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Article de presse: L'exceptionnelle longévité d'Anastase Mikoyan

Publié le 17/01/2022

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29 mars 1966 - Il naquit en 1895, à Sanain, en Arménie. Ses parents l'envoyèrent au séminaire dans l'espoir qu'il échapperait ainsi à la condition ouvrière de la famille. Anastase Ivanovitch croyait-il au Dieu qu'il allait prêcher ? Ce n'est pas évident. En tout cas, deux ans avant la révolution d'Octobre, il connut les bolcheviks et, sans hésiter, entra dans leur paroisse. Il devait y retrouver un autre prêtre manqué, Joseph Staline. Révolutionnaire professionnel, il travaillait à Bakou quand, là comme ailleurs, les léninistes s'emparèrent du pouvoir. Victoire précaire : les anticommunistes n'entendaient pas se laisser faire. Ils s'emparèrent de vingt-six commissaires du peuple promis au peloton d'exécution. Anastase Mikoyan, fait prisonnier par les Anglais qui se trouvaient en Arménie, échappa au sort qui l'attendait. Son nom ne figurait pas-erreur, habileté ou hasard, comme l'écrit l'Encyclopédie soviétique ?-sur la liste des commissaires. Pendant deux ans, il resta à Bakou, où il se fit oublier jusqu'au retour de l'Armée rouge, puis il remplit en province diverses missions pour le compte du parti. Dès 1922, il avait été élu au comité central. Sa carrière prend figure en 1926 lorsqu'il est nommé membre suppléant du bureau politique (il sera titularisé huit ans plus tard après l'assassinat de Kirov). La même année, il est commissaire du peuple au commerce intérieur. A cette époque où la gloire allait aux bâtisseurs de l'industrie lourde, il fallait une modestie avisée pour se spécialiser dans la consommation. Lorsqu'il était prisonnier des Anglais, Mikoyan s'était entiché des méthodes de l'intendance britannique. Pourquoi le socialisme dédaignerait-il les procédés qui avaient si bien réussi au capitalisme ? Lui qui avait pris le parti de Staline dans les querelles de succession après la mort de Lénine, il pouvait se permettre d'afficher des opinions plutôt dangereuses alors que le dictateur ne tolérait aucune admiration pour l'Occident. Non seulement Mikoyan dit le bien qu'il pensait des techniques étrangères mais il réussit en 1936 à se faire envoyer en mission d'étude aux Etats-Unis. Pendant que ses collègues du bureau politique discutaient d'épurations, il se lançait à la découverte des abattoirs de Chicago et commençait à cajoler les hommes d'affaires américains. Ils se laissa tant absorber par les problèmes de ravitaillement qu'il n'eut pas le loisir de prendre aux purges une part très spectaculaire. C'est là un des secrets de sa réussite : il fut souvent là au bon moment, mais surtout il s'arrangea pour n'être pas là aux pires des moments. Ce n'est certes pas par hostilité à Staline qu'il se déroba aux besognes les plus répugnantes. Plus que d'autres, et avant beaucoup d'autres, il apporta sa contribution au culte de la personnalité. Du moins se contentait-il de déclamer des biographies du grand homme. Il fut aussi le premier à brûler ce qu'il avait adoré. En février 1956, le parti tenait son premier congrès depuis la mort du dictateur. Personne ne disait mot du disparu. Mikoyan rompit le silence. L'histoire du parti rédigée sur les instructions de Staline est truffée de mensonges, dit-il, elle ne sert à rien. Quant à la dernière intervention du secrétaire général sur les problèmes économiques, qui avait été la bible du précédent congrès, elle n'a aucune valeur. Le terrain ainsi déblayé, Khrouchtchev pouvait assener aux auditeurs les révélations du rapport secret. Des missions d'avant-garde Décidément, Mikoyan était voué aux missions d'avant-garde. Alors que le Kremlin essayait d'effacer la querelle du Kominform, il fut le premier homme d'Etat soviétique à passer des vacances en Yougoslavie. En 1959, il précéda Khrouchtchev aux Etats-Unis. Il se rendit aussi au Japon. Premier vice-président du gouvernement depuis 1955, il étendait son champ d'action : au commerce, sa spécialité d'origine, il ajoutait la diplomatie. Ainsi, en 1962, aussitôt après la grande crise des fusées, il partit pour Cuba et répara tant bien que mal les pots cassés avec M. Fidel Castro. Obligé de prolonger son séjour, Anastase Mikoyan ne put même pas revenir à Moscou assister aux obsèques de sa femme. Sur le chemin du retour il s'arrêta aux Etats-Unis, où il rencontra le président Kennedy. Ce marchand toujours poli mais rude en affaires s'identifiait à la politique de détente. D'une façon générale, d'ailleurs, il s'identifiait à la politique de Khrouchtchev, qu'il avait soutenu dans les tourmentes. Il était aux côtés du premier secrétaire pour dénoncer Staline, puis pour réduire à néant les efforts du groupe dit " antiparti ", animé par Malenkov, Molotov, Kaganovitch. Il n'était cependant pas khrouchtchévien de stricte observance. Alors qu'en 1959 les fidèles du premier secrétaire réclamaient des sanctions sévères contre les membres du groupe antiparti, lui il prêchait la clémence. Il tint le même langage en 1961 lorsque bon nombre de délégués au vingt-deuxième congrès se déchaînèrent contre le groupe antiparti. Ce personnage vif, noiraud, jouait à merveille le rôle du sage au-dessus de la mêlée. En juillet 1964, il renonça aux tâches absorbantes de premier vice-président du gouvernement et fut nommé président du présidium du Soviet suprême, c'est-à-dire chef de l'Etat. A ce poste, il remplaçait Leonid Brejnev, qui devait désormais consacrer tout son temps au secrétariat du parti. Trois mois plus tard. Il alla rendre visite à son ami Khrouchtchev, qui se reposait sur les bords de la mer Noire. Pendant que le patron était loin de la capitale, les barons préparaient la révolution de palais. Mikoyan était-il dans le secret de la conspiration ? Sans doute. Fit-il le voyage pour s'assurer que son ami ne se doutait de rien ou pour le préparer tout doucement à la chute ? Pendant deux ans encore, Mikoyan fut, au bureau politique, le dernier survivant de la période léniniste. Dès 1965, invoquant son âge et sa fatigue, il céda à M. Podgorny la présidence du Soviet suprême. En 1966 enfin, ayant bien mérité le repos, il quitta le bureau politique. Avec quelques autres vétérans, il siégea au comité central jusqu'en 1976, après avoir siégé au Soviet suprême jusqu'en 1974 (1). BERNARD FERON Le Monde du 24 octobre 1978

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