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Article de presse: Les islamistes du FIS appellent à la trêve et à la négociation

Publié le 17/01/2022

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23 octobre 1997 - " Le pouvoir algérien est opposé à toute solution politique. Ce qu'il veut obtenir, c'est une reddition militaire pure et simple des groupes armés. Cette stratégie est vouée à l'échec. Le régime doit négocier un compromis politique avec la direction du FIS. La balle est dans son camp. " Celui qui parle ainsi, d'une voix mesurée, dans un appartement anonyme de la capitale, est l'homme qui, à l'occasion des élections législatives de décembre 1991 alors qu'Abassi Madani et Ali Benhadj étaient incarcérés , a conduit le FIS aux portes du pouvoir, avant que les militaires n'interrompent le scrutin. Récemment, il a lui-même été libéré de prison après y avoir passé plus de cinq années, sans jugement, dans des conditions précaires. Il sait que rencontrer un journaliste -ce qu'il fait pour la première fois depuis sa remise en liberté- peut lui valoir d'y retourner demain. Le FIS, dit-il, a appelé, le 21 septembre, " toute l'opposition armée " à observer une trêve. " Elle est respectée et elle a pris de l'ampleur. Outre l'AIS [l'Armée islamique du salut, la branche militaire du FIS], des groupes catalogués comme faisant partie du GIA [Groupe islamique armé], mais qui n'ont rien à voir avec les dernières tueries, y adhèrent " , affirme-t-il. Pour transformer la trêve en " paix durable " , il faut que le pouvoir prenne des dispositions apaisantes : " amnistie générale et libération des prisonniers, possibilité pour les opposants réfugiés à l'étranger de retourner dans leur pays, ouverture du champ politique et médiatique, levée de l'état d'urgence et prise en charge financière des victimes par l'Etat " . Le responsable du FIS ne se berce pas d'illusions. " Il y a, observe-t-il, une volonté manifeste des militaires de faire échouer le processus de paix. Ils ne veulent pas d'une solution politique. Ils n'accepteront jamais de lâcher le pouvoir. " La meilleure preuve en est, selon lui, le placement en résidence surveillée (notre interlocuteur préfère parler de " remise en prison " ), le mois dernier, d'Abassi Madani, alors que le dirigeant historique du FIS négociait un appel à la trêve qu'il devait lancer à la télévision. " Tout était prêt, mais le pouvoir s'est ingénié à faire traîner les choses de jour en jour tandis que les tueries inexpliquées se multipliaient aux portes d'Alger. Il devenait urgent de lancer l'appel. Abassi Madani s'est alors adressé publiquement à Kofi Annan [le secrétaire général de l'ONU]. C'était une façon pour lui de faire pression sur le pouvoir et d'accélérer les choses. Les militaires ont riposté en le remettant en prison " , dit le dirigeant du Front. Et d'ajouter : " J'aurais pu lancer moi-même l'appel à la trêve. Le pouvoir algérien a préféré se tourner vers l'AIS et, ce faisant, privilégier une lecture sécuritaire de la crise, plutôt que politique. " De fait, à compter du 1er octobre, la branche armée du FIS a décrété une trêve unilatérale des opérations. Qu'a obtenu en contrepartie son " émir national " , Madani Mezrag, surtout implanté dans l'est de l'Algérie ? Quelques concessions matérielles, la possibilité de regrouper ses maigres troupes (quelques milliers d'hommes au maximum), mais aucun engagement politique, selon différentes sources concordantes. Le responsable du FIS martèle : " Il y a un accord entre nous pour que le politique prime sur le militaire et sur la représentation du Front à l'étranger. " L'accord du 1er octobre met à mal cette prééminence du Front sur l'AIS. Plusieurs responsables du FIS, à l'évidence, voient d'un mauvais oeil ce qu'ils considèrent comme une " reddition " de l'AIS face aux militaires. Le FIS n'a d'ailleurs pas été associé aux tractations entamées dès 1995 entre les services de sécurité algériens et des proches de Madani Mezrag. Invité par ce dernier à cosigner l'annonce de la trêve, le principal dirigeant du FIS, affirme l'un de ses intimes, aurait refusé de le faire. Les négociations menées en parallèle au cours de l'été par le régime algérien avec Abassi Madani se sont également faites en marge de la direction collégiale du FIS. Le " numéro un " du Front était l'unique interlocuteur du pouvoir, le seul admis à discuter avec les militaires. Les autres responsables n'étaient associés qu'indirectement aux discussions par un Madani le plus souvent cloîtré dans son appartement (au-dessus d'un commissariat), dans un immeuble fatigué de Belcourt, un quartier populaire de la capitale. " Nos conversations avec Abassi étaient écoutées et son téléphone placé sur écoute, raconte notre interlocuteur. Toutes nos allées et venues étaient surveillées par la police. " Conscient de la faiblesse du FIS, son principal responsable mise sur " la pression de la communauté internationale " pour amener le régime algérien à négocier avec ceux qui, en 1991, ont manqué conquérir légalement le pouvoir. S'il agite la menace d'une suspension de la trêve, c'est sans trop de conviction. " La trêve est limitée dans le temps, rappelle-t-il, et il appartiendra aux groupes armés de décider si elle doit être maintenue ou pas. " A long terme, il ne doute pas de la victoire des idées défendues par le FIS. Mais si elles doivent triompher, insiste-t-il, ce sera " par le suffrage universel " . " Chaque parti défend un programme. Le nôtre est connu. Le peuple tranchera " , dit-il, avant de lancer un appel à la France pour " qu'elle cesse d'appuyer, contre son intérêt à long terme, un pouvoir militaire qui n'a pas d'avenir " . JEAN-PIERRE TUQUOI Le Monde du 21 octobre 1997

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