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Article de presse: L'ENA remplit-elle sa mission ?

Publié le 17/01/2022

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22 juin 1945 - L'Ecole nationale d'administration a été crée en 1945 pour élargir le recrutement des hauts fonctionnaires. Y est-elle parvenue ? A-t-elle pallié les défauts des concours auxquelles elle s'est substituée ? Dans quel sens devrait-elle être aménagée pour répondre pleinement aux espoirs mis en elle ? Telles sont les questions auxquelles le centre de recherches administratives, que dirige M. Henry Puget, conseiller d'Etat, a convié un certain nombre de personnalités du monde politique, administratif et universitaire à répondre. Neuf années de fonctionnement justifiaient l'ouverture d'un tel débat. Comme l'a souligné en commençant M. Ribas, auditeur au Conseil d'Etat et ancien élève de l'école, plus de six cents fonctionnaires actuellement en service sont passés par la rue des Saint-Pères. Ils représentent le quart des effectifs des " grands corps ", et plus de la moitié des inspecteurs des finances. Ni leur qualité ni l'existence même de l'école n'ont été mises en cause. Toutefois, comme on pouvait le prévoir, les déceptions que vaut à de nombreux élèves la formule du concours unique ont été longuement évoquées. Chaque année, lorsque est connu le classement de sortie, des jeunes gens se plaignent de ne pouvoir, en raison de leur rang, embrasser la carrière à laquelle ils rêvaient en entrant à l'ENA. Défenseur des " grands concours " d'avant la guerre, M. Léon Noël, ambassadeur de France et député, s'est fait l'avocat de ces candidats dont les vocations se trouvent, selon lui, fâcheusement contrariées par le nouveau système de recrutement. Cette critique paraît exagérée tant au directeur de l'école qu'au représentant des anciens élèves lui-même. Les anciens concours, eux aussi, causaient d'amères déceptions. Mais leurs victimes s'ignoraient, et c'est parce que l'Ecole d'administration les a en quelque sorte réunies que leurs doléances ont un plus grand retentissement. Fort de son expérience de directeur, M. Bourdeau de Fontenay ajoute à cette remarque une constatation qui doit être rapportée, au risque de confondre certains des élèves malheureux : les protestataires ne se comptent pas tant parmi les futurs fonctionnaires qui seraient fondés à trouver leur classement injuste que parmi ceux qui, issus de familles d'un certain rang social, croient déchoir en n'obtenant pas le grand corps auquel on les destinait. Cela semble si vrai qu'à l'inverse de nombreux élèves, moins prévenus, doivent à l'école et aux stages qu'elle organise d'avoir modifié et heureusement affirmé leur vocation en cours de scolarité. Il reste enfin aux administrateurs la possibilité, dans le cadre de leurs fonctions, d'orienter leurs activités de la façon qui correspond le mieux à leurs goûts et à leurs aptitudes. La vérité, selon du moins la plupart des orateurs, c'est que les inconvénients du système instauré en 1945 sont moins le fait de l'école que des administrations qui y recrutent leur personnel. Les défauts de l'établissement et les préjugés que nourrissent les élèves à l'égard de certains services disparaîtraient si l'avancement et la consécration des carrières dans les divers ministères étaient normalisés. Il est à la fois injuste pour les élèves et préjudiciable pour l'Etat que plus d'un fonctionnaire issu de la rue des Saints-Pères se voie confier des tâches subalternes. Pour répondre aux besoins croissants des administrations, auxquels l'ENA ne peut ni ne doit satisfaire, ne conviendrait-il pas de laisser aux départements ministériels le soin de recruter eux-mêmes certains de leurs agents et d'assurer, comme le propose M. Cassin, la promotion " par le rang " des plus aptes ? De tels aménagements permettraient de confier aux administrateurs civils les seules responsabilités de direction et de conception auxquelles les a préparés l'école; des mutations seraient possibles d'un ministère à l'autre, et le corps retrouverait auprès des candidats le prestige qui n'aurait jamais dû lui être contesté. Ces dispositions étaient en réalité contenues dans le projet d'où est née l'Ecole nationale d'administration. L'un de ses inspirateurs, M. Michel Debré, sénateur, n'a pu que regretter, en conclusion, que la réforme générale de la fonction publique entreprise à la Libération soit demeurée inachevée. Par ailleurs, la question des emplois offerts aux anciens élèves de l'Ecole nationale d'administration a été évoquée hier jeudi au Conseil de la République. Répondant aux observations qui lui étaient faites sur les tâches confiées aux administrateurs civils, M. Billères, secrétaire d'Etat à la présidence du conseil, a annoncé la prochaine mise en vigueur de mesures propres à pallier certains défauts du système actuel. Tout d'abord, le gouvernement se propose de créer des postes nouveaux dans les " grands corps ", non pas pour augmenter le nombre des places offertes " mais, a souligné le ministre, pour maintenir une proportion constante entre ce nombre et celui des emplois d'administrateurs ". La seconde mesure, que M. Billères juge " essentielle ", consistera dans la création d' " un corps d'attachés des administrations centrales qui viendra combler le vide qui sépare les secrétaires d'administration des administrateurs civils et déchargera ceux-ci des tâches d'exécution ". La mise en place d'un tel corps, au reste prévue par la loi, correspond trop aux voeux de la direction, des élèves et des " utilisateurs " de l'ENA pour que les uns et les autres ne sachent pas gré au gouvernement de vouloir en hâter la création. BERTRAND POIROT-DELPECH Le Monde du 4 décembre 1954

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