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Article de presse: L'économie soviétique à la recherche de l'efficacité

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

23 novembre 1962 - Lorsque meurt Staline, les principes généraux qui inspirent la politique économique de l'URSS peuvent être schématiquement résumés de la manière suivante. Pour construire le socialisme, il faut constamment accroître le volume de la production, en particulier l'industrie lourde. Ce qui compte, c'est l'accumulation primitive de produits. Le souci de rentabilité est secondaire. Pour atteindre les objectifs quantitatifs, l'activité économique doit être tout entière prévue, gérée, contrôlée par l'administration centrale. Que demande-t-on aux travailleurs ? Qu'ils dépassent les normes du plan. C'est alors qu'ils perçoivent les gratifications, d'ailleurs nécessaires pour vivre, puisque les salaires sont insuffisants. Quant à ceux qui ne remplissent pas la norme, ils sont punis. Avant même 1953, certains s'interrogeaient. La politique de " déstalinisation " obligea les autorités à innover. Pour compenser la suppression-en 1956-des dispositions les plus draconiennes du code du travail, il fallait offrir des stimulants. Chef du gouvernement, Malenkov eut la velléité de mettre entre parenthèses le dogme de la priorité absolue à l'industrie lourde. Cette " déviation " lui fut vivement reprochée, notamment par Khrouchtchev, qui pourtant, devenu le numéro un, allait reprendre à son compte une politique " consommationniste " (ce qu'il appela le " socialisme du goulash " ). En un premier temps-1956-1957,-Khrouchtchev voulut porter remède aux faiblesses de l'économie en opérant des réformes de structures sans employer des mécanismes économiques. La loi de 1957, adoptée sur son initiative-et en dépit de l'opposition de la plupart des membres du présidium,-bouleversait le système sans apporter de solution au problème des stimulants. Jusqu'alors, la plupart des entreprises industrielles-200 000 usines et 100 000 chantiers-étaient gérées directement par les ministères de Moscou. Khrouchtchev avait remarqué que les cloisons étanches entre ces ministères provoquaient un absurde gaspillage. Khrouchtchev fit dissoudre la plupart des ministères industriels. Leurs attributions furent confiées à des organismes nouveaux, les directions régionales de l'économie, appelées sovnarkhozes. L'objectif était de supprimer les doubles emplois, ainsi que les pertes énormes dues aux transports à longue distance, et enfin de rapprocher centres de gestion et production. On a parfois dit, à cette époque, que l'URSS découvrait les bienfaits de la décentralisation. Il s'agissait en fait d'une déconcentration. Les cent cinq sovnarkhozes devaient exécuter les directives du pouvoir central sans prendre d'initiatives. Certes, lors d'une discussion organisée avant la présentation de la loi au Soviet suprême, certains demandaient déjà un élargissement des droits des directeurs d'entreprise, par exemple en ce qui concerne la planification ou l'utilisation des bénéfices. D'autres préconisaient une plus grande autonomie, au moins en ces domaines, pour les sovnarkhozes. Khrouchtchev écarta ces suggestions. Il fit multiplier les garde-fous. La planification, impérative, restait de la compétence exclusive de l'administration centrale. De plus, il appartenait à un comité d'Etat de fixer dans toute l'Union soviétique les prix et les salaires. Un directeur d'usine ne pouvait attirer par de bons salaires le personnel dont il avait besoin. Pourtant, les adversaires-centralisateurs-de Khrouchtchev se méfiaient de cette réforme, qui, disaient-ils, allait développer l'esprit de clocher et porter préjudice à l'économie nationale. Ils susurraient que la création des sovnarkhozes allait engendrer dans les régions périphériques un danger séparatiste. Khrouchtchev lui-même ne tarda pas à remettre en cause une réforme pour laquelle il avait tant bataillé et pris d'énormes risques politiques. A partir de 1960, on assiste à un mouvement de reconcentration. Les ministères industriels, supprimés en 1957, renaissent peu à peu sous la forme de comités d'Etat. Le nombre des sovnarkhozes est ramené de cent cinq à quarante-six et, en novembre 1962, Khrouchtchev demande au comité central de dépouiller d'une bonne partie de leurs prérogatives ceux qui subsistaient. A l'échelon supérieur, il fit coiffer le système par un super-sovnarkhoze de l'URSS. Toutes ces réformes et contre-réformes n'amélioraient pas, on s'en doute, le rendement de l'économie. Des théoriciens, des praticiens, tiraient la sonnette d'alarme. Il serait temps, disaient-ils, d'adapter le système aux réalités. Un système qui n'avait pas mis fin à la pénurie, notamment pour ce qui concerne les produits agricoles, ou le logement, mais qui, en d'autres secteurs, fournissait imperturbablement des produits en surabondance ou que le consommateur refusait en raison de leur mauvaise qualité. Le problème fut posé au grand jour dans la Pravda, le 19 septembre 1962, par un économiste de Kharkov, le professeur Liberman. Il opérait une synthèse des idées de ceux qu'on appelle parfois les réformateurs. Le débat engagé portait sur la question suivante : quel est l'indice du succès d'une entreprise? Une entreprise est jugée bonne si elle réalise les objectifs du plan qui lui a été fixé, excellente si elle les dépasse, et mauvaise si elle reste en dessous de ces normes. Ce plan prévoit la quantité et la qualité des marchandises à produire. Il fixe les tarifs et aussi le montant du bénéfice que l'entreprise doit dégager au bout de l'année. Or, remarquait Liberman, ces critères du succès sont dans la pratique souvent en contradiction les uns avec les autres ils ne sont pas nécessairement la preuve d'un progrès économique. Il faut donc privilégier un de ces indices. Dans le système traditionnel, c'est le volume de production d'une entreprise qui constitue l'indice privilégié. Si la firme dépasse en quantité les objectifs du plan, elle reçoit les plus fortes primes auxquelles elle peut prétendre. De ce fait, elle a intérêt à fabriquer des produits lourds et encombrants, qui augmentent le volume global (et qui, en bien des cas, ne servent à rien). A d'autres moments, il est vrai, on a pris comme indice privilégié la production d'une entreprise calculée en roubles. L'entreprise avait donc intérêt à faire porter ses efforts sur les produits les plus chers selon les barèmes soviétiques. Pendant ce temps, l'innovation technique, pourtant souhaitée en haut lieu, est le dernier des soucis d'un responsable d'entreprise. Pourquoi prendrait-il le risque inéluctable de ralentir, pendant la période d'essai, le rythme de l'usine ? Il aurait alors beaucoup plus de mal à exécuter le plan qui lui a été fixé et se verrait imposer des pénalités... Les réformateurs avaient beau jeu de constater que le système en vigueur faisait obstacle au progrès technique. Liberman proposait alors que le bénéfice devienne l'indice privilégié du succès d'une entreprise. Il cherchait de cette façon à supprimer les contradictions entre les intérêts de l'économie nationale, ceux de l'entreprise et de chacun de ses ouvriers. L'entreprise sera récompensée si elle contribue à l'essor de l'économie nationale et chaque travailleur doit avoir sa part du profit de l'entreprise. Le plan en question Le bénéfice devient-il l'indicateur principal ? Une entreprise peut alors s'imposer, pour contribuer au progrès technique, des sacrifices temporaires sans s'exposer aux foudres de l'administration. Elle a une chance de tirer, par la suite, un plus grand profit de son activité. Elle a intérêt à soigner l'exécution du travail, à refuser matières premières et matériel défectueux, puisque son souci majeur est désormais de satisfaire le client. Pour cela, il est nécessaire de relâcher la tutelle du plan. Celui-ci n'établirait plus que la liste des principaux objectifs, rassemblerait les prévisions de toutes les entreprises, préciserait à chaque unité de production ce que la collectivité attend d'elle et laisserait beaucoup d'initiative dans la réalisation du programme. Ces suggestions suscitèrent beaucoup de critiques dans les milieux dits conservateurs... Elles seront reprises en 1965 dans la " réforme Kossyguine ", mais assorties de tant de clauses de sauvegarde que les idées originales des réformateurs apparaîtront dénaturées... Khrouchtchev, lui, encouragea les réformateurs à présenter leurs projets. En novembre 1962, il déclarait devant le comité central qu'il fallait étudier avec attention les idées de Liberman. Mais, ajoutait-il, il est beaucoup trop tôt pour prendre une décision. Au même moment, le premier secrétaire, chef du gouvernement, mijotait une autre réforme de structures. A ce comité central de novembre 1962, il faisait scinder en deux tout l'appareil du parti. Dans tout le pays, il y aurait deux organisations distinctes, une pour l'agriculture, l'autre pour l'industrie. Cette réforme-là allait avoir des conséquences politiques majeures deux ans plus tard. On peut, avec le recul du temps, estimer qu'elle fut déterminante dans la révolte des membres de l'appareil, révolte qui aboutit, le 13 octobre 1964, au limogeage, par le comité central, du premier secrétaire du parti. Au même moment, d'ailleurs, Khrouchtchev s'était mis à dos de hauts fonctionnaires de l'administration d'Etat, notamment les techniciens du plan. Ces experts avaient préparé un nouveau plan quinquennal. Khrouchtchev les pria de refaire tout leur travail. Il lui fut alors reproché d'avoir développé ses idées personnelles sans même avoir consulté ses collègues. Il voulait désormais un plan de sept ans. Un compte rendu de cette rencontre fut publié dans les Izvestia du 1eroctobre. Compte rendu très incomplet. Mais les extraits et le résumé du discours indiquent que, pour la première fois, le premier secrétaire s'en prenait au dogme sacro-saint de la priorité absolue à l'industrie lourde, dont il s'était fait le champion contre Malenkov. " Maintenant que nous avons une puissante industrie lourde, disait-il, et que la défense nationale est au niveau voulu, le parti peut s'occuper du développement des moyens de production qui servent à l'industrie de consommation. " C'est alors que s'achève une décennie d'efforts, à la fois réels et désordonnés, pour remettre d'aplomb l'économie soviétique. Réformes de structures incessantes et foucades pour que l'agriculture réussisse enfin à nourrir la population. Il y eut, par exemple, cette bataille pour le défrichement de millions d'hectares de terres vierges. Pendant les cinq premières années de Khrouchtchev, ces efforts ont porté des fruits, d'autant plus que le pouvoir donnait beaucoup de crédits à l'agriculture. Mais, à partir de 1959, au moment où l'URSS verse davantage d'argent pour la conquête de l'espace ou prend de nouveaux engagements à l'égard du tiers-monde, la crise de l'agriculture réapparaît et devient permanente, si bien que, en 1963, le pouvoir se résigne à acheter des céréales à l'étranger. Pendant cette décennie, qui correspond en gros à la période Khrouchtchev, il y eut d'incontestables progrès, notamment dans les quelques villes-telle Moscou-qui sont ouvertes aux étrangers. Ce n'est pas l'abondance, loin de là. D'ailleurs, dans presque tous les magasins, est institué une sorte de rationnement par la queue. Mais, dans ces " villes ouvertes ", ce n'est pas la pénurie qui persiste en de nombreuses régions. On construit aussi. Mais en 1964, année de la chute de Khrouchtchev, qui songe encore à la promesse faite par lui en 1957 : résoudre complètement dans les dix ou douze années le problème du logement ? On a tenté, en effet, d'en finir avec la norme encore courante en 1955-1956 : cinq ou six familles en un seul appartement. Il y a de nouveaux logements, mais ils sont petits et ont l'air vétuste. Le pouvoir annonça l'abondance et dut finalement imposer des restrictions nouvelles, comme le blocage des salaires, décrété le 1erjuin 1962, alors que sur le marché d'Etat les prix de vente de la viande et des produits laitiers augmentaient de 25 et 30 %. Il ébaucha des réformes pour sortir du marasme. Mais peut-on opérer une réforme véritable sans détruire les fondations du système ? Telle est la question posée mais jamais résolue. BERNARD FERON 1965

« Ce plan prévoit la quantité et la qualité des marchandises à produire.

Il fixe les tarifs et aussi le montant du bénéfice quel'entreprise doit dégager au bout de l'année.

Or, remarquait Liberman, ces critères du succès sont dans la pratique souvent encontradiction les uns avec les autres ils ne sont pas nécessairement la preuve d'un progrès économique.

Il faut donc privilégier unde ces indices.

Dans le système traditionnel, c'est le volume de production d'une entreprise qui constitue l'indice privilégié.

Si lafirme dépasse en quantité les objectifs du plan, elle reçoit les plus fortes primes auxquelles elle peut prétendre.

De ce fait, elle aintérêt à fabriquer des produits lourds et encombrants, qui augmentent le volume global (et qui, en bien des cas, ne servent àrien).

A d'autres moments, il est vrai, on a pris comme indice privilégié la production d'une entreprise calculée en roubles.L'entreprise avait donc intérêt à faire porter ses efforts sur les produits les plus chers selon les barèmes soviétiques. Pendant ce temps, l'innovation technique, pourtant souhaitée en haut lieu, est le dernier des soucis d'un responsabled'entreprise. Pourquoi prendrait-il le risque inéluctable de ralentir, pendant la période d'essai, le rythme de l'usine ? Il aurait alors beaucoupplus de mal à exécuter le plan qui lui a été fixé et se verrait imposer des pénalités...

Les réformateurs avaient beau jeu deconstater que le système en vigueur faisait obstacle au progrès technique.

Liberman proposait alors que le bénéfice deviennel'indice privilégié du succès d'une entreprise.

Il cherchait de cette façon à supprimer les contradictions entre les intérêts del'économie nationale, ceux de l'entreprise et de chacun de ses ouvriers.

L'entreprise sera récompensée si elle contribue à l'essorde l'économie nationale et chaque travailleur doit avoir sa part du profit de l'entreprise. Le plan en question Le bénéfice devient-il l'indicateur principal ? Une entreprise peut alors s'imposer, pour contribuer au progrès technique, dessacrifices temporaires sans s'exposer aux foudres de l'administration.

Elle a une chance de tirer, par la suite, un plus grand profitde son activité. Elle a intérêt à soigner l'exécution du travail, à refuser matières premières et matériel défectueux, puisque son souci majeur estdésormais de satisfaire le client.

Pour cela, il est nécessaire de relâcher la tutelle du plan.

Celui-ci n'établirait plus que la liste desprincipaux objectifs, rassemblerait les prévisions de toutes les entreprises, préciserait à chaque unité de production ce que lacollectivité attend d'elle et laisserait beaucoup d'initiative dans la réalisation du programme. Ces suggestions suscitèrent beaucoup de critiques dans les milieux dits conservateurs...

Elles seront reprises en 1965 dans la" réforme Kossyguine ", mais assorties de tant de clauses de sauvegarde que les idées originales des réformateurs apparaîtrontdénaturées... Khrouchtchev, lui, encouragea les réformateurs à présenter leurs projets.

En novembre 1962, il déclarait devant le comitécentral qu'il fallait étudier avec attention les idées de Liberman.

Mais, ajoutait-il, il est beaucoup trop tôt pour prendre unedécision. Au même moment, le premier secrétaire, chef du gouvernement, mijotait une autre réforme de structures.

A ce comité centralde novembre 1962, il faisait scinder en deux tout l'appareil du parti.

Dans tout le pays, il y aurait deux organisations distinctes,une pour l'agriculture, l'autre pour l'industrie.

Cette réforme-là allait avoir des conséquences politiques majeures deux ans plustard.

On peut, avec le recul du temps, estimer qu'elle fut déterminante dans la révolte des membres de l'appareil, révolte quiaboutit, le 13 octobre 1964, au limogeage, par le comité central, du premier secrétaire du parti.

Au même moment, d'ailleurs,Khrouchtchev s'était mis à dos de hauts fonctionnaires de l'administration d'Etat, notamment les techniciens du plan.

Ces expertsavaient préparé un nouveau plan quinquennal. Khrouchtchev les pria de refaire tout leur travail.

Il lui fut alors reproché d'avoir développé ses idées personnelles sans mêmeavoir consulté ses collègues.

Il voulait désormais un plan de sept ans.

Un compte rendu de cette rencontre fut publié dans lesIzvestia du 1eroctobre.

Compte rendu très incomplet.

Mais les extraits et le résumé du discours indiquent que, pour la premièrefois, le premier secrétaire s'en prenait au dogme sacro-saint de la priorité absolue à l'industrie lourde, dont il s'était fait lechampion contre Malenkov. " Maintenant que nous avons une puissante industrie lourde, disait-il, et que la défense nationale est au niveau voulu, le partipeut s'occuper du développement des moyens de production qui servent à l'industrie de consommation.

" C'est alors ques'achève une décennie d'efforts, à la fois réels et désordonnés, pour remettre d'aplomb l'économie soviétique.

Réformes destructures incessantes et foucades pour que l'agriculture réussisse enfin à nourrir la population.

Il y eut, par exemple, cette bataillepour le défrichement de millions d'hectares de terres vierges.

Pendant les cinq premières années de Khrouchtchev, ces efforts ontporté des fruits, d'autant plus que le pouvoir donnait beaucoup de crédits à l'agriculture.

Mais, à partir de 1959, au moment où. »

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