Devoir de Philosophie

Article de presse: Le dernier roi d'Egypte

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

egypte
28 juillet 1952 - Les Egyptiens retiendront peut-être deux images du dernier souverain de la vallée du Nil. Au crépuscule du 26 juillet 1952, un homme chauve, les traits bouffis, obèse jusqu'à la laideur, vêtu de l'uniforme d'apparat d'amiral de la flotte, les yeux cachés sous d'épaisses lunettes fumées, quitte solennellement le palais de Ras el Tine, à Alexandrie, pour monter à bord du yacht royal Al Mahroussa. Une foule silencieuse, la gorge serrée par un mélange de pitié et de joie, assiste au départ en exil du descendant de l'Albanais Mohammed Ali, qui, cent cinquante trois ans auparavant, fondait la dynastie de la " rénovation nationale ". Le 29 juillet 1937, quinze ans presque jour pour jour avant ce départ forcé, un peuple en liesse acclamait follement l'accession officielle au trône d'un jeune homme de dix-sept ans, fraîchement émoulu des écoles britanniques. La silhouette mince et athlétique, le regard clair et beau, le sourire timide et charmeur d'un adolescent, le roi Farouk avait aussitôt conquis le coeur des foules. Se rendant au Parlement pour prêter le serment constitutionnel, il était installé dans un carrosse semblable à ceux en usage à la cour de Saint-James. D'un geste lent et gracieux, il répondait aux ovations d'une nation qui identifiait la jeunesse de son nouveau souverain à ses espoirs d'un avenir radieux. Personne n'en doutait : il libérerait l'Egypte de la mainmise étrangère et assurerait au peuple un niveau de vie décent. Deux dates qui marquent les limites d'une époque. Le règne de Farouk avait pourtant débuté sous d'heureux auspices. Proclamé roi à la mort de son père, le 28 avril 1936, le jeune souverain devait quatre mois plus tard ratifier le traité d'indépendance signé par Nahas Pacha, aux termes duquel la Grande-Bretagne s'engageait à évacuer ses troupes de l'ensemble du territoire, à l'exception de la zone du canal de Suez. L'année suivante, à Montreux, les " capitulations " étaient abolies et l' " égyptianisation " de l'Egypte paraissait augurer une émancipation totale qui ne saurait tarder. Mais le roi Farouk ne tarde pas à s'engager sur la même voie autoritaire que son père avait suivie. Le 30 décembre 1937, défiant l'opinion publique, il révoque le gouvernement du Wafd-le grand parti nationaliste de l'époque, dirigé par Nahas Pacha-et prononce la dissolution de la Chambre. C'est le début d'une succession de cabinets minoritaires soutenus par des parlementaires préfabriqués et surtout par la volonté d'un roi qui entendait se réserver l'exclusivité du pouvoir. Le peuple lui pardonna aussitôt cette première " erreur de jeunesse ", dont la responsabilité fut rejetée sur son entourage. Le roi, disait-on, était foncièrement un patriote qui libérerait le pays de l'influence britannique, demeurée prépondérante malgré le traité de 1936. Cette impression devait se confirmer au début de la deuxième guerre mondiale. Le roi affichait alors des sympathies pro-axistes, et l'idée qu'une victoire allemande pourrait débarrasser le pays de ses tuteurs britanniques était très répandue dans le peuple. Résistant aux pressions de l'ambassade britannique, le roi Farouk refusa de déclarer la guerre aux puissances de l'Axe et proclama la " non-belligérance " de l'Egypte. Il s'entoura, en outre, d'hommes qui, de notoriété publique, entretenaient des relations secrètes et suivies avec Berlin et Rome. L'avance triomphante des troupes du général Rommel vers Alexandrie devait, cependant, précipiter la crise entre le palais et l'ambassade britannique. Le 4 février 1942, les troupes anglaises, avec tanks et mitrailleuses, assiégeaient le palais d'Abdine. Farouk était sommé d'appeler au pouvoir le président de Wafd, Nahas Pacha, " bête noire " du gouvernement britannique, mais fidèle à ses conceptions antifascistes. Il était, en tout cas, le seul leader politique qui pouvait mobiliser le peuple en faveur des alliés. Pour conserver son trône, le roi céda à l'ultimatum britannique. La capitulation, à n'en pas douter, sonnait déjà le glas du régime. Le peuple en était profondément humilié; les jeunes officiers nationalistes, dont Gamal Abdel Nasser et son petit groupe de conspirateurs qui faisaient encore confiance au souverain furent amèrement déçus par son manque de fermeté. Chaque militaire ressentait l'événement comme un affront personnel. L'un d'eux, Mohamed Néguib, qui devait servir de figure de proue à la révolution de 1952, manifestait sa fierté de soldat et de patriote en démissionnant sur-le-champ. Le roi Farouk, lui, ne faisait qu'inaugurer une ère d'étroite collaboration avec l'occupant britannique, à qui il n'avait désormais plus rien à refuser... D'autant plus qu'au lendemain de la guerre le mouvement national assume un caractère progressiste : antiféodal, anticapitaliste et même parfois antiroyaliste. Le palais est désormais identifié aux grands propriétaires fonciers qui peuplent les allées du pouvoir, aux bourgeois enrichis par le conflit mondial et dont les représentants siègent au sein des gouvernements et, enfin, aux " impérialistes " anglo-américains, dont les projets de " défense commune " du Proche-Orient sont accueillis avec faveur par Farouk, qui voit dans la guerre froide le moyen de s'assurer la protection du bloc occidental. En février 1948, à la sortie d'un cinéma, le roi est conspué, pour la première fois, par une foule de badauds. En avril, nouveau fait sans précédent, la police se met en grève. Les signes avant-coureurs de la décomposition de l'Etat se multiplient : débrayages d'ouvriers de l'industrie, révolution paysanne sur les terres appartenant à des membres de la famille royale, extension de l'influence communiste dans les milieux urbains. Le 15 mai 1948, la guerre de Palestine permet au roi Farouk de monter une manoeuvre de diversion de grande envergure. La " jihad " (guerre sainte) contre les " usurpateurs sionistes " nécessite une " mobilisation nationale ". La loi martiale est proclamée. Les communistes, assimilés aux sionistes pour les besoins de la cause, les syndicats, les dirigeants nationalistes, les " défaitistes ", sont internés en bloc. La presse est muselée. Le juif devient le seul ennemi à abattre. Mais l'aventure ne dure pas. La défaite militaire nourrit les rancoeurs non seulement des civils, mais surtout des soldats, qui, dans leurs tranchées, apprennent par des camarades de passage la dolce vita dans laquelle se complaisent le roi, son entourage et la classe dirigeante dans les cabarets du Caire et d'Alexandrie. Vaincue, l'armée apprend la trahison dont elle était la victime : l'armement livré, de mauvaise qualité, avait été acheté, par des intimes du roi, au rabais contre de grosses commissions. C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase : Gamal Abdel Nasser et ses compagnons jurent d'abattre la monarchie honnie. Le coup de grâce n'a été donné que le 23 juillet 1952; l'agonie devait en effet durer quatre ans, au cours desquels Farouk tenta par tous les moyens de prolonger la vie de son régime. Le 26 janvier 1952, petit Néron, il assiste, impassible, à l'incendie du Caire. Entouré de six cents officiers, invités à sa table, il refuse d'interrompre le banquet pour sévir contre les incendiaires. Pourquoi l'aurait-il fait ? Le lendemain, il devait prendre prétexte de " l'incurie de l'administration " pour rétablir la loi martiale et révoquer le gouvernement de Nahas Pacha. Celui-ci, à l'encontre de la volonté royale, avait auparavant dénoncé le traité anglo-égyptien de 1936 et déclenché la guérilla contre les forces britanniques dans la zone du canal de Suez. Parti en exil, le roi Farouk perdit rapidement la cohorte de confidents et d' " amis " qui l'avaient adulé pendant plus de quinze ans. Il mena par la suite une vie relativement effacée, et il est mort oublié des hommes et de Dieu. ERIC ROULEAU Le Monde du 19 mars 1965
egypte

« En février 1948, à la sortie d'un cinéma, le roi est conspué, pour la première fois, par une foule de badauds.

En avril, nouveaufait sans précédent, la police se met en grève.

Les signes avant-coureurs de la décomposition de l'Etat se multiplient : débrayagesd'ouvriers de l'industrie, révolution paysanne sur les terres appartenant à des membres de la famille royale, extension de l'influencecommuniste dans les milieux urbains. Le 15 mai 1948, la guerre de Palestine permet au roi Farouk de monter une manoeuvre de diversion de grande envergure.

La" jihad " (guerre sainte) contre les " usurpateurs sionistes " nécessite une " mobilisation nationale ".

La loi martiale est proclamée.Les communistes, assimilés aux sionistes pour les besoins de la cause, les syndicats, les dirigeants nationalistes, les " défaitistes ",sont internés en bloc.

La presse est muselée.

Le juif devient le seul ennemi à abattre. Mais l'aventure ne dure pas.

La défaite militaire nourrit les rancoeurs non seulement des civils, mais surtout des soldats, qui,dans leurs tranchées, apprennent par des camarades de passage la dolce vita dans laquelle se complaisent le roi, son entourage etla classe dirigeante dans les cabarets du Caire et d'Alexandrie.

Vaincue, l'armée apprend la trahison dont elle était la victime :l'armement livré, de mauvaise qualité, avait été acheté, par des intimes du roi, au rabais contre de grosses commissions.

C'est lagoutte d'eau qui fait déborder le vase : Gamal Abdel Nasser et ses compagnons jurent d'abattre la monarchie honnie. Le coup de grâce n'a été donné que le 23 juillet 1952; l'agonie devait en effet durer quatre ans, au cours desquels Farouk tentapar tous les moyens de prolonger la vie de son régime. Le 26 janvier 1952, petit Néron, il assiste, impassible, à l'incendie du Caire.

Entouré de six cents officiers, invités à sa table, ilrefuse d'interrompre le banquet pour sévir contre les incendiaires. Pourquoi l'aurait-il fait ? Le lendemain, il devait prendre prétexte de " l'incurie de l'administration " pour rétablir la loi martiale etrévoquer le gouvernement de Nahas Pacha.

Celui-ci, à l'encontre de la volonté royale, avait auparavant dénoncé le traité anglo-égyptien de 1936 et déclenché la guérilla contre les forces britanniques dans la zone du canal de Suez. Parti en exil, le roi Farouk perdit rapidement la cohorte de confidents et d' " amis " qui l'avaient adulé pendant plus de quinzeans. Il mena par la suite une vie relativement effacée, et il est mort oublié des hommes et de Dieu. ERIC ROULEAU Le Monde du 19 mars 1965. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles