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Article de presse: Les gardiens de la mémoire

Publié le 22/02/2012

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Mémoire 1990 - Les Français qui n'ont pas vécu la seconde guerre mondiale connaissent généralement les données essentielles de cette période mais leurs faiblesses apparaissent dès qu'on leur pose des questions historiques précises, surtout si leur niveau scolaire est bas. Telle peut être la première lecture du sondage effectué à l'occasion du colloque " Les échos de la mémoire " par SCP Communication parmi les moins de quarante-cinq ans, c'est-à-dire nos concitoyens nés après 1945. Que s'est-il passé entre 1939 et 1945 ? Tout le monde, ou presque, sait que les soldats qui ont occupé la France étaient allemands, mais, à part quelques étudiants, rares sont les personnes interrogées qui évoquent aussi les Italiens. De Gaulle, Pétain : leur rôle respectif est à peu près situé. 68 % des 18-44 ans et 90 % des lycéens et étudiants situent à Vichy le siège du gouvernement français et une majorité fixe en 1940 la date de l'appel du 18 juin, même si une minorité pense à 1944. Chacun cite de Gaulle parmi ceux qui ont combattu pour la libération de la France, mais près d'un quart des adultes se trompent de guerre et cite Foch, tandis que 14 % pensent pouvoir ranger Pétain dans cette catégorie des libérateurs. La célébrité de Jean Moulin apparaît remarquable, puisque respectivement 68 % et 78 % des deux échantillons savent qu'il était " l'envoyé du général de Gaulle pour unifier la Résistance ". Lorsqu'il s'agit des aspects moins glorieux de l'histoire des Français, la performance est en revanche moins brillante. Une forte proportion des personnes interrogées surévaluent le nombre de parlementaires ayant refusé les pleins pouvoirs à Pétain, tandis que le rôle des policiers français dans la rafle du Vel' d'Hiv' reste méconnu : une majorité des 18-44 ans attribue ces arrestations aux SS ou aux soldats allemands, la réalité étant cependant largement connue des étudiants et lycéens. Sur cette question comme sur d'autres apparaît nettement le rôle de l'éducation. Les élèves de première, qui n'ont pas encore étudié cette époque, ne sont que 40 % à répondre justement, mais ce taux passe à 61 % chez les élèves de terminale, 65 % parmi les étudiants de premier cycle, pour grimper à 78 % dans les cycles supérieurs. Les dégats du " révisionnisme " Le même phénomène, doublé d'un effet d'âge, se retrouve à propos de l'utilisation des chambres à gaz. Pour 65 % des adultes et 80 % des lycéens et étudiants, il s 'agit d' " un fait clairement prouvé ". Cette certitude est d'autant plus largement partagée que s'élève l'âge des personnes interrogées et leur niveau d'études (72 % chez les titulaires d'un diplôme supérieur, contre 55 % pour ceux qui n'ont pas dépassé le primaire). Mais l'enquête permet aussi de mesurer l'ampleur des dégâts causés par le " révisionnisme ". Pour 34 % des adultes au total - la proportion tombe de moitié chez les lycéens et étudiants et à 9 % chez les élèves des grandes écoles, - l'utilisation des chambres à gaz ne constitue pas un fait clairement prouvé. Parmi les 23 % qui estiment qu'il s'agit d' " un fait qui a eu lieu mais qui n'est pas clairement prouvé ", on retrouve des personnes qui ont fourni des réponses erronées aux questions portant sur les autres faits historiques, et semblent donc facilement ébranlables faute d'un bagage culturel suffisant. Il n'en est pas de même pour les 10 % pour qui le fait " n'est pas vraiment prouvé " : ceux-là semblent connaître l'histoire d'après leurs autres réponses, et être directement influencés par les élucubrations négationnistes, tout comme, évidemment, le 1 % qui croit à " un mensonge ". Sur l'image de la Résistance, l'effet de génération est particulièrement spectaculaire. Si la moitié des 18-44 ans croient que la principale préoccupation des Français sous l'occupation était de " résister à l'occupant ", seuls 26 % des lycéens et étudiants ont la même opinion, tandis que près des deux tiers d'entre eux pensent que les Français cherchaient d'abord à " ne pas s'engager ". Cette vision sans doute plus réaliste de la Résistance, rapportée depuis une dizaine d'années seulement par les manuels scolaires, n'empêche cependant pas une majorité des personnes interrogées de surestimer le nombre de Français engagés dans les mouvements de la Résistance. L'enquête met enfin en lumière le rôle de la télévision, première source d'information sur la guerre chez les 18-44 ans (67 %). Mais chez les étudiants et lycéens, le petit écran est largement détrôné par les professeurs, cités à 85 % contre 69 % pour la télévision. Un contraste intéressant lorsqu'on constate, par ailleurs, l'imprécision des connaissances de ceux dont la télévision constitue la première source d'information. Viennent ensuite les livres et seulement après les parents et grands-parents, nettement distancés par le cinéma et les journaux chez les étudiants et lycéens. La mémoire directe s'émoussant, le rôle des médias et des enseignants apparaît désormais capital. PHILIPPE BERNARD Le Monde du 14 juin 1990

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