Devoir de Philosophie

Article de presse: L'arabisation provoque des remous en Algérie

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

5 juillet 1998 - Voté en 1991, " gelé " l'année suivante, remis au goût du jour le 21 décembre 1996, le nouveau texte sur l'arabisation complète prévoit qu'à compter du 5 juillet 1998, date anniversaire de l'indépendance, " toutes les déclarations, interventions, conférences [ainsi que] toutes [les] émissions télévisées doivent être en langue arabe. Elles doivent être traduites en langue arabe lorsqu'elles sont en langues étrangères " (article 17). Des amendes sont prévues pour " quiconque signe un document rédigé dans une autre langue que la langue arabe, pendant ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions officielles " (art. 32). Pour l'enseignement supérieur, l'entrée en vigueur de la nouvelle loi a été repoussée à l'an 2 000. Premier à relancer le débat, l'écrivain arabophone Tahar Ouettar a fait sensation en affirmant, voici peu dans les colonnes du Matin, que " seuls les PDG utilisent encore la langue que nous a laissée la puissance coloniale " . Et d'ajouter : " Le français est la langue qu'on utilise pour s'adresser aux chiens " . Puis est entré en scène Benamar Zerhouni, ancien ministre de la communication, chargé du dossier de l'arabisation dans l'actuel gouvernement, qui, fin mai, a attaqué de front la presse algérienne francophone. " Cette presse, a-t-il lancé, n'a rien à voir avec le peuple algérien, sa culture et ses traditions, sauf le fait qu'elle est domiciliée à Alger [...] l'existence de cette presse francophone est en nette contradiction avec la Constitution." La riposte n'a pas tardé. Onze journaux (dont trois d'expression arabe) ont transmis une déclaration au premier ministre, Ahmed Ouyahia, lui demandant une " clarification " après ces propos " irresponsables " . Le gouvernement a pris ses distances vis-à-vis de M. Zerhouni, discrètement limogé depuis, mais le mal était fait. Tous ceux qui voient dans la date butoir du 5 juillet le début d'un " maccarthysme linguistique " sont tentés de dramatiser : " On a froid dans le dos à la seule évocation du "jour d'après" " , écrit Le Matin. El Watan évoque une possible " chasse aux sorcières " . Les partis politiques proches des Kabyles ont saisi l'occasion pour s'en prendre au gouvernement. Un responsable du Front des forces socialistes (FFS) a affirmé qu'il " s'honorerait à être le premier à violer cette loi scélérate " . De son côté, Saïd Sadi, le leader du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), explique : " On a un rituel à trois qui revient. Quand ce n'est pas la langue arabe, c'est l'Islam, sinon la guerre de libération. Voilà le carburant de la démagogie nationale depuis trente ans " . Feuilleton de l'éeé Dans une Algérie où les débats de fond prennent vite une tournure passionnelle, M. Zerhouni fait désormais figure de " héros de l'arabisation " victime du " lobby des francophones " . Il peut compter sur de multiples soutiens d'un bout à l'autre de l'échiquier politique. Les députés du parti islamiste " modéré " Ennahda ont accusé ainsi la presse francophone de " mener une campagne contre la langue arabe et l'Islam " tandis que le bureau politique du Front de libération nationale (FLN), l'ancien parti unique, appelait à une stricte application de la loi sur l'arabisation. Même son de cloche du côté du Rassemblement national pour la démocratie (RND), le parti du président, " Il faut prendre des mesures de contrôle pour veiller au respect de cette loi. Et il n'est pas question de tolérer les velléités de résistance à son application " , a averti son secrétaire général, Mohamed-Tahar Benbaibèche. Les organisations populaires proches du régime sont intervenues à leur tour dans ce qui est en train de devenir le feuilleton de l'été. Patron de la puissante fédération des moudjahidines (les anciens combattants) et membre de la direction du RND, Mohamed Cherif Abbas s'en est ainsi pris aux " voix hostiles " , à ceux qui veulent " franciser cette nation et la jeter dans le camp de la francophonie " . Que va-t-il se passer le 5 juillet ? Les reports successifs de la loi n'ayant pas été mis à profit pour préparer le terrain, pagaille et cafouillage ne sont pas à exclure. " Arabiser la comptabilité nationale est une gageure " , a expliqué un expert dans les colonnes d'El Watan. Le président de la Chambre de commerce et d'industrie, Ali Habbour, a peut-être trouvé le mot juste : " A chaque fois qu'on fera une correspondance [en français], on glissera dans l'enveloppe un chèque pour payer l'amende " . JEAN-PIERRE TUQUOI Le Monde du 17 juin 1998

Liens utiles