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Article de presse: Le " docteur " Prodi, " réinventeur " de l'Italie

Publié le 17/01/2022

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25 mars 1998 - Il est inutile de demander à Romano Prodi s'il est un homme heureux. Cela se voit. Depuis que l'Italie a obtenu son billet d'entrée dans l'euro, le président du conseil italien est aux anges. Le pari était difficile, voire impossible : en mai 1996, lorsque le gouvernement a pris ses fonctions, l'Italie ne respectait aucun des cinq critères de Maastricht. En moins de deux ans, le défi fut relevé et la victoire atteinte au terme d'un véritable parcours du combattant. La survie politique de Romano Prodi en dépendait. Combien de fois a-t-il répété que, si l'Italie était laissée sur le bord du chemin qui conduit à l'Union économique et monétaire au 1er janvier 1999, il démissionnerait immédiatement ? Il l'a encore redit, mercredi 25 mars, après la décision favorable de la Commission européenne et de l'Institut monétaire européen. Cette fois sans gravité, avec le sourire du travail accompli en ce jour anniversaire de la signature, à Rome justement - il y a quarante et un ans -, du traité de Rome, acte de naissance de l'Europe unie. La fête a été brève. Pas question de pavoiser avant la décision définitive du 2 mai, car, d'ici là, des réticences du côté de l'Allemagne et des Pays-Bas peuvent encore se manifester, même si l'essentiel de la tâche a été accompli. Et puis il faudra poursuivre l'oeuvre d'assainissement. La rigueur doit continuer. Aussi bien Carlo Azeglio Ciampi, ministre du Trésor (autre grand artisan du redressement), que Romano Prodi l'ont réaffirmé avec force après le rétablissement inespéré du pays. " L'Italie devra faire la démonstration de sa capacité à vaincre les guerres, et pas seulement les batailles " , a insisté le chef du gouvernement en remerciant les Italiens pour " les sacrifices acceptés " . Pour ce faire, Romano Prodi a bien l'intention de continuer son entreprise. Avec un sourire gourmand, il a avoué, lors du programme télévisé Il Fatto, que " son travail lui plaisait " et qu'il avait la ferme intention d'occuper sa fonction encore longtemps. A tout le moins jusqu'à la fin de la législature. La bataille gagnée de l'euro a incontestablement donné un second souffle au gouvernement de centre gauche qui a su circonscrire la maladie dont souffrait le pays et réussi à lui administrer les remèdes efficaces pour la vaincre même si la cure n'est pas encore terminée. Telle est l'image qui a été utilisée par le " docteur " Prodi, qui, avant la victoire des élections du 21 avril 1996, avait su faire le diagnostic correct en parcourant de long en large le pays, dans un autobus, lors de la campagne électorale. Il s'est ensuite attelé à la tâche et, en deux ans, la lire est rentrée dans le système monétaire européen (SME) et s'est maintenue à son niveau, l'inflation est passée de 5,5 % en janvier 1996 à 1,8 %, les taux d'intérêt ont baissé de 8,25 % à 6,7 %, le déficit public a été réduit de 6,9 % du PIB à 2,8 %. Et tout cela sans que les Italiens y trouvent à redire, acceptant même de payer une taxe pour entrer dans l'euro, taxe remboursable à partir de 1999. Même si tout n'est pas encore rentré dans le moule de l'orthodoxie des finances publiques - à commencer par la dette qui représente encore 121,6 % du PIB -, le tour de force de ces deux dernières années illustre une nouvelle fois l'étonnante capacité d'adaptation d'un pays ravalé bien souvent au rang de " nation spaghetti " par les Nordistes méprisants envers ces Sudistes trop peu sérieux. Le 23 avril 1997, lorsque la Commission de Bruxelles avait annoncé que, selon ses prévisions, l'Italie ne serait pas dans le groupe de tête des pays admis à l'euro, le sang des Transalpins s'était figé dans leurs veines. Leur orgueil latin fut blessé. " Nous répondrons avec des faits " , avait alors répliqué Carlo Azeglio Ciampi. Ce qui a été fait et salué la semaine dernière de cette manière par le ministre du Trésor : " La phrase peut paraître un peu étrange dans la bouche d'un septuagénaire mais je la dis quand même : aujourd'hui je me sens plus jeune. " La performance a été unanimement saluée, à commencer par Giovanni Agnelli, qui a parlé du 25 mars comme " d'une journée exceptionnelle " , ajoutant : " L'Italie a franchi les Alpes. " Barbara Spinelli, dans La Stampa, a parfaitement résumé le sentiment général : " Après tant de malheurs, l'Italie a l'impression non seulement d'entrer en Europe mais de rentrer en elle-même, de se retrouver... L'Italie a abattu son propre mur et, devant les décombres d'une classe politique, elle a reconquis une nation, édifié le sens commun de l'Etat aussi bien dans la majorité que dans l'opposition. Elle a dû réapprendre la vertu qu'elle avait perdue, la vertu de la stabilité économique et de la durabilité politique, la vertu de la monnaie solide, la vertu de celui qui ne pense pas seulement à lui-même mais qui se préoccupe aussi des fils, des neveux, qui se préoccupe de ne pas laisser en héritage les dettes des parents. " Il reste malgré tout du chemin à faire avant que la nation soit totalement " réinventée " , pour reprendre le titre de l'éditorial de La Stampa. Ce premier grand pas accompli ne suffit pas à ressouder un pays coupé en deux et dont l'unité reste menacée par la Ligue du Nord. L'écart ne cesse de se creuser entre le Nord, où le chômage est de 5 %, et le Sud, où il atteint 25 %. Tel est l'autre immense défi que le pouvoir doit relever avant que le drame du Mezzogiorno ne lui explose à la figure et que la criminalité organisée qui se nourrit du désoeuvrement, devienne totalement inexpugnable. Un avertissement a été lancé, le 20 mars, au gouvernement par plus de 50 000 personnes qui ont défilé dans les rues de Naples. Des négociations sont en cours avec les syndicats afin de mettre au point un plan d'intervention et le déblocage de fonds importants pour tenter de remédier à la préoccupation grandissante des chômeurs de Campanie, de Sicile et des Pouilles. Un avertissement Dans l'immédiat, il s'agit avant tout de faire passer le projet de loi sur les 35 heures, qui se heurte à une farouche opposition de la Confindustria, le patronat. Ce dernier a claqué la porte des négociations le 18 mars et a menacé de remettre en cause tous les accords sociaux avec le gouvernement. La guerre ouverte s'est transformée en trêve armée à la suite de la réunion extraordinaire de la Confindustria, vendredi 27 mars, à Parme. La Confindustria attend un geste du pouvoir, l'accusant d'avoir voulu rompre " unilatéralement " la concertation sociale. La marge de manoeuvre de Romano Prodi est limitée. Il est tenu par ses engagements envers son allié communiste Fausto Bertinotti. Les 35 heures pour le 1er janvier 2001 furent le sésame qui permit de mettre un terme à la crise gouvernementale d'octobre. Comment concilier la parole donnée et le refus du patronat sans mettre en danger la majorité politique ou la concertation sociale. Telle est la prochaine épreuve du régime de centre gauche ! Là encore, Romano Prodi devra faire valoir ses qualités de père tranquille de la politique italienne. Ses adversaires l'ont souvent qualifié de " mortadelle à visage humain " , sous-entendant qu'il était mou comme cette charcuterie. Il y a quelques jours, Bettino Craxi, l'ancien dirigeant socialiste, a pourtant dû reconnaître, de son exil tunisien : " Je n'ai jamais vu de mortadelle aussi dure ! " MICHEL BOLE-RICHARD Le Monde du 1er avril 1998

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