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Article de presse: Les polémiques les plus farouches

Publié le 17/01/2022

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6 septembre 1960 - C'était une époque de duels incessants. Aucun cardinal n'avait pris la décision de les interdire. On dégainait à tout moment, se fâchant avec les amis de la veille comme si la vie n'avait été faite que pour les polémiques les plus farouches. La raison de cette ardeur belliqueuse, c'était la politique. Tout avait commencé en 1951, avec la publication de l'Homme révolté. Imaginez d'Artagnan se brouillant avec Athos... Dans cet essai, Albert Camus répudiait le modèle soviétique du socialisme et le condamnait comme une des monstruosités du siècle. Jean-Paul Sartre ne pardonnerait pas à l'auteur de l'Etranger cette façon de voir. Un article de Francis Jeanson dans les Temps modernes déclencha les hostilités. Il n'était guère aimable pour Camus, et celui-ci répondit sur le même ton. Sartre épousa la cause de Jeanson : " Mon cher Camus, " " Notre amitié n'était pas facile mais je la regretterai. Si vous la rompez aujourd'hui, c'est sans doute qu'elle devait se rompre. Beaucoup de choses nous rapprochaient, peu nous séparaient. Mais ce peu était encore trop [...]. Qui l'eût dit, qui l'eût cru que tout s'achèverait entre nous par une querelle d'auteur où vous joueriez les Trissotin et moi les Vadius ? " (1) Sartre, durant ces années, pratiquait souvent l'art d'écrire comme un art de la rupture. Fâché depuis longtemps avec Raymond Aron, il eut un froid passager avec Maurice Merleau-Ponty pour des motifs analogues : leurs attitudes à l'égard du Parti communiste différaient, ou s'opposaient. En 1955, dans les Aventures de la dialectique, Merleau-Ponty reprocha à l'auteur de la Nausée la faveur qu'il continuait d'accorder à ce même parti. Sartre était taxé d'ultra-bolchevisme. Cela suscita une vive réplique de Simone de Beauvoir dans les Temps modernes. De son côté, Raymond Aron, s'en prenant aux dévots du marxisme, allait confirmer, avec l'Opium des intellectuels, tout ce qui, désormais, le séparait de son ancien ami. En 1956, la révélation des crimes de Staline dans le rapport Khrouchtchev et l'écrasement des prolétaires hongrois par les chars soviétiques multiplièrent les divisions, les querelles, les déchirures. Sartre prit ses distances avec les communistes, alors que Roger Vailland s'en éloigna discrètement. Il décrocha le portrait de Staline qui se trouvait dans son bureau, jurant qu'il n'y placerait plus le portrait d'aucun homme. A vrai dire, ce n'était pas seulement le stalinisme que l'on mettait en question. C'était la conception même du socialisme. Claude Lefort et ses amis de la revue Socialisme ou barbarie considéraient le régime de Moscou comme une caricature. Ce n'était pas la révolution qui avait triomphé là-bas, mais la bureaucratie. Claude Lefort lui opposait le socialisme des conseils ouvriers. Plus radicaux encore dans la critique, Guy Debord, Raoul Vaneigem et l'Internationale situationniste voyaient le régime soviétique comme une autre forme de la dictature de l'économie. Le premier numéro de l'I.S. parut en juin 1958. Les thèses de cette revue allaient faire fortune, puisque nombre d'entre elles devaient inspirer le mouvement de mai 1968. A la fin des années 50, l'autre sujet de discorde, parmi les intellectuels, c'était la guerre d'Algérie (2). Elle se termina en 1962. Une autre époque débutait. Elle serait marquée par le lent déclin des maîtres à penser. FRANCOIS BOTT Octobre 1985

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