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Article de presse: Le crépuscule du maréchal "Poussière"

Publié le 17/01/2022

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16 mai 1997 - Ni son prénom chrétien, Joseph-Désiré, ni l'interminable surnom Sese Seko Kuku Ngbendu wa za Banga ( "Intrépide guerrier terreur des poules") dont il se gratifia lui-même, en 1972, quand furent décrétées les fameuses "lois de l'authenticité", ne resteront gravés dans les mémoires. Comme par une ironie fortuite de l'histoire, c'est sous le nom de Mobutu, "Poussière", choisi par son père, que le tout-puissant président du Zaïre rejoindra la cohorte des chefs d'Etat déchus. Né le 14 octobre 1930, à Lisala, une modeste localité de la région de l'Equateur située au bord du fleuve Congo (aujourd'hui Zaïre), le jeune Mobutu s'initie au français et au football chez les missionnaires belges. Son père y est employé comme cuisinier. "Les curés m'énervaient. Leur seul enseignement était l'honneur de Dieu et le respect du Belge", s'agace le futur chef d'Etat, qui n'en sera pas moins enfant de choeur. Elève turbulent, volontiers chahuteur, il verra ses études brutalement interrompues, fin 1949, après une escapade jusqu'à Léopoldville (aujourd'hui Kinshasa). Le fugueur est chassé de l'école et enrôlé d'office pour sept ans. Le dégoût qu'il ressent pour la vie militaire ne l'empêche pas d'être promu sergent, en 1954, et affecté comme comptable au quartier général de Léopoldville. Les règles coloniales interdisant aux Noirs de devenir officiers, le jeune gradé rêve de journalisme. En janvier 1956, le patron de L'Avenir colonial belge (prudemment transformé ensuite en L'Avenir) propose au sergent Mobutu de collaborer à la rédaction des "actualités africaines". Ses articles, signés du pseudonyme J. Debanzy, se terminent rituellement par un vibrant "Vive la Belgique !". Dans les locaux de L'Avenir, le sergent-journaliste Mobutu rencontre Patrice Lumumba, le militant anticolonialiste qui vient de créer le Mouvement national congolais (MNC). Une fois sorti de l'armée, Mobutu devient secrétaire du MNC. Le Congo, comme le reste du continent, connaît les premiers soubresauts sanglants de la lutte anticoloniale. Les émeutes se multiplient. En juin 1960, au moment de l'indépendance, la carrière politique du jeune Mobutu prend vraiment son départ. Patrice Lumumba ayant été nommé premier ministre, lui-même devient secrétaire d'Etat à la présidence du Conseil du gouvernement. Et il prend du galon : l'ancien sergent est promu chef d'état-major des armées, avec le grade de colonel. Après s'être débarrassé de ses principaux rivaux Patrice Lumumba, Moïse Tschombé et Joseph Kasavubu il prend tous les pouvoirs le 24 novembre 1965. La Constitution est suspendue, le Parlement dissous. S'il aime à évoquer "la sagesse bantoue" qui "fait taire les divergences", le nouveau chef d'Etat veut forger, sans pitié, l'unité de cet immense conglomérat d'ethnies qu'est le Zaïre, vaste comme près de cinq fois la France. "Vous croyez que je suis un dictateur ? C'est très exactement le contraire ! Je suis le pèlerin de l'unité nationale", clame, à qui veut l'entendre, le (désormais) maréchal Mobutu, dont les premières années de "règne" seront magistralement décrites par V. S. Naipaul, dans le roman A la courbe du fleuve (Albin Michel, 1982). Les étudiants contestataires sont mitraillés, les syndicalistes arrêtés, le droit de grève suspendu et les partis politiques interdits. "Nos colonisateurs belges nous ont légué le multipartisme, en même temps que la redingote et le noeud papillon", dit-il : autant de "plaies", selon lui, dont il faut guérir le pays au plus vite. En 1970, le Mouvement populaire de la révolution (MPR), qu'il a créé trois ans plus tôt, devient parti unique. Tout citoyen zaïrois en sera bientôt décrété "membre de naissance". Et c'est avec pratiquement 100 % des voix que le grand "pacificateur" de l'ex-Congo belge est élu président à vie. Contemporain des bouffons sanguinaires que furent Idi Amin Dada en Ouganda ou Jean-Bedel Bokassa en République centrafricaine, le nouveau maître du Zaïre monopolise désormais, lui aussi, toutes les manettes du pouvoir. Tour à tour fasciné par de Gaulle, Tchang Kaï-chek ou Mao (à un retour de Chine, il décidera de se faire appeler "Grand Timonier"), séduit par Ceausescu, impressionné par la reine d'Angleterre, flirtant avec les Israéliens (qui formeront, jusqu'en 1973, les unités d'élite zaïroises) avant de se lier d'amitié avec le roi du Maroc (qui l'aidera à sortir victorieux des deux "guerres du Shaba", à la fin des années 70), le président Mobutu affiche son attrait des puissants. Sans pudeur, mais non sans une certaine naïveté puérile. Ainsi se vantera-t-il, parlant de George Bush, de l'avoir déjà rencontré "treize fois". Ou, évoquant un voyage officiel à Londres, d'avoir "logé quarante-huit heures à Buckingham Palace". Le fait que, dans ce petit panthéon personnel, les personnalités africaines ne soient qu'une poignée peut sembler surprenant. Ne pouvant se prévaloir du titre de "père de l'indépendance", le président putschiste, dont les pays occidentaux se serviront longtemps comme d'un rempart contre l'influence soviétique, est en mal de modèle auquel se référer. Sa philosophie de l' "authenticité", qui vise à "débarrasser le Zaïrois des scories de la culture coloniale", se traduit, notamment, par la proscription des prénoms chrétiens et l'invention de l' "abacost" (abréviation de "à bas le costume"), "une tenue moderne, pratique, bien adaptée à notre climat" que le "citoyen-président" Mobutu agrémentera d'accessoires personnels, toque de léopard et canne sculptée à double tête d'oiseau. La "zaïrianisation" conduit, début 1974, à la nationalisation des grandes compagnies minières, dont la Gécamines (Générale des carrières et des mines), qui exploite les immenses réserves de cuivre du Shaba, mais extrait aussi le cobalt, le zinc, le manganèse, l'or, l'argent ou l'uranium. Cette politique ne profite pas à la masse miséreuse des "citoyens" zaïrois, qui assistent, impuissants, au dépeçage des richesses du pays au profit des proches du président. Celui qui se fait appeler le "Guide" cultive, à l'égard des Blancs, un humour anticolonial de bon aloi. "Certains d'entre eux prétendent aimer notre pays, mais c'est à la façon dont le braconnier aime l'éléphant !", lancera-t-il, en guise de boutade. Le compliment, hélas, pourrait lui être retourné. Utilisant les ressources nationales comme son argent de poche personnel, il contribue, très largement, à la ruine d'un pays donné, potentiellement, comme un des plus riches du continent. Rongé par la corruption et le clientélisme, le Zaïre devient très vite le royaume du "matabiche" (pot-de-vin). Au début des années 80, la "cagnotte" du premier grand serviteur de l'Etat est considérée comme une des cinq plus grosses fortunes du monde. A l'époque, le patrimoine personnel du "citoyen-président" équivaut, dit-on, au volume de la dette extérieure du Zaïre. Pendant ce temps, dans les bidonvilles surpeuplés de Kinshasa, les plus chanceux doivent se contenter d'un repas par jour. L'aide internationale continue, cependant, de tomber à un rythme régulier. Il faudra attendre 1990 avant que le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, impuissants à convaincre le Zaïre à faire preuve d'un minimum de rigueur et de transparence, se décident à couper les ponts. La guerre du Golfe, durant laquelle le Zaïre présidera le Conseil de sécurité des Nations unies, n'offrira qu'un bref sursis au régime du président Mobutu, dont le crédit s'effrite à une vitesse accélérée dans les capitales occidentales. L'annonce du multipartisme, en avril 1990, ne contribue en rien à calmer les esprits. Le massacre des étudiants du campus de Lubumbashi, en mai 1990, et les polémiques que l'événement suscite en Belgique vont sceller la rupture entre Bruxelles et Kinshasa. Fin septembre, le "coup de grâce" occidental est donné : à l'issue de la première grande vague d'émeutes qui ravage Kinshasa, la France et la Belgique évacuent leurs ressortissants. L'extinction progressive des affrontements Est-Ouest, ajoutée au vent de démocratisation qui s'est mis à souffler sur l'Afrique, ne fait que renforcer l'isolement du chef de l'Etat zaïrois. Durant la guerre civile angolaise, le pays a docilement servi de canal pour le transit des armes américaines destinées aux rebelles de l'Union pour l'indépendance totale de l'Angola (Unita), opposés au régime prosoviétique de Luanda. Les Etats-Unis s'étaient même vu accorder le droit d'installer une importante base militaire dans le sud du Zaïre. De même, le président Mobutu avait gagné les bonnes grâces de la France et des Etats-Unis, lors du conflit entre le Tchad et la Libye, à la fin des années 80. Avec la fin de la guerre froide, cette époque-là est révolue. En octobre 1996, dans l'est du Zaïre, les rebelles tutsis, dirigés par Laurent-Désiré Kabila, le vétéran marxiste de la lutte contre Mobutu, s'emparent de Goma, qui va rapidement devenir la base de leur avancée victorieuse. Le 2 novembre, on apprend que le maréchal, soigné à Lausanne, souffre d'un cancer généralisé. Préférant la tranquillité de sa résidence de Gbadolite ou le confort de son luxueux yacht, le Kamanyola, aux bousculades de Kinshasa, le vieil homme à la toque de léopard était devenu, depuis longtemps, aux yeux des Zaïrois, une sorte de géant invisible. Le 17 décembre, alors que la rébellion continue à gagner du terrain et que les réfugiés errent de camp en camp, le maréchal, après quarante-quatre jours de "convalescence" passés dans sa villa des environs de Nice, revient à Kinshasa. Il est accueilli en sauveur par une population qui ressent comme une humiliation la dissidence du Kivu et attend une reprise en main d'une armée transformée en bandes hétéroclites de pillards. Progression des rebelles, impossibilité de mettre au point une quelconque contre-offensive : le 9 janvier, lorsqu'il retourne en France pour de nouveaux examens médicaux, son cortège est sifflé par la population de Kinshasa. Le 21 mars, alors que Mobutu revient en catimini dans la capitale zaïroise, Laurent-Désiré Kabila, lui, est accueilli en libérateur à Kisangani, la capitale du Haut-Zaïre, tombée sans coup férir le 15 mars. Alors qu'à Kinshasa le pouvoir se délite (trois premiers ministres en moins de trois semaines) la chute de Lubumbashi, la capitale du Shaba, le 9 avril semble sonner définitivement le glas de la carrière politique de Mobutu, le maréchal "Poussière". CATHERINE SIMON Le Monde du 6 mai 1997

« carrières et des mines), qui exploite les immenses réserves de cuivre du Shaba, mais extrait aussi le cobalt, le zinc, le manganèse,l'or, l'argent ou l'uranium.

Cette politique ne profite pas à la masse miséreuse des "citoyens" zaïrois, qui assistent, impuissants, audépeçage des richesses du pays au profit des proches du président. Celui qui se fait appeler le "Guide" cultive, à l'égard des Blancs, un humour anticolonial de bon aloi.

"Certains d'entre euxprétendent aimer notre pays, mais c'est à la façon dont le braconnier aime l'éléphant !", lancera-t-il, en guise de boutade.

Lecompliment, hélas, pourrait lui être retourné.

Utilisant les ressources nationales comme son argent de poche personnel, ilcontribue, très largement, à la ruine d'un pays donné, potentiellement, comme un des plus riches du continent.

Rongé par lacorruption et le clientélisme, le Zaïre devient très vite le royaume du "matabiche" (pot-de-vin). Au début des années 80, la "cagnotte" du premier grand serviteur de l'Etat est considérée comme une des cinq plus grossesfortunes du monde.

A l'époque, le patrimoine personnel du "citoyen-président" équivaut, dit-on, au volume de la dette extérieuredu Zaïre.

Pendant ce temps, dans les bidonvilles surpeuplés de Kinshasa, les plus chanceux doivent se contenter d'un repas parjour. L'aide internationale continue, cependant, de tomber à un rythme régulier.

Il faudra attendre 1990 avant que le Fonds monétaireinternational (FMI) et la Banque mondiale, impuissants à convaincre le Zaïre à faire preuve d'un minimum de rigueur et detransparence, se décident à couper les ponts. La guerre du Golfe, durant laquelle le Zaïre présidera le Conseil de sécurité des Nations unies, n'offrira qu'un bref sursis aurégime du président Mobutu, dont le crédit s'effrite à une vitesse accélérée dans les capitales occidentales.

L'annonce dumultipartisme, en avril 1990, ne contribue en rien à calmer les esprits.

Le massacre des étudiants du campus de Lubumbashi, enmai 1990, et les polémiques que l'événement suscite en Belgique vont sceller la rupture entre Bruxelles et Kinshasa.

Finseptembre, le "coup de grâce" occidental est donné : à l'issue de la première grande vague d'émeutes qui ravage Kinshasa, laFrance et la Belgique évacuent leurs ressortissants. L'extinction progressive des affrontements Est-Ouest, ajoutée au vent de démocratisation qui s'est mis à souffler sur l'Afrique,ne fait que renforcer l'isolement du chef de l'Etat zaïrois.

Durant la guerre civile angolaise, le pays a docilement servi de canal pourle transit des armes américaines destinées aux rebelles de l'Union pour l'indépendance totale de l'Angola (Unita), opposés aurégime prosoviétique de Luanda.

Les Etats-Unis s'étaient même vu accorder le droit d'installer une importante base militaire dansle sud du Zaïre.

De même, le président Mobutu avait gagné les bonnes grâces de la France et des Etats-Unis, lors du conflit entrele Tchad et la Libye, à la fin des années 80.

Avec la fin de la guerre froide, cette époque-là est révolue. En octobre 1996, dans l'est du Zaïre, les rebelles tutsis, dirigés par Laurent-Désiré Kabila, le vétéran marxiste de la lutte contreMobutu, s'emparent de Goma, qui va rapidement devenir la base de leur avancée victorieuse.

Le 2 novembre, on apprend que lemaréchal, soigné à Lausanne, souffre d'un cancer généralisé.

Préférant la tranquillité de sa résidence de Gbadolite ou le confortde son luxueux yacht, le Kamanyola , aux bousculades de Kinshasa, le vieil homme à la toque de léopard était devenu, depuis longtemps, aux yeux des Zaïrois, une sorte de géant invisible. Le 17 décembre, alors que la rébellion continue à gagner du terrain et que les réfugiés errent de camp en camp, le maréchal,après quarante-quatre jours de "convalescence" passés dans sa villa des environs de Nice, revient à Kinshasa.

Il est accueilli ensauveur par une population qui ressent comme une humiliation la dissidence du Kivu et attend une reprise en main d'une arméetransformée en bandes hétéroclites de pillards.

Progression des rebelles, impossibilité de mettre au point une quelconque contre-offensive : le 9 janvier, lorsqu'il retourne en France pour de nouveaux examens médicaux, son cortège est sifflé par la populationde Kinshasa. Le 21 mars, alors que Mobutu revient en catimini dans la capitale zaïroise, Laurent-Désiré Kabila, lui, est accueilli en libérateurà Kisangani, la capitale du Haut-Zaïre, tombée sans coup férir le 15 mars.

Alors qu'à Kinshasa le pouvoir se délite (trois premiersministres en moins de trois semaines) la chute de Lubumbashi, la capitale du Shaba, le 9 avril semble sonner définitivement le glasde la carrière politique de Mobutu, le maréchal "Poussière". CATHERINE SIMON Le Monde du 6 mai 1997. »

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