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Article de presse: Le heurt de deux philosophies

Publié le 17/01/2022

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22 juillet 1982 - Au-delà des conflits d'intérêts, des maladresses et des querelles de souveraineté, l'actuelle crise euro-américaine reflète surtout une grave différence de philosophie sur ce qui était pourtant la principale raison d'être de l'alliance atlantique : les relations avec l'URSS. Autant en effet les conflits sur l'acier, le dollar, les produits agricoles sont anciens et pour ainsi dire " normaux " entre pays à économie de marché, autant les querelles sur le commerce avec l'Est sont nouvelles, du moins relativement, puisqu'elles ont réellement commencé à faire problème il y a environ deux ans, au moment des premières sanctions envisagées contre l'URSS. L'affaire du gazoduc n'en est même pas l'élément principal, puisque Washington, pour n'avoir pas caché son hostilité à ce projet dès avant le sommet d'Ottawa en 1981, n'en a pas moins sensiblement varié dans ses arguments au fil des mois. Depuis fort longtemps, y compris lorsque leurs relations avec l'URSS étaient plutôt bonnes, les Américains ont considéré les échanges économiques avec l'Est comme une arme politique. Washington en usait soit comme d'une carotte, pour inciter le Kremlin à un comportement modéré (telle était la doctrine de Henry Kissinger au début des années 70), soit, comme c'est le cas aujourd'hui, comme d'un bâton, pour " punir " l'URSS. Les Etats-Unis peuvent d'autant plus se le permettre qu'ils ne sont dépendants de Moscou ni pour leur approvisionnement énergétique, ni même pour l'importance de leurs créances, et qu'enfin ils ont commodément décidé, sauf pendant un bref intermède sous la présidence Carter, d'exclure des pressions l'instrument céréalier, le seul qui ait pour eux une réelle importance économique. Depuis Ronald Reagan, la notion de sanctions a été encore durcie pour devenir, tout au moins dans l'esprit des plus " durs " de ses conseillers, l'instrument d'une pression stratégique à long terme. L'un de ces conseillers, Richard Pipes, a confié récemment à Newsweek que l'URSS se trouve aujourd'hui dans une situation voisine de celle de 1921 ou de 1953. La famine et le mécontentement avaient alors profondément ébranlé le régime, jusqu'à imposer une nouvelle politique. Il conviendrait en somme, en conjuguant l'armement intensif avec un embargo économique et technologique rigoureux, de donner le coup de pouce décisif qui contraindra les dirigeants du Kremlin à changer de ligne. Le calcul n'est pas forcément faux, mais les Européens se refusent à peu près unanimement à se joindre à cette croisade. Leur commerce avec l'Est, tout en restant limité, ne leur paraît plus aussi marginal depuis que la crise économique oblige précisément à jouer sur les marges pour maintenir l'emploi et un minimum de croissance. Si l'Allemagne a besoin de ce commerce pour sauvegarder les acquis de la détente avec l'Est, la France, qui a refroidi ses relations politiques avec l'URSS, se refuse aussi, comme l'a dit François Mitterrand, à s'engager dans une " guerre économique " avec elle. De toute manière, il n'est pas possible aux Européens de se rallier à une politique américaine qui change d'une présidence à l'autre et parfois sous un même président. Lorsque cette politique se transforme en " oukases " et heurte de front les intérêts des pays en cause, l'affrontement est inévitable. BULLETIN DE L'ETRANGER Le Monde du 24 juillet 1982

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