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Article de presse: L'Algérie bloquée

Publié le 17/01/2022

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5 janvier 1998 - L'Algérie semble paralysée. Une série de scrutins, présidentiel, législatif, local, ont fait oublier la victoire électorale volée au Front islamique du salut (FIS) en janvier 1992 par un coup d'État. L'opposition est affaiblie et divisée. La communauté internationale ménage le régime et ne demande plus d'enquête sur les massacres... De ces atouts pourtant le pouvoir ne réussit pas à tirer profit pour faire redémarrer le pays, lui proposer un projet de société. L'Algérie stagne dans l'attentisme. La poursuite de la violence n'est pas étrangère à cette situation. En dépit des promesses des responsables politiques maintes fois réitérées " d'éradiquer la violence " , chaque jour qui passe voit s'allonger la liste des victimes. La mort a simplement changé de registre. Aux tueries collectives a succédé un filet continu de meurtres de civils, de militaires, d'islamistes, de " patriotes " , au rythme d'une dizaine par jour. Le climat politique n'est pas pour arranger les choses. A deux ans de l'élection présidentielle (elle doit avoir lieu en l'an 2000), la vie politique est figée provisoirement. A son dernier congrès, tenu ce printemps, " le parti du président " , le Rassemblement national démocratique (RND), a décidé de laisser vacant pendant un an le poste de président. Il ne fait pas de doute que, dans l'Algérie actuelle, celui qui l'occupera sera le candidat du parti à la présidentielle. Avec toutes les chances d'être élu. Fondateur du Parti du renouveau algérien (PRA), une petite formation qui se propose de concilier islam et modernité, Nourredine Boukrouh a mis à profit cet attentisme pour lancer un brûlot. En quelques jours, à coups de tribunes et d'interviews dans la presse, celui qui fut candidat à la présidentielle de novembre 1995 vient de se livrer à des attaques d'une rare violence contre le président Zeroual et son gouvernement. " Priviligentsia " " Ceux qui ont entrepris de détruire le pays par le terrorisme, écrit-il dans le quotidien Liberté, ne sont pas plus coupables que ceux qui oeuvrent à son anéantissement par la perversion de ses institutions et le pillage de ses ressources. Pour les parasites qui se sont constitués en " priviligentsia " exploitant jusqu'à l'usure le souvenir de la Révolution, le terrorisme est moins redoutable que la droiture, l'honnêteté, le légalisme, la transparence, et c'est pourquoi ils ne souhaitent pas au fond que le terrorisme disparaisse. " Plusieurs jours, les Algériens ont ainsi eu droit à des pages acides contre des " gouvernants [qui] bombent le torse et [dont] les moustaches se hérissent d'arrogance " . Venant d'un homme du sérail, brillant mais peu porté aux éclats, ce brûlot a fait renaître les rumeurs de lutte des clans au sommet de l'Etat. D'autant que M. Boukrouh n'a pas été le seul à lancer des piques. L'ancien premier ministre Mokdad Sifi s'y est lui aussi essayé dans la foulée mais en concentrant les attaques contre son successeur, Ahmed Ouyahia, un proche du président Zeroual. Pour affaiblir le chef de l'Etat et son entourage immédiat, les responsables de l'armée et ceux des services de sécurité ont-ils manipulé le leader du PRA et, accessoirement, M. Sifi ? L'armée cherche-t-elle ainsi à empêcher le chef de l'État, dont on ignore les intentions (il n'a jamais accordé d'interview à la presse algérienne ou étrangère) de briguer un deuxième mandat ? Veut-elle déstabiliser le général Mohamed Betchine, éminence grise de Liamine Zeroual mais bête noire de certains autres généraux ? L'arrivée surprise de ce dernier à la direction nationale du RND laisse à penser qu'il n'est peut-être pas dénué d'ambitions présidentielles. Ce climat délétère se nourrit de l'immobilisme du régime, de son silence face aux problèmes de fond du pays. Celui des islamistes du FIS est toujours pendant. Aucune solution politique n'a semble-t-il encore été trouvée pour les quelques centaines de combattants de l'Armée islamique du salut (AIS), le bras armé du Front, qui observent une trêve armée dans des régions bien circonscrites dans l'est et l'ouest du pays. Faut-il les intégrer dans l'armée régulière et la gendarmerie ? Les faire bénéficier de la loi de la rahma (la loi de la clémence de 1995) collectivement ou au cas par cas ? Huit mois après l'annonce de la trêve, le dossier est toujours au point mort. Le constat est le même s'agissant d'Abassi Madani et d'Ali Benhadj. Le chef historique du FIS est assigné à résidence à Alger tandis que son adjoint reste détenu au secret depuis trois ans. Droit de visite pour celui-ci, libération prochaine pour celui-là, des rumeurs circulent depuis peu à Alger qui laissent entendre que les militaires algériens pourraient faire un geste. Mais les rumeurs foisonnent à Alger... La médiocre situation économique du pays justifierait, elle aussi, des explications vis-à-vis de l'opinion publique. Dans ses prévisions, le Fonds monétaire international (FMI) escomptait qu'Alger engrangerait cette année 12,8 milliards de dollars de recettes pétrolières et gazières. Entre-temps, la chute des cours internationaux du brut sur le marché international est passée par là. L'Algérie, a admis son ministre des finances, Abdelkrim Harchaoui, devra se contenter de 11,2 milliards. Quoique largement sous-estimé, de l'avis des experts, ce manque à gagner n'est pas mince pour un pays qui a réduit ses importations au strict minimum (9,5 milliards de dollars) et va devoir rembourser quelque 5 milliards de dollars à ses créditeurs étrangers. La dégradation des finances du pays n'a pas empêché le ministre délégué aux finances chargé du budget, Ali Brahiti, de pronostiquer une croissance économique de 5% à 6% en 1998. Les résultats des premiers mois de l'année n'inclinent pas, loin s'en faut, à un tel optimisme. Au cours du premier trimestre 1998, la production industrielle a enregistré une nouvelle baisse ( 2,4 %) sur la lancée des années antérieures. Comme le faisait remarquer l'ancien premier ministre Mokdad Sifi, " s'il n'y a pas de production, l'échec est le lot de toute économie quels que soient les taux et autres indices " . Les derniers chiffres " n'incitent pas à l'optimisme " , a-t-il conclu. On ne saurait mieux dire. JEAN-PIERRE TUQUOI Le Monde du 23 juin 1998

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