préjugé de race des Américains. Le refus de cohabitation avec les Noirs est général il explique en partie l'un des phénomènes les plus frappants que l'on observe depuis la dernière guerre dans les cités américaines : l'exode vers les quartiers résidentiels de banlieue, transformés en " citadelles blanches ". Le centre des villes est abandonné aux gens de couleur, qui s'y entassent dans des conditions très vite déplorables, dans l'impossibilité où ils se trouvent de se loger ailleurs. C'est ainsi qu'à Washington, la capitale fédérale, la population blanche est tombée, au cours des sept dernières années, de 517 000 à 475 000, tandis que les Noirs sont passés de 281 000 à 369 000... Bref, à de rares exceptions près, les Noirs sont rejetés de la société américaine. Les familles blanches, même libérales, les considèrent secrètement comme des inférieurs, refusent de les recevoir et s'épouvantent à l'idée que leurs filles puissent les épouser (vingt-quatre Etats sur quarante-huit interdisent les mariages entre races). Cela a Cré chez les Noirs un complexe de frustration, un désespoir même, qui expliquent beaucoup de leurs déficiences et de leurs excès. Le miracle en vérité est que le peuple noir puisse encore manifester tant de patience et tant de résignation... Il serait cependant contraire à l'équité de ne pas mettre en relief les progrès que les Noirs ont réalisés sur le plan économique en quelques années. Les nécessités de la guerre, le sentiment de solidarité qu'elle a suscité et l'extraordinaire expansion de l'industrie américaine qui l'a suivie leur ont ouvert, même dans les Etats du Sud, les portes de nombreuses professions qui leur étaient autrefois interdites. Leur niveau de vie s'est en conséquence très vite relevé, et leur revenu moyen atteint aujourd'hui 55 % de celui des Blancs. Cette prospérité a d'ailleurs développé chez eux le désir et la volonté d'obtenir une véritable égalité en usant davantage de leurs droits politiques et d'une législation qui leur est de plus en plus favorable. La population de couleur dispose à cet égard de deux leviers particulièrement puissants pour améliorer son statut. Elle a, d'une part, la décision de la Cour suprême des Etats-Unis en date du 17 mai 1954 qui rend obligatoire dans des délais raisonnables l'intégration dans toutes les écoles. Elle a, d'autre part, la loi sur les droits civiques votée en août 1957, qui lui assure une protection beaucoup plus efficace de ses droits-le droit de vote notamment-grâce à une commission des droits civiques dont les membres sont nommés par le président de la République. S'ils parvenaient à voter en nombre suffisant et avec discipline, les Noirs pourraient jouer un rôle d'arbitre entre les républicains et les démocrates. Une élite de Noirs l'a fort bien compris et s'efforce de multiplier les inscriptions de Noirs sur les listes électorales, même dans le Sud. Depuis l'envoi de troupes fédérales à Little-Rock, les Sudistes sont sur leurs gardes. Ils ont compris que la " suprématie " blanche était désormais vraiment en péril et que le moment était venu de se battre et même de contre-attaquer en invoquant les droits des Etats contre le pouvoir fédéral. Les sept Etats du Sud qui ont refusé l'intégration de leurs écoles, la Virginie, l'Alabama, la Floride, la Georgie, la Louisiane, le Mississippi et la Caroline-du-Sud, sont en tout cas résolus à ne pas céder. Puisqu'en Virginie la Cour fédérale vient de déclarer inconstitutionnelles, les lois conférant aux autorités locales le droit de répartir les élèves entre les écoles publiques, et donc de les séparer suivant leur couleur, ils s'apprêtent à fermer purement et simplement les établissements qui accepteraient d'être intégrés ou, ce qui reviendra au même, à leur supprimer les subventions officielles. Il apparaît ainsi que le problème noir, ou plus exactement les sentiments racistes de la population américaine, constitue l'une des plus sérieuses faiblesses des Etats-Unis. Ce racisme les prive, en effet, de l'apport intellectuel et technique de millions de Noirs il stérilise leur diplomatie en suscitant contre eux les ressentiments et la méfiance des peuples de couleur asiatiques et africains il provoque enfin au sein même du pays un dangereux empoisonnement des esprits qui atteint même les gens d'Eglise, comme ces pasteurs baptistes qui ne craignirent point, au mois d'octobre, à Little-Rock, de prier Dieu en public pour que les Noirs quittent le lycée de la ville. JEAN SCHWOEBEL Le Monde du 4 avril 1958

« américaine qui l'a suivie leur ont ouvert, même dans les Etats du Sud, les portes de nombreuses professions qui leur étaientautrefois interdites.

Leur niveau de vie s'est en conséquence très vite relevé, et leur revenu moyen atteint aujourd'hui 55 % decelui des Blancs. Cette prospérité a d'ailleurs développé chez eux le désir et la volonté d'obtenir une véritable égalité en usant davantage de leursdroits politiques et d'une législation qui leur est de plus en plus favorable. La population de couleur dispose à cet égard de deux leviers particulièrement puissants pour améliorer son statut.

Elle a, d'unepart, la décision de la Cour suprême des Etats-Unis en date du 17 mai 1954 qui rend obligatoire dans des délais raisonnablesl'intégration dans toutes les écoles. Elle a, d'autre part, la loi sur les droits civiques votée en août 1957, qui lui assure une protection beaucoup plus efficace de sesdroits-le droit de vote notamment-grâce à une commission des droits civiques dont les membres sont nommés par le président dela République. S'ils parvenaient à voter en nombre suffisant et avec discipline, les Noirs pourraient jouer un rôle d'arbitre entre les républicainset les démocrates.

Une élite de Noirs l'a fort bien compris et s'efforce de multiplier les inscriptions de Noirs sur les listesélectorales, même dans le Sud. Depuis l'envoi de troupes fédérales à Little-Rock, les Sudistes sont sur leurs gardes.

Ils ont compris que la " suprématie "blanche était désormais vraiment en péril et que le moment était venu de se battre et même de contre-attaquer en invoquant lesdroits des Etats contre le pouvoir fédéral.

Les sept Etats du Sud qui ont refusé l'intégration de leurs écoles, la Virginie, l'Alabama,la Floride, la Georgie, la Louisiane, le Mississippi et la Caroline-du-Sud, sont en tout cas résolus à ne pas céder. Puisqu'en Virginie la Cour fédérale vient de déclarer inconstitutionnelles, les lois conférant aux autorités locales le droit derépartir les élèves entre les écoles publiques, et donc de les séparer suivant leur couleur, ils s'apprêtent à fermer purement etsimplement les établissements qui accepteraient d'être intégrés ou, ce qui reviendra au même, à leur supprimer les subventionsofficielles. Il apparaît ainsi que le problème noir, ou plus exactement les sentiments racistes de la population américaine, constitue l'une desplus sérieuses faiblesses des Etats-Unis.

Ce racisme les prive, en effet, de l'apport intellectuel et technique de millions de Noirs ilstérilise leur diplomatie en suscitant contre eux les ressentiments et la méfiance des peuples de couleur asiatiques et africains ilprovoque enfin au sein même du pays un dangereux empoisonnement des esprits qui atteint même les gens d'Eglise, comme cespasteurs baptistes qui ne craignirent point, au mois d'octobre, à Little-Rock, de prier Dieu en public pour que les Noirs quittent lelycée de la ville. JEAN SCHWOEBEL Le Monde du 4 avril 1958. »

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