Devoir de Philosophie

Article de presse: Le Vercors, un réduit inexpugnable

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

21-23 juillet 1944 - Il faut attendre 1943 pour que le Vercors, dont les vertus de forteresse apparaissent évidentes, entre dans les plans de la Résistance. Mais un petit groupe d'hommes, venus d'horizons sociaux très différents, dirigent déjà depuis longtemps leurs regards vers les crêtes dentelées du massif. Des Grenoblois d'abord, deux cafetiers, Eugène Chavant, maire révoqué de Saint-Martin-d'Hères, et Aimé Pupin, qui, dès 1941, alors que Grenoble se trouve encore en zone non occupée - la zone " nono ", comme on dit à l'époque, - se réunissent avec quelques amis socialistes dans l'arrière-salle d'un café de la gare de marchandises et créent un mouvement de résistance. Deux autres hommes aussi, amis, l'écrivain Jean Prévost et l'architecte Pierre Dalloz, passionné de montagne, ont pris l'habitude de se rencontrer à Sassenage, au pied du massif. C'est Dalloz le premier qui aura l'idée d'une utilisation militaire du massif, d'où sortira le fameux " plan montagnards ". Il estime qu'on peut faire jouer au Vercors le rôle de cheval de Troie, bourré de troupes aéroportées, qui, au jour ou peu avant le débarquement, jailliraient sur les arrières de l'ennemi. Pour rendre le scénario possible, pense Dalloz, il suffirait de rendre inaccessibles à toute pénétration blindée de l'ennemi, et cela semble facile, les entrées de ce " formidable donjon naturel " qu'est le Vercors. Dalloz se confie à Yves Farge - futur commissaire de la République, - ce dernier court voir Jean Moulin, qui, " emballé ", conseille de creuser l'idée et de constituer une équipe autour du général Delestraint, le délégué militaire du général de Gaulle. Le " plan montagnards " va prendre forme. On relève bien un sérieux handicap, à savoir " l'importance des villages et d'une population qui en cas d'utilisation militaire serait inévitablement compromise ". Mais on en conclut, comme l'écrit encore le général Le Ray, que le Vercors, dans l'hypothèse d'une offensive alliée sur la façade méditerranéenne, pourrait jouer le rôle de " tête de pont " et accueillir des forces aéroportées destinées à sectionner les lignes de communication ennemies dans les vallées du Rhône, de l'Isère, ainsi que dans le Sillon alpin depuis Aix-en-Provence jusqu'à Grenoble. Les auteurs du " plan montagnards " n'entendent donc pas faire du Vercors un " réduit inexpugnable ", comme on les en accusera plus tard après la défaite du maquis. Au contraire, ce devait être une base d'opérations offensives, " un porte-avions en pleine terre ". Depuis que les Allemands ont envahi la zone Sud le 11 novembre 1942 et que Vichy a institué le STO en février 1943, les jeunes sont venus grossir les rangs du premier maquis de la ferme d'Ambel, tandis qu'à Villard-de-Lans affluent les réfugiés. Les Allemands sont à Grenoble, mais ils n'envoient que leurs indicateurs sur le plateau. En novembre 1943, il y a une dizaine de " camps ", établis quasi ouvertement, et des groupes comme celui du Lyonnais Pierre Grouès, le futur Abbé Pierre. Il y a désormais deux chefs sur le Vercors, un chef civil, Chavant un chef militaire, François Huet, officier de cavalerie. Tous deux ont installé leur PC à Saint-Martin-en-Vercors, en plein coeur du massif. Début 1944, la tension monte. Il y a de nombreux accrochages avec les Allemands, qui tentent parfois avec succès des incursions sur le plateau. En mars 1944, les Allemands attaquent le maquis des Glières, en Savoie, lui aussi à l'abri d'une citadelle naturelle, qui tombe en quelques heures. Mauvais présage. Les gens du Vercors n'en tirent aucune leçon. Inquiet, Chavant se rend à Alger, rencontre Soustelle. Par écrit, le 31 mai 1944, celui-ci confirme : " Les directives donnés en 1943 par Vidal (le pseudonyme de Delestraint) pour l'organisation du Vercors demeurent valables. Leur exécution sera poursuivie. " Chavant, qui a demandé 4 000 hommes, selon Paul Dreyfus, rentre soulagé, et désormais chacun guette le ciel. Le 6 juin a lieu le débarquement de Normandie, et le général de Gaulle, à la BBC, appelle au soulèvement : " La bataille suprême est engagée. Pour les fils de France, où qu'ils soient, quels qu'ils soient, le devoir simple et sacré est de combattre l'ennemi par tous les moyens dont ils disposent. " Puis c'est un autre message qui est capté : " Le chamois des Alpes bondit. " Pour l'état-major du Vercors, les intentions de Londres ne font plus aucun doute, les renforts venus du ciel sont imminents. Tandis que les volontaires affluent sur le plateau. " L'une des causes principales du drame du Vercors fut sans nul doute la mobilisation hâtive de tous les résistants qui gagnèrent le massif dès le débarquement de Normandie, et non au moment du débarquement de Provence, le 15 août 1944, ce qui eût été logique ", explique Paul Dreyfus. Autrement dit, le maquis du Vercors ne s'est pas soulevé au bon moment. En réalité, en alertant les maquis sur tout le territoire français, les Alliés ont voulu faire croire aux Allemands que le débarquement de Normandie n'était qu'une diversion, et que la principale opération va être déclenchée ailleurs. Belle ruse, qui piégea l'ennemi mais aussi la Résistance sur le terrain. Au point que dès le 10 juin le général Koenig, chef des FFI, enverra ce message aux maquis : " Freiner au maximum la guérilla. Impossible actuellement vous ravitailler en armes et munitions en quantité suffisante. " Mais il est trop tard. Le drapeau français flotte à Saint-Nizier, au-dessus de Grenoble, et les Allemands ne peuvent pas ne pas l'apercevoir. Mais c'est l'euphorie sur le plateau. Quatre mille hommes sont peut-être rassemblés. Le 3 juillet, Chavant proclame la " République du Vercors " on parade le 14 juillet et, pour couronner une aussi belle journée, le ciel se couvre de corolles au-dessus de la cuvette de Vassieux. Il s'agit de matériel. Ce sera le seul et unique parachutage allié. Le 21 juillet, à 7 heures du matin, au-dessus de Vassieux, des appareils apparaissent, mais ce sont ceux de la Luftwaffe, qui larguent des planeurs bourrés de soldats. Les 15 000 hommes de la 157 division alpine du général Pflaum ont cerné le massif. Au nord, par la trouée de Saint-Nizier, qu'ils occupent déjà depuis le 15 juin, ils sont presque à Villard-de-Lans. Sur le versant est, par la vallée du Drac, où on ne les attend pas, la falaise étant trop abrupte, ils s'infiltrent par les cols, les " pas ". En trois jours, les 21, 22 et 23 juillet, date à laquelle Huet donne l'ordre de dispersion - mais des combats se dérouleront jusqu'en août, les maquisards cherchant à s'échapper du massif, - le sort du Vercors sera réglé. L'assaut des Allemands se traduisit par environ 600 morts du côté des maquisards il y eut près de 200 victimes civiles, et peut-être une centaine de morts chez les Allemands, chiffres encore discutés aujourd'hui. Il y a les iconoclastes, enfin, qui estiment que la Résistance dans le Vercors fut la victime de sa propre impéritie. " Le maquis a manqué de chefs et de chaussures ", ont dit certains. REGIS GUYOTAT Le Monde du 16 janvier 1993

Liens utiles