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Article de presse: Le dernier combat de Marcel Cerdan

Publié le 17/01/2022

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28 octobre 1949 - La mort brutale sied à certains hommes. Pour ces aventuriers modernes que sont les globe-trotters du sport, elle est l'épilogue à sensation mais logique de carrières tissées de violences et de coups durs. Depuis hier soir, la France et le monde entier s'apitoient sur la fin tragique de Marcel Cerdan. Du coup est éclipsée la personnalité de ses compagnons d'infortune, singulièrement attachante à d'autres titres. Paradoxe de ce temps qui modifie notre échelle des valeurs humaines et exalte arbitrairement une nouvelle chevalerie des arènes. Certes, il est cruel de penser que Cerdan aurait pu reconquérir son titre de champion du monde et valoir à nos couleurs sportives un regain de lustre. Il aurait été tout aussi cruel, en revanche, de voir ce vaillant et loyal pugiliste s'écrouler, les bras en croix, aux pieds d'un adversaire plus jeune; prendre sa retraite puis remettre les gants comme tant d'autres, avaler l'âpre breuvage de la décrépitude, tomber dans la misère et présenter sur ses vieux jours le faciès méconnaissable des " gueules cassées " du ring. Cerdan disparaît en pleine santé, en pleine force, si intact même et si exceptionnellement dynamique que l'on conçoit mal qu'il ait été foudroyé sans réaction à son siège de passager. Imaginez ces affolantes secondes dans un avion de transport qui s'abat, ce strident déchirement des moteurs et des ailes-et les furieux réflexes, le dernier combat d'un corps tout en muscles qui refuse de s'anéantir... Chaque fois qu'il pénétrait dans l'enceinte du Palais des sports, sous le cône de lumière des lampes à arc, Cerdan montrait aux foules un visage livide : les mâchoires contractées, l'oeil aux aguets, les jarrets frémissants d'impatience, il écoutait à peine les conseils que dans son coin lui murmurait son manager. Puis on le voyait quitter sa robe de chambre azur, et son anatomie velue apparaissait formidable de puissance. Dès que le coup de gong avait retenti, la belle batterie entrait en action, libérant ses vapeurs et ses forces vives. Rares furent les opposants qui ne connurent point l'aventure de la mise hors de combat. Les mains minuscules de Cerdan-ces phalanges si délicates de " l'Homme au mains d'argile " -tenaient de la dynamite entre leurs mitaines. Dans la biographie riche en anecdotes qu'il a récemment publiée, (1) notre ami André Chassaignon rappelle les deux terribles combats que Cerdan livra à Gustave Humery. Le premier eut lieu en mai 1938. Littéralement assommé dès le début du match, désemparé durant cinq rounds, le " Bombardier marocain " se reprit par miracle et étala Humery dans la résine à la sixième reprise. Cerdan gagna la seconde rencontre, en 1942, par k-o à la deuxième reprise, mais jamais il n'eut aussi peur de sa vie, car cette fois Humery resta trente-six heures à l'hôpital Boucicaut. Curieux complexe que celui du boxeur parfaitement pacifique et gentil garçon qui a une fortune explosive dans ses gants ! Ainsi Cerdan, dit-on, joua-t-il au chasse-mouches avant la guerre avec Viez qui, dans l'emmêlement des corps à corps, le suppliait de l'épargner; ainsi en 1945 avec Tenet, vieux lutteur qui n'avait jamais mis un genou à terre; ainsi en 1946 avec Robert Charron, pour lequel il éprouvait quelques faiblesses, et dont il n'évoquait jamais sans rire de bon coeur les accrochages sous les cataractes du Parc des Princes... C'est lorsqu'il entreprit sa campagne pour le titre mondial, après avoir enlevé de nouveau le titre européen des poids moyens, que Cerdan mit réellement à l'épreuve sa combativité. Disons-le franchement : on fit tout, aux Etats-Unis, pour lui barrer la route. Tour à tour, Abrams et Raadik tentèrent de le stopper : ils y parvinrent presque, et l'on se souvient que, bien que vainqueur, notre champion fut par deux fois en perdition. Enfin, en septembre 1948, Tony Zale, las de se dérober, consentit à rencontrer son éternel challenger. Nous avons encore devant les yeux le film du grand match de Jersey-City, à l'issue duquel Cerdan conquit la couronne mondiale. Jamais il n'avait paru si puissant ni si fougueux. Pourtant, Lucien Roupp, qui avait lancé son poulain à Casablanca en 1933, et n'avait cessé de le " manager " jusqu'à ce jour mémorable du championnat du monde, a révélé depuis dans ses souvenirs que Cerdan n'avait pu s'entraîner sérieusement qu'une semaine à la suite d'un douloureux panaris! On sait qu'après leur rentrée à Paris, fêtée par un défilé à l'Arc de triomphe qui ne s'imposait pas, les deux hommes avaient rompu leur contrat. Depuis cette date, Cerdan, dont le nom seul était une aubaine commerciale, et dont on relatait complaisamment les moindres déplacements, était, pour ainsi dire, livré à lui-même. Entre Casablanca, où il faisait vivre dans l'aisance sa femme, ses trois fils et sa nombreuse famille, où il se livrait aux délassants plaisirs du tennis et du football, et Paris, où, quand il ne réussissait pas à se cacher chez des amis montmartrois, il était la proie des agents de publicité et des parasites, l'objectif de l'actualité le surprenait au Bourget ou à Orly. Les heures de vol de Cerdan ne se comptaient plus... En mai dernier, il regagna les Etats-Unis pour mettre-à trente-trois ans-son titre en jeu contre Jake La Motta. Celui-ci, cauteleux, hâbleur, misant sur ou contre lui-même dans ses propres matches, faisant baisser ou monter les cotes à son gré, était un adversaire peu engageant. Le 15 juin, il sortit tous ses atouts maîtres. Fin prêt, il sortit tous ses atouts maîtres. Fin prêt, il soumit à rude épreuve notre Cerdan-blessé à une épaule, il est vrai-et enleva le titre. La revanche, qui devait avoir lieu le 24 septembre, fut remise en raison d'une indisposition inopinée et très équivoque de La Motta, lequel allait, par cet ajournement, signer inconsciemment l'arrêt de mort de Cerdan.

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