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Article de presse: La mort du maréchal Pétain

Publié le 22/02/2012

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23 juillet 1951 - Ne marchandons pas son titre à ce maréchal de France qui vient de s'éteindre à plus de quatre-vingt-quinze ans au seuil de sa double prison de pierre et d'eau. Après la gloire la plus authentique et l'adulation la plus frelatée, Philippe Pétain connaissait l'humiliation, le dénuement, la solitude. Moins de quinze ans s'étaient écoulés entre une prestigieuse réception à l'Académie française, qui accueillait alors le successeur de Foch, et une condamnation aux attendus ignominieux dans l'atmosphère irrespirable de la Haute Cour. Paul Valéry avait célébré " ce grand calme presque légendaire... cette raison vigilante... cette prudence et cette prévoyance... sagesse de l'armée... ce silence fortifié de faits, organisé en profondeur ". " Tous vos ordres sont là, s'écriait-il, qui attendent L'histoire. " Malheureusement, ils n'y étaient pas tous. Ceux que Valéry en 1931 ne pouvait prévoir devaient entraîner en 1945 la condamnation à mort. Au terme d'un procès, dont l'organisation et la conduite appelaient de sévères critiques, la Haute Cour déclarait Philippe Pétain coupable entre autres d' " intelligence avec l'Allemagne, puissance en guerre avec la France, en vue de favoriser les entreprises de l'ennemi ". Le poète s'était imprudemment porté fort pour l'avenir. Plus imprudemment encore la Haute Cour, non contente de qualifier le crime, n'hésitait pas à en définir l'intention. Sur l'existence, la nature ou la portée de ce crime, le débat ne prendra sans doute pas fin avec la vie du condamné. Il est fort à craindre au contraire que le nom de Pétain ne reste longtemps encore pour les Français un véritable signe de contradiction. Beaucoup d'entre eux en effet ont été sensibles à la séduction du vieux maréchal et, autant qu'à ses gloires passées, à sa bonhomie, sa simplicité, sa trop courte sagesse qui bien souvent était aussi la leur. Par une sorte de solidarité, dont ils n'ont pas toujours conscience, ils se sentent en même temps que le maréchal, et avec lui, justement exaltés ou injustement flétris. D'autres, bien entendu, vont beaucoup plus loin. Compromis dans les entreprises les moins défendables de la collaboration, ils ont un intérêt évident à embellir et à grandir démesurément la personnalité du maréchal. Ils entendent s'en faire encore une protection ou un tremplin comme ils le faisaient déjà hier pour mieux trahir trop souvent l'intention profonde du chef dont ils se réclamaient. A l'opposé, les ennemis les plus acharnés des valeurs que le maréchal prétendait incarner et des institutions qu'il préconisait ont pu caresser l'espoir de les perdre définitivement avec lui. Leur intérêt était hier, il est encore aujourd'hui, de persuader le plus grand nombre possible de Français que toutes les entreprises et toutes les intentions de l'ex-chef de l'Etat étaient essentiellement mauvaises. Sa place serait donc pour les uns aux côtés de Saint Louis et de Henri IV dans la galerie des héros nationaux, et pour les autres sur la liste de tous les traîtres à la patrie, de Ganelon à Bazaine. Ainsi se construisent les mythes et se prépare le climat des guerres civiles. Ceux qui, sans rien attendre des partis ni des sectes, avaient choisi la Résistance par réflexe patriotique ou simplement humain professent naturellement des opinions plus nuancées. S'ils ne peuvent accepter qu'on organise l'apothéose d'un régime et d'un homme qui, en pactisant avec le national-socialisme, exposaient la France à renier ses principes et à terminer la guerre dans le même camp que l'Allemagne vaincue, ils n'entendaient nullement se venger sur un vieillard, quelle que fût sa responsabilité, des maux soufferts et des risques courus. A quatre-vingt-dix ans, celui-ci pouvait vivre ses dernières années ailleurs qu'à l'île d'Yeu sans qu'on y vît un déni de justice ou une provocation. Pour eux, les fautes les plus graves de Philippe Pétain sont de celles qui échappent à la précision des textes et à la portée des sanctions : fautes morales ou spirituelles, si l'on veut, et fautes politiques. Revendiquer pour soi seul à l'heure du plus grave danger la plénitude des responsabilités, exiger l'obéissance de tout un peuple au nom de valeurs essentielles que l'on voudrait sauver, c'est se placer au plan supérieur où l'éphémère rejoint l'éternel, où la politique se nourrit du sacré. A ce niveau, l'erreur reste possible, et, bien entendu, l'échec. Mais d'avoir choisi cette voie exclut les pauvres astuces du " réalisme " politique et les faux-semblants du double jeu. A l'ignorer, on ruine inévitablement les principes que l'on voudrait affermir et l'on trahit finalement la cause que l'on prétend servir. Au trouble des consciences françaises, on peut mesurer l'étendue de la faute. De si graves contradictions au plan le plus élevé devaient nécessairement en provoquer beaucoup d'autres sur le plan politique. Une des plus certaines, sinon des plus couramment reconnues, c'est l'incomparable tremplin offert ainsi au Parti communiste. Comment expliquer en effet que la Libération ait pu prendre, çà et là, le visage d'une révolution de style soviétique, tendant à substituer sans autre forme de procès la tyrannie stalinienne à la tyrannie hitlérienne ? Comment expliquer que, par une gigantesque escroquerie, le Parti communiste ait pu inscrire si longtemps à son honneur... et à son profit le plus clair des mérites et des sacrifices de la Résistance (voire beaucoup plus de " fusillés " que la Résistance tout entière n'en comptât jamais) ? Comment expliquer que les premières protestations aient été si lentes à venir, si timides, que tant d'intellectuels, de patriotes, de chrétiens, se soient laissé si longtemps abuser ? Les explications, bien sûr, ne manquent pas; et les plus contradictoires ou les plus lointaines ne sont pas forcément dépourvues de vérité. Mais l'explication essentielle n'est-elle pas que pendant quatre ans le gouvernement de Vichy avait usé officiellement de tout son crédit et de tous ses moyens pour empêcher les cadres naturels du pays d'être aussi ceux de la Résistance, d'une résistance qu'ils auraient dès lors dominée et conduite ? Un fait parmi tant d'autres fut grave de conséquences. Que se passa-t-il à partir de juillet 1943 lorsque, pour fuir les réquisitions du STO, des milliers et des milliers de jeunes Français se jetèrent dans les bois ou dans les montagnes ? Toute la France officielle était contre eux, y compris-compte tenu de remarquables exceptions-ces Chantiers de jeunesse que le maréchal avait spécialement chargés d'assurer leur éducation patriotique, mais qui devaient aussi faciliter leur embarquement vers les camps de travail allemands. Pense-t-on que les FTP aient négligé pareille occasion de propagande et de recrutement ? Et, comme si ce n'était pas assez, toute la propagande officielle travaillait stupidement dans le même sens. A lire les journaux, à écouter la radio, on pouvait se convaincre que toute désobéissance aux ordres de Vichy ne pouvait être qu'une manière d'adhésion, consciente ou non, aux factions " gaullo-communistes " et à l'ordre " judéo-marxiste ". On cherchait inlassablement à confondre dans le même opprobre l'esprit de résistance et l'obédience moscovite. Il s'agissait bien sûr, suivant un mot du maréchal souvent cité, d'éviter à ce pays le sort de l'infortunée Pologne. Fallait-il pour autant l'exposer à subir celui de la Roumanie ? Fallait-il en tout cas reporter en les aggravant terriblement des échéances que nous sommes loin après cinq ans d'avoir achevé de payer ? En Belgique et au Danemark, où le roi refusait de gouverner, en Hollande où la reine et en Norvège où le roi avaient pris le chemin de l'exil et la tête de la résistance, les dégâts furent-ils tellement plus atroces ? L'âme nationale n'a pas été en tout cas empoisonnée à la même profondeur, et les communistes ne sont pas revenus plus forts qu'ils n'étaient avant la guerre, alors qu'ils doublaient leurs effectifs dans les Chambres françaises. Plût au ciel que l'on ne pût enterrer ce débat avec l'homme qui voulut en assumer seul la pleine responsabilité! Mais la plaie subsiste, et peut-être est-elle de celles qu'il faut débrider largement pour en atténuer la purulence. Par-delà les aléas et les horreurs de la guerre, l'héroïsme, la faiblesse ou la honte des options individuelles, ne croyait-on pas retrouver une lutte familière entre la gauche et la droite, une alternance au pouvoir qui est de l'essence même du régime parlementaire ? La Chambre bleu horizon a préparé le Cartel des gauches, et le gouvernement Laval en 1935 le triomphe du Front populaire l'année suivante. De même le régime fascisant instauré à Vichy sous le coup de la défaite abandonnait largement aux communistes les fruits de la Libération. Mais cette fois les oscillations du pendule étaient trop fortes. Elles n'offraient plus au-delà du régime communément admis qu'une option entre deux totalitarismes, et par conséquent entre deux servitudes. Au bord de cette tombe, et alors que nous assistons à un nouveau retournement du pendule, les Français sauront-ils réfléchir honnêtement à leurs fautes passées ou présentes, souvent fort lourdes de part et d'autre, pour mieux voir ensemble les dures conditions de leur avenir commun ?

« soient laissé si longtemps abuser ? Les explications, bien sûr, ne manquent pas; et les plus contradictoires ou les plus lointaines ne sont pas forcément dépourvuesde vérité.

Mais l'explication essentielle n'est-elle pas que pendant quatre ans le gouvernement de Vichy avait usé officiellement detout son crédit et de tous ses moyens pour empêcher les cadres naturels du pays d'être aussi ceux de la Résistance, d'unerésistance qu'ils auraient dès lors dominée et conduite ? Un fait parmi tant d'autres fut grave de conséquences.

Que se passa-t-il àpartir de juillet 1943 lorsque, pour fuir les réquisitions du STO, des milliers et des milliers de jeunes Français se jetèrent dans lesbois ou dans les montagnes ? Toute la France officielle était contre eux, y compris-compte tenu de remarquables exceptions-cesChantiers de jeunesse que le maréchal avait spécialement chargés d'assurer leur éducation patriotique, mais qui devaient aussifaciliter leur embarquement vers les camps de travail allemands.

Pense-t-on que les FTP aient négligé pareille occasion depropagande et de recrutement ? Et, comme si ce n'était pas assez, toute la propagande officielle travaillait stupidement dans le même sens.

A lire les journaux, àécouter la radio, on pouvait se convaincre que toute désobéissance aux ordres de Vichy ne pouvait être qu'une manièred'adhésion, consciente ou non, aux factions " gaullo-communistes " et à l'ordre " judéo-marxiste ".

On cherchait inlassablement àconfondre dans le même opprobre l'esprit de résistance et l'obédience moscovite. Il s'agissait bien sûr, suivant un mot du maréchal souvent cité, d'éviter à ce pays le sort de l'infortunée Pologne.

Fallait-il pourautant l'exposer à subir celui de la Roumanie ? Fallait-il en tout cas reporter en les aggravant terriblement des échéances que noussommes loin après cinq ans d'avoir achevé de payer ? En Belgique et au Danemark, où le roi refusait de gouverner, en Hollandeoù la reine et en Norvège où le roi avaient pris le chemin de l'exil et la tête de la résistance, les dégâts furent-ils tellement plusatroces ? L'âme nationale n'a pas été en tout cas empoisonnée à la même profondeur, et les communistes ne sont pas revenusplus forts qu'ils n'étaient avant la guerre, alors qu'ils doublaient leurs effectifs dans les Chambres françaises. Plût au ciel que l'on ne pût enterrer ce débat avec l'homme qui voulut en assumer seul la pleine responsabilité! Mais la plaiesubsiste, et peut-être est-elle de celles qu'il faut débrider largement pour en atténuer la purulence.

Par-delà les aléas et leshorreurs de la guerre, l'héroïsme, la faiblesse ou la honte des options individuelles, ne croyait-on pas retrouver une lutte familièreentre la gauche et la droite, une alternance au pouvoir qui est de l'essence même du régime parlementaire ? La Chambre bleuhorizon a préparé le Cartel des gauches, et le gouvernement Laval en 1935 le triomphe du Front populaire l'année suivante.

Demême le régime fascisant instauré à Vichy sous le coup de la défaite abandonnait largement aux communistes les fruits de laLibération.

Mais cette fois les oscillations du pendule étaient trop fortes.

Elles n'offraient plus au-delà du régime communémentadmis qu'une option entre deux totalitarismes, et par conséquent entre deux servitudes.

Au bord de cette tombe, et alors quenous assistons à un nouveau retournement du pendule, les Français sauront-ils réfléchir honnêtement à leurs fautes passées ouprésentes, souvent fort lourdes de part et d'autre, pour mieux voir ensemble les dures conditions de leur avenir commun ? SIRIUS Le Monde du 24 juillet 1951. »

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