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Article de presse: Le drame des Malgré-nous

Publié le 17/01/2022

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25 août 1942 - Il n'y a rien d'étonnant à ce qu'un Adolf Hitler, imprégné depuis sa jeunesse vagabonde à Vienne des idées du pangermanisme, considérât l'Alsace et la Lorraine comme terres authentiquement allemandes. En juin 1940, la victoire des armes allemandes offre l'occasion de réaliser ce qui, en 1935, apparaissait encore comme un rêve insensé. Occupée par la Wehrmacht, l'Alsace-Lorraine allait vers un drame nouveau dans son destin pathétique. Le 1er juillet 1940, le chef de la chancellerie du Reich, Lammers, informait son collègue Stuckart, du ministère de l'intérieur, que le " Führer avait décidé de faire passer l'Alsace-Lorraine sous administration allemande ". Au mépris du droit international et malgré les protestations discrètes de Vichy, Hitler avait nommé, dès le 20 juin, le nazi Rovert Wagner gauleiter (gouverneur) de la province de Bade-Alsace. Dès le 21, Wagner destituait le préfet du Haut-Rhin en juillet, il s'installait à Strasbourg, capitale de son nouveau royaume. Dans le même temps, Joseph Burckel, fidèle de Hitler de longue date, prenait en main l'administration du gau (province) Lorraine-Palatinat. Des mesures de germanisation et de nazification ouvrirent la voie au service militaire obligatoire. On mentionnera la création, dès octobre 1940, de l'Opferring, " cercle de gens prêts à faire des sacrifices " pour l'Allemagne nazie : tous les postes locaux de quelque importance leur échurent. Début 1941, nouvelle étape : le parti nazi prend racine. Suivent, rapidement , le DAF (Front allemand du travail) et la Hitlerjugend (Jeunesse hitlérienne), obligatoire dès 1942 pour les jeunes de dix à dix-huit ans. Reste l'étape militaire fondamentale. Fondamentale d'abord aux yeux de Robert Wagner, qui estimait que, seule, l'épreuve du feu subie en commun ferait des jeunes Alsaciens de véritables Allemands. En août-septembre 1940, une action de propagande intense avait amené une trentaine de volontaires à la police auxiliaire et au SS. En octobre, Wagner déclenche une campagne puissante : il fait valoir que, pour se justifier aux yeux de la postérité, l'Alsace doit prendre part à " la lutte pour la liberté de l'Europe " que mène le Reich, particulièrement en Russie. D'octobre à janvier, les appels se multiplient. Ils visent particulièrement les 20 000 fonctionnaires alsaciens. Soutenue par l'ancien chef autonomiste H. Bickler, devenu officier SS, la campagne produit de maigres résultats : 2 100 volontaires pour toute l'Alsace, dont 18 fonctionnaires strasbourgeois. Rude déception pour Wagner. Pourtant, il ne renonce pas. Il trouve paradoxalement sur sa route un adversaire inattendu : le grand état-major de l'armée. Celui-ci rejette le principe du service de masse, donc obligatoire pour deux raisons. D'une part, il ne croit pas que, politiquement, on puisse faire confiance aux Alsaciens, même revêtus de l'uniforme vert-de-gris d'autre part, il objecte qu'ils ne possèdent pas la nationalité allemande : on ne saurait se battre pour un pays qui vous refuse le droit de cité. Or, le 20 janvier 1942, le Conseil de défense du Reich décide que les Alsaciens pourront obtenir le passeport allemand, au même titre que les Allemands du Reich. Le 13 février 1942, le principe du service obligatoire en Alsace-Lorraine est formellement admis. Mobilisation et désertions Mais les événements se précipitent, alors que la Wehrmacht a engagé la course qui mène à Stalingrad. Le 23 août, le ministre de l'intérieur du Reich promulgue une ordonnance applicable le lendemain. Le service militaire obligatoire est introduit en Alsace et en Lorraine. D'abord pour les hommes nés en 1920 et ayant accompli le service du travail, puis, en janvier 1943-alors que la VIe armée, encerclée, mène un combat désespéré dans Stalingrad-, aux hommes nés en 1908 et dans les années suivantes. En janvier 1944, alors que la déroute se dessine, on appelle les Alsaciens officiers de réserve de l'armée française, exclus jusque-là du service armé. La presse, la propagande nazie présentent les séances des conseils de révision comme de grandes fêtes populaires qui recueillent l'approbation d'une population unanime. La réalité est autre. Les rapports d'experts disent que les conscrits se présentent souvent " malades ", avec les drapeaux français, et chantant la Marseillaise. Malgré les déportations, les représailles contre les familles, beaucoup fuient en France, en Suisse. Le bilan de l'incorporation de force que l'on tente de dresser apparaît lourd. Sur deux cent mille Alsaciens-Lorrains mobilisables, quarante mille environ ont " déserté ", cent trente mille sont partis. Quatre-vingt-treize mille sont rentrés en 1945 et dix-sept mille autres, par petits groupes, dans la décennie suivante. La résistance a coûté cher. Près de cinq mille déportés et treize mille internés. La paix n'a pas clos le drame. Ainsi, du 12 janvier au 12 février 1953, le tribunal militaire de Bordeaux juge les SS auteurs du massacre d'Oradour. Parmi les inculpés figurent nombre d'Alsaciens incorporés de force, ce qui suscite un vif malaise dans les provinces de l'Est. Autre problème : l'indemnisation des " malgré-nous " et de leurs familles. Elle fait l'objet de difficiles négociations entre les gouvernements de la République française et de la République fédérale. LAZARE LANDAU Le Monde du 11 août 1982

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