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Article de presse: Les Etats-Unis malades du Watergate

Publié le 17/01/2022

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23 juillet 1973 - L'on pourrait difficilement faire mieux en matière de saturation : deux, trois, quatre ou cinq pages dans les principaux journaux et presque tous les titres de la " une " dans chaque édition, les trois quarts des nouvelles à la télévision, sont consacrés à l' " affaire ", qui fournit en outre les thèmes dominants des dîners en ville et des conversations privées. Ne va-t-on pas se lasser de ce déballage ? Des signes dans ce sens existent : le Washington Post, qui a joué le rôle de pionnier dans les révélations et ne s'est naturellement pas arrêté en si bon chemin, a reçu et publié des lettres d'insultes pour son travail de dénigrement de la " grande administration Nixon ". Et les arguments employés plus ou moins ouvertement par les nixoniens, selon lesquels l'affaire agite davantage le petit monde de Washington que l'arrière-pays, que " seuls les arbres sont innocents ", que " toute politique est sale ", etc., ont sans doute quelque effet dans le grand public. Crise de l'establishment politique, celle-ci n'en reste pas moins la plus grave du genre que l'Amérique ait connue dans toute son histoire. Jamais encore autant de personnages aussi importants n'avaient été limogés-directement ou indirectement,-à la suite d'un scandale. Jamais encore on n'avait vu une telle valse de personnalités à la tête du Pentagone, du ministère de la justice, du FBI et de la CIA. Bien sûr, un étranger, surtout un Français, pourra s'étonner qu'on en soit venu là à la suite de ce qui n'était, au départ, qu'une sordide affaire d'écoutes téléphoniques... Il pourra trouver bien vertueuse cette justice américaine, qui inculpe un ministre pour avoir payé d'une intervention illégale la contribution d'un homme d'affaires aux finances de son parti... Mais il y a plus que cela : l'Amérique a été choquée d'apprendre que deux cambriolages au moins ont été dirigés à partir de la Maison Blanche, que leurs principaux auteurs avaient leur bureau dans l' " executive building ", énorme bâtisse grise aux laides colonnades où siège tout l'état-major du président, que c'est là encore qu'un de ces " plombiers " -Hunt-a purement et simplement fabriqué, en 1971, un faux télégramme du département d'Etat tendant à faire croire que John Kennedy avait été complice de l'assassinat du président sud-vietnamien Diem en 1963. Pourtant, le vrai sujet d'inquiétude pour le président Nixon provient de ce que la crise a atteint maintenant un stade où elle échappe en partie au contrôle des hommes. Personne, pas même les principaux dirigeants du Parti démocrate, ne souhaite voir le président abandonner ses fonctions non seulement une telle issue ouvrirait la voie au vice-président Agnew, qui a encore moins d'amis que M. Nixon dans l'establishment politique, mais surtout elle ébranlerait tout le système américain en créant un précédent unique : le seul président qui ait fait l'objet d'une procédure d'impeachment est Andrew Johnson, en 1868, et encore cette procédure a échoué à une voix près. Or ceux-là mêmes qui repoussent avec horreur cette perspective admettent qu'une telle procédure apparaîtrait inévitable si la responsabilité personnelle de M. Nixon était prouvée : non pas même dans un des deux cambriolages commis (au Watergate ou chez le psychiatre de M. Ellsberg), mais seulement dans les efforts déployés depuis l'été dernier pour étouffer l'affaire. MICHEL TATU Le Monde du 16 mai 1973

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