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Article de presse: La fin du maréchal-prédateur

Publié le 17/01/2022

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16 mai 1997 - En trente-deux ans de pouvoir absolu, soutenu par les Occidentaux, Mobutu Sese Seko avait usé de cruauté, de corruption et parfois de séduction pour modeler son pays à la dimension de ses caprices. De plus en plus coupé du peuple, le " maréchal-président" du Zaïre a dû fuir avant l'arrivée à Kinshasa des rebelles de Laurent-Désiré Kabila Ni sa toque de léopard ni sa canne sculptée à double tête d'oiseau n'auront soustrait Mobutu à son destin. Le cliché pris le 5 mai à bord du navire sud-africain Outeniqua, ancré au large de Pointe-Noire (Congo), ne montrait pas seulement un homme malade et résigné, au côté d'un Laurent-Désiré Kabila rayonnant, l'un et l'autre séparés par un Nelson Mandela plus crispé que jamais, contraint de concilier la peste et le choléra. Mobutu était tout à la fois là et déjà absent, comme étranger à sa propre fin, maréchal dans son labyrinthe. Sans doute ressassait-il cet incroyable épilogue : trente-deux ans de pouvoir absolu, de cruauté, de corruption et de séduction pour modeler un Zaïre docile à la dimension de ses caprices. Et soudain, le coup fatal porté par celui qu'il n'attendait pas : un chef rebelle dénué d'envergure, enrichi dans le trafic du diamant, poussé par les dirigeants de l'Ouganda et du Rwanda le "couple" Museveni-Kagamé afin de jeter à bas le mobutisme et sa haine des Tutsis. Le dictateur zaïrois ne pouvait considérer Kabila comme un danger. "Sinon, il l'aurait éliminé depuis longtemps, assure Jean-Baptiste Placca, fondateur du nouvel hebdomadaire L'Autre Afrique. Mobutu s'est débarrassé d'opposants autrement plus dangereux, même à des milliers de kilomètres du Zaïre." Au temps de sa splendeur, lorsque rien ne lui arrivait qu'il n'eût d'abord choisi, l'homme à la toque de léopard s'exprimait ainsi : "On ne dira jamais de moi : voici l'ex-président du Zaïre mais : ci-gît le président du Zaïre." Comme, avant lui, le shah d'Iran, il aura perdu jusqu'à la perception de son pays et de son peuple, chaque jour plus retranché, confiné dans le luxe aveugle de ses palais, de ses résidences à l'étranger, de son bateau fantôme, le Kamanyola, qui arpentait le fleuve pour échapper aux hommes et aux cris des femmes en colère. Le dernier carré des fidèles lui aura susurré les mots qui apaisent et qui trompent : miroir, mon beau miroir... Au milieu des siens, Mobutu demeurait le plus grand, le Guide incontesté, le Timonier, celui qui, au début de chaque bulletin des informations télévisées, apparaissait au milieu des nuages comme une figure céleste. A-t-il su que la population avait rebaptisé "Dernier soupir présidentiel" la fameuse division spéciale présidentielle (DSP), naguère redoutée pour ses exactions, avec ses 15 000 hommes de l'ethnie ngbandi l'ethnie de Mobutu ? A force d'entendre son nom acclamé, a-t-il oublié que le moindre vivat était payé en espèces sonnantes et trébuchantes aux "animateurs" de foules chargés, par ses proches, de lui complaire ? Atteint par la maladie, Mobutu s'est glissé dans les limbes de l'isolement. Le mensonge et la douleur, ses armes favorites, avec l'argent, à l'époque de sa gloire auront eu raison de sa lucidité. Contrairement à sa fière prédiction, le maréchal offre aujourd'hui le visage d'un président déchu. Rien de commun entre le passager malgré lui de l'Outeniqua et les photos du jeune sergent assoiffé de pouvoir du début des années 60, avec ses lunettes cerclées de métal et sa raie nettement marquée sur le côté pour singer le roi des Belges, Baudoin Ier. Sa chute est à la mesure de son cynisme brutal. A la veille de l'indépendance du Congo belge, Mobutu suit des cours de journalisme à l'Institut de presse de Bruxelles. Il a déjà signé des articles dans l'Avenir, le journal le plus colonialiste de Léopoldville. Cela ne l'empêchera pas d'entrer dans l'intimité de Patrice Lumumba et de son Mouvement national congolais (MNC) implanté en Belgique. Le futur chantre de l' "authenticité" africaine n'en pratique pas moins le double jeu : il travaille comme indicateur pour les services de la Sûreté belge, la renseignant "sur les actions et les propos des jeunes Congolais qui commencent à affluer dans les universités", écrit Jules Chomé dans son fameux livre l'Ascension de Mobutu, paru en 1974 dans la "Petite Collection Maspero". Mouchard et homme de confiance de Lumumba, Mobutu rompt avec l'image de l'obscur secrétaire-comptable-dactylo diplômé de l'Ecole centrale de Luluabourg (l'actuelle Kananga). Au lendemain de l'indépendance, il est au service de Patrice Lumumba, devenu premier ministre du président Kasavubu. Mais les Américains redoutent les liens de Lumumba avec le communisme international. Qu'à cela ne tienne : soutenu par la CIA, Mobutu renverse le gouvernement. Il ordonne la capture de Lumumba en fuite pour Stanleyville (aujourd'hui Kisangani). C'est même grâce à l'hélicoptère personnel de l'ambassadeur des Etats-Unis à Léopoldville (Kinshasa) que le père de la révolution congolaise sera retrouvé et arrêté. Mobutu, lui, devient l'allié de l'Occident au coeur de cette Afrique convoitée par les "rouges". En 1963, l'état-major américain lui décerne, sur ordre de Kennedy, la plaque de commandeur de la Légion du mérite. La citation est éloquente : "En nettoyant son pays des éléments étrangers communistes, il a prouvé qu'il était le gardien de la liberté et un ami des nations libres du monde." Dans son ouvrage CIA, inside story, le spécialiste américain de la Maison Blanche pour les années 1948-1961, Andrew Tully, précise : "On peut écrire, sans peur de se tromper, que Mobutu fut "découvert" par la CIA". Son rôle dans l'élimination de Patrice Lumumba ne l'empêcha pas, en 1966, de le proclamer héros national, tout en consacrant la villa d'Elisabethville (aujourd'hui Lubumbashi), où il fut torturé, lieu de pèlerinage national. Double jeu, mensonge et violence, habileté : la dictature pouvait s'établir sur des bases solides. Après Lumumba, ce fut au tour du chef de la sécession katangaise, Moïse Tschombé, de disparaître dans une prison algérienne, au terme d'un enlèvement organisé par la CIA. Officiellement, Mobutu n'y est pour rien. A la Pentecôte 1966, il n'hésitera pas à faire pendre quatre anciens ministres soupçonnés de comploter contre le régime. Il se débarrassera aussi de Pierre Mulele, un ancien compagnon de Lumumba réfugié à Brazzaville, en lui faisant miroiter une réconciliation. Une réception officielle fut donnée en son honneur : le soir même, il était torturé par les militaires. Un officier proche de Mobutu, Justin-Marie Bomboko, racontera cet épisode insoutenable : "Vivant, on lui a arraché les oreilles, coupé le nez, tiré les yeux des orbites pour les jeter à terre. On lui a arraché les organes génitaux. Toujours vivant, on lui a amputé les bras, puis les jambes. Les restes humains ont été noués dans un sac et immergés dans le fleuve." Combien de personnes, en trente-deux ans de dictature, ont subi ce déchaînement de violence poussé parfois jusqu'au rituel raffiné de l'empoisonnement ? "Mobutu n'hésite pas à battre sa ou ses femmes, à gifler ses collaborateurs, à ordonner la disparition de ses adversaires, écrit la journaliste du Soir Colette Braeckman, dans son ouvrage Le Dinosaure (Fayard). Lorsqu'il est en colère, il martèle le sol de sa canne de chef, il cogne, il crie. Parfois, des ministres quittent la présidence le visage tuméfié". Et de rapporter cette scène étrange d'un déjeuner officiel à Kinshasa réunissant, en 1988, le premier ministre belge, M. Martens, et son homologue zaïrois d'alors, M. Bagui, accompagné du ministre des affaires étrangères, Nguz'a Karl I Bond, "considéré comme l'ami des Belges". Colette Braeckman raconte : "En ces temps de crise entre Bruxelles et Kinshasa, une telle réputation était plutôt un fardeau. Alors que le premier ministre belge ne cessait de répéter sa joie de se retrouver en pays ami, ses voisins de table faisaient plutôt grise mine. Ils picoraient, non dans les plats abondants, mais dans des boîtes en plastique qu'ils avaient apportées avec eux. "Je pratique un régime sévère", déclarait l'un, tandis que l'autre invoquait son foie défaillant. En réalité, les deux hommes craignaient bel et bien d'être empoisonnés !" Les assiettes enduites de cyanure ou de venin de serpent sont un classique du mobutisme. Parmi les victimes supposées, le général Mulamba, dont la popularité gênait le maréchal, ou encore M Malula, qui lui tenait tête avec trop d'aplomb et de conscience. "Les observateurs font remarquer que, sur la douzaine de Compagnons de la révolution qui soutinrent Mobutu lors de sa prise de pouvoir en 1965 (...), les survivants se comptent sur les doigts d'une seule main", écrit encore Colette Braeckman. Le poison et les accidents d'hélicoptère n'y sont pas étrangers. A la mort violente de ses adversaires, le dictateur zaïrois a parfois préféré les longues peines de prison, la relégation, la terreur par la torture, les chocs électriques, les simulacres d'exécution. L'intimidation. Mais l'autre versant de son emprise sur le peuple reste sans conteste sa capacité de corrompre. A commencer par les chefs de l'opposition qu'une villa, une Mercedes, une situation de rente ou tout cela à la fois pouvaient rallier à la cause du chef suprême. Aux témoins des massacres d'étudiants à Lubumbashi en 1990, le maréchal a offert de l'argent. Aux fonctionnaires mécontents, aux militaires du "premier cercle" (la sécurité rapprochée), aux journalistes conciliants, il n'a cessé de fournir des mallettes remplies de billets de banque imprimés à tire-larigot. Piètre gestionnaire de son pays, Mobutu n'a pas mieux géré sa fortune. Au point d'être aujourd'hui bien moins riche que dans les années 80, lorsque son magot, fruit direct de la prédation des richesses minières et de l'aide internationale, culminait à quelque 4 milliards de dollars (environ 24 milliards de francs). Mais cette pyramide de la corruption, aux bases très larges, a permis la longévité de son règne. Le maréchal a initié à grande échelle ce que le directeur du CERI (Centre d'étude des relations internationales), Jean-François Bayart, appelle "la politique du ventre" : chacun, là où il se trouve dans l'échelle sociale, profite de sa situation pour "manger". Ainsi, les militaires, voyant leur solde confisquée par les officiers, se payent "sur le terrain", en multipliant les barrages routiers pour rançonner les automobilistes. D'après Colette Braeckman, "il n'est pas exagéré de dire que plusieurs millions de Zaïrois, cinq au minimum, ont, à un moment ou à un autre, bénéficié de la redistribution. C'est aussi la raison pour laquelle le mobutisme sera difficile à extirper". Mais la poule aux oeufs d'or a fini par étouffer. Américains et Sud-Africains lorgnent sur les richesses du Shaba (Katanga) et du Kasaï, un trésor de cuivre, d'or et de diamants. En déstabilisant l'immense Zaïre, l'Ouganda et le Rwanda espèrent prendre leur part de ce butin. Et voici comment Laurent-Désiré Kabila, riche trafiquant, s'est trouvé investi VRP d'un avenir sans Mobutu. Kabila, le seul auquel le dictateur, enfermé dans son labyrinthe, n'avait pas pensé. Le seul qu'il n'avait pas songé à acheter... ERIC FOTTORINO Le Monde du 20 mai 1997

« Dans son ouvrage CIA, inside story , le spécialiste américain de la Maison Blanche pour les années 1948-1961, Andrew Tully, précise : "On peut écrire, sans peur de se tromper, que Mobutu fut "découvert" par la CIA".

Son rôle dans l'élimination dePatrice Lumumba ne l'empêcha pas, en 1966, de le proclamer héros national, tout en consacrant la villa d'Elisabethville(aujourd'hui Lubumbashi), où il fut torturé, lieu de pèlerinage national. Double jeu, mensonge et violence, habileté : la dictature pouvait s'établir sur des bases solides.

Après Lumumba, ce fut au tourdu chef de la sécession katangaise, Moïse Tschombé, de disparaître dans une prison algérienne, au terme d'un enlèvementorganisé par la CIA.

Officiellement, Mobutu n'y est pour rien.

A la Pentecôte 1966, il n'hésitera pas à faire pendre quatre anciensministres soupçonnés de comploter contre le régime.

Il se débarrassera aussi de Pierre Mulele, un ancien compagnon deLumumba réfugié à Brazzaville, en lui faisant miroiter une réconciliation.

Une réception officielle fut donnée en son honneur : lesoir même, il était torturé par les militaires.

Un officier proche de Mobutu, Justin-Marie Bomboko, racontera cet épisodeinsoutenable : "Vivant, on lui a arraché les oreilles, coupé le nez, tiré les yeux des orbites pour les jeter à terre.

On lui a arrachéles organes génitaux.

Toujours vivant, on lui a amputé les bras, puis les jambes.

Les restes humains ont été noués dans un sac etimmergés dans le fleuve." Combien de personnes, en trente-deux ans de dictature, ont subi ce déchaînement de violence poussé parfois jusqu'au rituelraffiné de l'empoisonnement ? "Mobutu n'hésite pas à battre sa ou ses femmes, à gifler ses collaborateurs, à ordonner ladisparition de ses adversaires, écrit la journaliste du Soir Colette Braeckman, dans son ouvrage Le Dinosaure (Fayard). Lorsqu'il est en colère, il martèle le sol de sa canne de chef, il cogne, il crie.

Parfois, des ministres quittent la présidence le visagetuméfié".

Et de rapporter cette scène étrange d'un déjeuner officiel à Kinshasa réunissant, en 1988, le premier ministre belge, M.Martens, et son homologue zaïrois d'alors, M.

Bagui, accompagné du ministre des affaires étrangères, Nguz'a Karl I Bond,"considéré comme l'ami des Belges". Colette Braeckman raconte : "En ces temps de crise entre Bruxelles et Kinshasa, une telle réputation était plutôt un fardeau.Alors que le premier ministre belge ne cessait de répéter sa joie de se retrouver en pays ami, ses voisins de table faisaient plutôtgrise mine.

Ils picoraient, non dans les plats abondants, mais dans des boîtes en plastique qu'ils avaient apportées avec eux.

"Jepratique un régime sévère", déclarait l'un, tandis que l'autre invoquait son foie défaillant.

En réalité, les deux hommes craignaientbel et bien d'être empoisonnés !" Les assiettes enduites de cyanure ou de venin de serpent sont un classique du mobutisme.

Parmi les victimes supposées, legénéral Mulamba, dont la popularité gênait le maréchal, ou encore M Malula, qui lui tenait tête avec trop d'aplomb et deconscience.

"Les observateurs font remarquer que, sur la douzaine de Compagnons de la révolution qui soutinrent Mobutu lorsde sa prise de pouvoir en 1965 (...), les survivants se comptent sur les doigts d'une seule main", écrit encore Colette Braeckman.Le poison et les accidents d'hélicoptère n'y sont pas étrangers. A la mort violente de ses adversaires, le dictateur zaïrois a parfois préféré les longues peines de prison, la relégation, la terreurpar la torture, les chocs électriques, les simulacres d'exécution.

L'intimidation. Mais l'autre versant de son emprise sur le peuple reste sans conteste sa capacité de corrompre.

A commencer par les chefs del'opposition qu'une villa, une Mercedes, une situation de rente ou tout cela à la fois pouvaient rallier à la cause du chef suprême.Aux témoins des massacres d'étudiants à Lubumbashi en 1990, le maréchal a offert de l'argent.

Aux fonctionnaires mécontents,aux militaires du "premier cercle" (la sécurité rapprochée), aux journalistes conciliants, il n'a cessé de fournir des mallettesremplies de billets de banque imprimés à tire-larigot. Piètre gestionnaire de son pays, Mobutu n'a pas mieux géré sa fortune.

Au point d'être aujourd'hui bien moins riche que dansles années 80, lorsque son magot, fruit direct de la prédation des richesses minières et de l'aide internationale, culminait à quelque4 milliards de dollars (environ 24 milliards de francs).

Mais cette pyramide de la corruption, aux bases très larges, a permis lalongévité de son règne.

Le maréchal a initié à grande échelle ce que le directeur du CERI (Centre d'étude des relationsinternationales), Jean-François Bayart, appelle "la politique du ventre" : chacun, là où il se trouve dans l'échelle sociale, profite desa situation pour "manger". Ainsi, les militaires, voyant leur solde confisquée par les officiers, se payent "sur le terrain", en multipliant les barrages routierspour rançonner les automobilistes.

D'après Colette Braeckman, "il n'est pas exagéré de dire que plusieurs millions de Zaïrois, cinqau minimum, ont, à un moment ou à un autre, bénéficié de la redistribution.

C'est aussi la raison pour laquelle le mobutisme seradifficile à extirper". Mais la poule aux oeufs d'or a fini par étouffer.

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