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Article de presse: L'épuration, la légende du bain de sang

Publié le 17/01/2022

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15 octobre 1945 - Contrairement à ce qui a parfois été écrit, la France n'a pas connu de bain de sang à la Libération, même si, dans cette période de guerre civile, tout était à redouter. Mais il convient de distinguer trois phénomènes de nature différente. Sous l'Occupation et pendant les combats insurrectionnels, la Résistance exécuta des collaborateurs, soit par représailles ou pour servir d'avertissement (l'exemple le plus célèbre étant celui de Philippe Henriot, chroniqueur de Radio-Paris, membre de la milice, tué le 28 juin 1944), soit lors d'affrontements. Le total de ces collaborateurs tués s'élève à 7 500 environ, dont 2 500 avant le 6 juin 1944. Alors s'ouvre la seconde période, celle de l'épuration extra-judiciaire postérieure à la Libération. Celle-ci s'effectue sous deux formes, soit par des exécutions sommaires, soit après jugement de cours martiales ou de tribunaux militaires. Ces juridictions ont prononcé plus de 400 condamnations à mort, toutes exécutées. Le bilan de l'épuration extra-judiciaire s'élève à 1500 exécutions environ. Il est certain que, dans cette atmosphère troublée de guerre civile, quelques faits condamnables se déroulèrent. Ainsi des règlements de compte, politiques ou personnels, furent commis. Mais, au total, tous ces faits apparaissent en nombre très limité. A ces 1 500 exécutions, il faut ajouter celles ordonnées par la justice officielle. Très tôt, en effet, le gouvernement s'est efforcé de canaliser cette volonté épuratrice dans un cadre légal. Première activité des pouvoirs officiels: l'internement des suspects-126 020 personnes ont ainsi été internées. Mais ce fut beaucoup plus une action protectrice contre d'éventuelles vengeances qu'une mesure répressive : 55 % d'entre elles ont été par la suite relâchées sans jugement. La justice officielle s'exerce par le biais de trois juridictions exceptionnelles: les cours de justice, qui peuvent prononcer des peines d'emprisonnement, de travaux forcés ou la peine de mort, les chambres civiques, qui jugent les adhérents des groupements collaborateurs et peuvent proclamer la nouvelle peine d' " indignité nationale " (privation des droits civiques), et la Haute Cour de justice, chargée de juger les dignitaires de Vichy. Plus de 160 000 dossiers ont été instruits. Le bilan s'établit ainsi :-non-lieu ou acquittement: 73 546 (46 %)-indignité nationale : 40 256 (25 %)-prison ou réclusion : 26 306 (16 %)-travaux forcés : 13211 (8 %)-mort : 7045 (4 %) Sur ces 7 045 condamnations à mort, 4 400 ont été prononcées par contumace et 70 % des condamnés ont été graciés par le général de Gaulle; 770 exécutions seront effectives dont celles de l'écrivain Brasillach et des ministres Laval, Darnand et de Brinon. Au total, donc, environ 10 000 Français furent exécutés pour collaboration de 1941 à 1945, dont près de 2 500 lors de l'épuration, officielle ou non, proprement dite. On est loin du chiffre de 100 000 exécutés avancé ici ou là. Les autres condamnés ne purgeront leur peine qu'un court laps de temps. En 1948, 68 % des condamnés avaient été libérés et 99 % en 1953. Privés, faute de moyens et d'appuis, d'une aide judiciaire efficace, plus enclins à la voyante collaboration militaire (en s'engageant dans la Milice, par exemple) qu'à la discrète collaboration économique, les gens issus des milieux populaires furent les plus touchés par la répression. D'autant que l'épuration administrative et l'épuration économique furent extrêmement limitées, exception faite de la presse et de quelques nationalisations, dont Renault, qui relèvent plus du symbole expiatoire que de l'illustration exemplaire. PHILIPPE BUTON Mars 1985

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