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Article de presse: Les débats de société soumis à référendum

Publié le 22/02/2012

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5 novembre 1996 - Est-ce un symptôme ? L'idée qui a soulevé le plus de passion au cours de la saison électorale qui vient de s'achever aux Etats-Unis n'a été ni la promesse de Bob Dole de réduire les impôts de 15 %, ni celle du président Clinton de brancher toutes les écoles sur Internet d'ici à l'an 2000 le débat le plus animé a eu lieu en Californie, autour d'un référendum préconisant la fin des traitements préférentiels accordés dans les emplois publics aux minorités ethniques. Et cette question, qui touche à l'une des valeurs fondamentales de la société américaine moderne, n'émanait pas des institutions politiques mais de simples citoyens. Ce référendum qui, sous le nom de proposition 209, a été adopté par une majorité de 56 % des voix, n'était que l'une des quatre-vingt-quatorze " initiatives de citoyens " soumises, cette année, aux électeurs américains, dans vingt Etats différents. Un nombre sans précédent depuis le début de la pratique référendaire, en 1904. Ethique Individuelle Un autre record a été atteint le 5 novembre 1996 : celui de l'abstention. Moins de 49 % des électeurs se sont rendus aux urnes, pourcentage le plus bas depuis 1924. Le manque de suspense d'une élection présidentielle dont l'issue restait figée dans les sondages depuis deux mois, comme la relative satisfaction qui découle de la bonne situation économique n'ont pas favorisé une ruée sur les bureaux de vote. Mais le taux d'abstention confirme une tendance décelée depuis longtemps : la politique intéresse de moins en moins les Américains. Dans ce contexte, la vigueur du mouvement référendaire a quelque chose de rafraîchissant. Certains de ces scrutins n'avaient qu'un intérêt local. Mais beaucoup avaient une portée nationale, abordant de front des questions politiques ou de société. Les référendums organisés dans sept Etats pour limiter les contributions financières aux campagnes électorales, ou, dans quatorze Etats, pour limiter dans le temps le nombre de mandats électifs, cherchaient clairement à résoudre des imperfections du système politique que le Congrès n'a pas eu le courage de régler par voie législative. Les électeurs de huit Etats ont eu la possibilité de se prononcer sur le principe d'une meilleure protection des droits des victimes, une composante très controversée du débat sur la répression pénale, car elle s'oppose généralement aux droits des accusés. Une autre catégorie d'initiatives référendaires concernait la légalisation des jeux de hasard, encore interdits dans de nombreux Etats. D'autres sont allées bien plus loin. Fidèle à sa tradition, la Californie est à l'avant-garde du mouvement : c'est elle qui, cette année, va de nouveau forcer un débat national sur l'affirmative action par l'adoption de la proposition 209. Dès mercredi, divers recours juridiques ont été déposés, les uns pour accélérer l'entrée en vigueur de la mesure, les autres pour l'empêcher, et il y a de fortes chances pour que ces procédures aboutissent à la Cour suprême des Etats-Unis. Les électeurs de Californie et d'Arizona ont également adopté deux mesures distinctes sur la légalisation de la marijuana à usage médical. Une grande première pour un débat si sensible qu'aucun élu ou haut fonctionnaire ne le soulèverait sans se suicider politiquement. Enfin, l'un des référendums qui a suscité le plus d'intérêt a été l'amendement 17 dans le Colorado proposant d'intégrer à la Constitution de l'Etat le droit des parents à " diriger et contrôler l'éducation, la scolarité, les valeurs et la discipline de leurs enfants ". Soutenu par diverses organisations religieuses et conservatrices, ce texte qui était perçu comme un test de l'influence du mouvement de rébellion contre l'enseignement public a été rejeté. Les deux tiers de ces référendums ont été organisés dans les Etats de l'Ouest, région qui a une tradition de plus grande indépendance à l'égard des institutions fédérales. Mais une constante se retrouve dans toutes ces " initiatives de citoyens " : elles abordent des problèmes de société ou des débats sur les valeurs que les candidats aux élections législatives et présidentielle, conscients du fort courant dans l'opinion en faveur d'un désengagement de l'Etat de la vie quotidienne, ont soigneusement évités. La campagne électorale a été essentiellement consacrée à ce que les Américains appellent les " bread and butter issues ", les problèmes de pain et de beurre de plus en plus, le système politique traditionnel est perçu comme un appareil de gestion qui n'a pas vocation à appréhender les grandes questions morales. Celles-ci relèvent de la compétence des citoyens et, en cas de désaccord, des neuf sages de la Cour suprême. De plus en plus résignés à l'idée que politique et morale ne font pas bon ménage, les Américains demandent à leur président d'être un bon gestionnaire, pas un modèle de rigueur morale. Le politologue William Schneider comparait récemment dans le Los Angeles Times le président à un plombier : " Lorsque l'on fait venir un plombier pour réparer la tuyauterie chez soi, écrit-il, on veut savoir s'il est capable de la réparer, pas s'il a fait son service militaire ou s'il a des maîtresses. Bien sûr, on veut aussi être sûr qu'il ne va pas cambrioler la maison. Mais ce plombier-là travaille depuis quatre ans dans la maison : rien n'a disparu et la tuyauterie marche mieux. " SYLVIE KAUFFMANN Le Monde du 8 novembre 1996

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