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Article de presse: Les évadés de France par l'Espagne

Publié le 17/01/2022

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21 octobre 1943 - Dans le port de Malaga, ce 21 octobre 1943, 1 500 étranges passagers, loqueteux et pouilleux, montent à bord du Sidi-Brahim et du Gouverneur général Lépine. Direction Casablanca. Il s'agit du premier convoi d' " évadés de France " que Franco a consenti à laisser partir pour l'Afrique du Nord par Malaga. Le gros de la troupe est formé de jeunes, réfractaires au Service du travail obligatoire en Allemagne (STO) ou, même non requis, prêts à tout pour se battre contre l'occupant hitlérien. Ils viennent de passer plusieurs mois en prison ou au camp de concentration de Miranda. Ils avaient franchi clandestinement la frontière franco-espagnole, défiant ainsi la police du gouvernement de Vichy, celle de Franco et la Gestapo. Car, après le débarquement allié en Afrique du Nord, le 8 novembre 1942, les Allemands avaient occupé totalement la France et avaient créé le long des Pyrénées une zone interdite. Ces jeunes étaient pressés : sans prendre le temps de se reposer ou de se soigner, ils s'engagèrent dans les armées de la Libération. Encore fallait-il réussir l'évasion. 33 000 y parvinrent, dont 18 540 pour la seule année 1943. On évalue les évasions réussies à 30 % des tentatives. Laissés dans l'ignorance par Radio-Londres quant au sort qui les attendait en Espagne, les évadés se faisaient le plus souvent " cueillir " au premier village venu. Là, ils étaient mis au placard en attendant de voir comment la guerre allait tourner. Des otages, en quelque sorte. Ils arrivaient un peu comme des chiens dans un jeu de quilles, dans cette Espagne saignée à blanc par la guerre civile, où Franco jouait les équilibristes entre ses amis Hitler et Mussolini, qui le pressaient d'entrer en guerre à leurs côtés, et les Britanniques et les Américains, dont il dépendait pour la survie de son pays. Peu après le débarquement allié en Afrique du Nord, les autorités françaises d'Alger mirent comme condition à la reprise du commerce avec l'Espagne la reconnaissance par Franco de leurs représentants à Madrid. Pas si vite ! L'Espagne devait encore ménager Hitler, même si Franco ne croyait plus à sa victoire. Alors, le Comité français de libération nationale (CFLN) - constitué à Alger en juin 1943 - suspendit les livraisons de phosphate marocain. Les Britanniques et les Américains arbitrèrent et un accord intervint en juillet 1943 : un premier contingent de phosphate contre une mission française représentant le CFLN à Madrid. Le colonel Malaise, chef de la mission, et Mgr Boyer-Mas, délégué de la Croix-Rouge, s'installèrent dans un vieil hôtel de la rue San-Bernardo. C'était l'ambassade officieuse de la France combattante, et aussi la base madrilène des réseaux de liaison et de mission. Le phosphate marocain devint une monnaie d'échange et une arme diplomatique dont Alger se servit. Les livraisons de matières premières et d'hommes se firent progressivement, par petits lots: 20 000 réfugiés contre 500 000 tonnes de phosphate A l'arrivée à Casablanca les évadés durent entendre deux discours les exhortant à suivre l'un Giraud, l'autre de Gaulle. Certains reçurent un papier sur lequel ils purent lire : " Le soussigné déclare désirer rejoindre l'armée du général de Gaulle, du général Giraud (biffer la mention inutile). " Rude leçon, après celle de la prison. Au total, 23 000 évadés de France s'engagèrent, dont 9 500 furent tués pour la Libération. JEAN HOUDART Le Monde du 24 octobre 1988

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