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Article de presse: Liban, I. -1975-1976: chrétiens et palestiniens s'affrontent

Publié le 17/01/2022

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13-16 avril 1975 - L'incident de l'autobus d'Aïn-Remmaneh, qui mit le feu aux poudres le 13 avril 1975, qui en est responsable ? Question bien dépassée. Il est vrai qu'il y a eu vingt-sept morts et dix-neuf blessés parmi les passagers palestiniens et propalestiniens, contre quatre morts et sept blessés libanais au sein de la foule phalangiste et prophalangiste massée devant une église. Mais les passagers de l'autobus étaient armés, en traversant un quartier chrétien profondément hostile. Il est surtout vrai que, à défaut de ce premier affrontement du 13 avril 1975, le conflit eût éclaté ailleurs et autrement. Comme une gestation arrive à son terme, le Liban de 1975 devait accoucher de sa guerre. Au début, on s'est battu une semaine pour s'arrêter un petit mois, durant lequel la vie reprit presque comme si de rien n'était. Les zones de combat redevenaient des rues les termes " Beyrouth-Ouest " et " Beyrouth-Est " n'avaient pas encore été inventés et les lignes de démarcation n'existaient pas. Si l'affaire en était restée là-trois " rounds " en avril, en mai et en juin-suivis d'une pause en juillet plus longue et censée déjà être définitive avec gouvernement d'union nationale à la clé,-elle n'eût sans doute pas été élevée à la dignité de " guerre ", bien qu'elle ait fait mille morts. Les phalangistes se considéraient investis de la mission de se substituer à l'Etat défaillant pour combattre les Palestiniens, dont le poids militaire, notamment à Beyrouth, rompait progressivement le délicat équilibre libanais. Ils entraînèrent la population chrétienne-mais pas l'armée comme ils l'imaginaient-dans la bataille. En face, les Palestiniens, tout en mettant en avant les partis libanais de gauche et musulmans-ce qui donne naissance au duo ambigu " islamo-progressiste ", avec pour corollaire celui, contesté, de " conservateurs-chrétiens ",-menaient la bataille avec la suffisance de qui se croit le plus fort. Ils l'étaient. Politiquement, militairement, l'Etat libanais ne faisait plus le poids face à une OLP intérieurement envahissante et internationalement triomphante. Ce ne sont encore que les premiers balbutiements d'une guerre qui ne cessera de se compliquer et de s'enchevêtrer, mais déjà ses éléments de base se mettent en place : paralysie de l'Etat et de l'armée, prélude à leur désintégration clivages entre communautés menant inexorablement à leur éclatement mise en branle d'un mécanisme qui finira par broyer Palestiniens et Libanais à la fois, les uns et les autres fonçant tête baissée dans les pièges les plus grossiers arbitrages syriens qui, empêchant quiconque, par un subtil jeu de bascule, d'être vaincu et encore moins vainqueur, se transformeront en tutelle intrusion israélienne, qui débouchera sur l'invasion pusillanimité d'un Occident oscillant entre un intérêt passionné mais inefficace et le désintérêt total. En septembre 1975, la guerre fait un saut qualitatif elle atteint le centre de Beyrouth. Les lignes de démarcation s'ébauchent, les quartiers de la ville et non plus sa banlieue font connaissance avec les obus, les enlèvements de musulmans par les chrétiens, et vice versa, entrent dans les moeurs. Octobre, novembre, décembre : incendie des vieux souks et du port, bataille des grands hôtels et le " samedi noir " (6 décembre 1975), point culminant de la sauvage pratique de l'exécution sommaire " sur base confessionnelle ". Qui a commencé ? C'est un peu l'oeuf et la poule. Lors du tristement célèbre " samedi noir ", les chrétiens ont massacré entre cent et deux cents musulmans dans des rues bruyantes, au sein d'une population qui n'a pas encore appris la ségrégation communautaire. Mais il est également vrai que cela suivit l'exécution, tout aussi sommaire, de quatre jeunes gens chrétiens du côté de Fanar (Metn). On peut ainsi remonter de liquidation en liquidation jusqu'au meurtre de trois vieux moines au Nord. La cassure intercommunautaire s'élargit. Mais, malgré le " samedi noir ", le président Hafez El Assad reçoit à Damas le même jour le chef des phalanges, Pierre Gemayel. Les Palestiniens se croient encore maîtres de la décision, convaincus que Damas, même s'il manoeuvre, devra en définitive se ranger derrière leur panache. Vanité! les Syriens sont déjà les vrais maîtres du jeu, alors que, parallèlement, les Israéliens se sont introduits chez les chrétiens. Janvier 1976, que faut-il dire ? Damour-la Quarantaine ? Ou la Quarantaine-Damour ? Lequel de ces deux horribles massacres-de chrétiens à Damour et de musulmans à la Quarantaine-a-t-il précédé (et motivé) l'autre ? En termes de siège, c'est la Quarantaine. D'assauts et donc de tueries, c'est Damour. Mais ce n'est pas un " match nul ". Les Syriens ne s'y trompent pas : les chrétiens sont en train de perdre la partie les Palestiniens-car ce sont eux les vrais protagonistes, sous couvert d' " islamo-progressistes " -de la gagner. Cela, Damas ne le tolère pas. La Syrie aide et aidera constamment le vaincu pour qu'il n'y ait précisément pas de vainqueur. On a souvent accusé le président Assad d'avoir changé, au Liban, de politique comme de chemise, et cela parce qu'on le voyait changer d'alliés. C'est faux la politique syrienne entre chrétiens et Palestiniens dans ce pays a été, au fil des dix longues années, d'une remarquable continuité : ne jamais laisser ni un allié devenir trop fort, ni un adversaire être éliminé de la scène-sauf Arafat. Ce ne sera évident que plus tard mais Damas bascule à ce moment en faveur des chrétiens, impose une trêve, qui durera deux mois (mi-janvier, mi-mars 1976) et sera rompue par un coup d'Etat d'opérette, d'autant plus incongru qu'il s'insère dans une vraie guerre, dure, meurtrière, dévastatrice. Le peu qui subsistait de l'armée et de l'Etat éclate : le président de la République, Soleiman Frangié, abandonne le palais présidentiel et se réfugie en terrain phalangiste-c'était alors l'union sacrée chez les chrétiens, la rupture n'interviendra qu'en 1978. Quant à l'armée, si elle se désintègre, du moins ne participe-t-elle pas aux combats, ou si peu, à travers l' " armée du Liban arabe ", fraction sans grande envergure qui rallie le camp " palestino-progressiste ", tandis que des officiers chrétiens aident les milices de leur communauté. L'affrontement syro-palestinien De la mi-mars à la mi-novembre, ce sont huit mois tragiques, la plus longue phase d'hostilités ininterrompues des dix ans de guerre, dont le foyer principal est Beyrouth, mais dont les convulsions secouent tout le Liban. Avant que le front ne se stabilise et que les chrétiens ne regagnent du terrain avec le soutien de la Syrie, ils perdent pied de tous côtés. A Beyrouth, de l'hôtel Holiday Inn à l'immeuble Fattal-deux hauts lieux de la guerre,-leur recul n'excède pas 800 mètres. Mais c'est le coeur de la cité qui meurt, ravagé par les combats, pillé et saccagé boutique après boutique, bureau après bureau, dans le sillage de l'avance des " palestino-progressistes " : la fin d'un monde. Au nord aussi, les chrétiens lâchent prise au Koura. Plus grave : leur sanctuaire de la montagne centrale est attaqué par le haut, par ces crêtes hautaines dont ils s'enorgueillissent et qui tombent entre les mains de leurs ennemis. Entraînés par le chef druze Kamal Joumblatt, qui commet l'erreur de défier ouvertement les Syriens en voulant cueillir une victoire qu'il sent à portée de main, les Palestiniens s'enhardissent à proclamer que " la route de Jérusalem passe par Jounieh " (coeur du pays chrétien). Autant dire, dans le contexte d'alors, par Damas... Dès lors, le président Assad deviendra leur ennemi implacable-et le restera, même durant les longues années 1978-1982, où il est contraint, par le traité de Camp David, à refaire alliance avec eux jusqu'à les éjecter enfin de la scène en 1983, ou, du moins, de les faire sortir du Liban et de Syrie. Fermant les yeux sur les relations déjà étroites des milices chrétiennes avec Israël, la Syrie croise le fer avec les Palestiniens en juin 1976, puis de nouveau à l'automne. Les armes syriennes font couler le sang palestinien sans qu'à Damas le régime s'effondre, sans même qu'il soit affaibli. L'URSS, sollicitée désespérément par la résistance palestinienne, laisse faire son allié syrien. Remis en selle après que Damas eut inversé le cours de la guerre, les chrétiens renouent avec le succès au nord et, à Beyrouth, au camp de Tell-el-Zaatar, au prix il est vrai d'un effroyable massacre supplémentaire... L'équilibre rétabli, et l'Arabie saoudite ayant convaincu les présidents Assad et Sadate d'arrêter leur épreuve de force-car depuis un an et demi que dure la guerre au Liban, le chef de l'Etat égyptien y a constamment pris le contre-pied de Damas,-la situation est mûre pour une pause, que l'on prend à l'époque pour la paix. La caution arabe permet à la Syrie de transformer son armée au Liban en une Force arabe de dissuasion. Entre-temps, le Liban a pu se doter d'un nouveau président, Elias Sarkis, qui hérite d'un non-pouvoir, homme seul s'il en fut jamais à la tête d'un Etat qui n'existe plus. Les Libanais apprennent, durant cette période noire entre toutes, que la guerre, outre les obus, les liquidations, les francs-tireurs et les destructions qu'ils connaissaient déjà, c'est aussi l'électricité coupée, l'eau qui n'arrive plus aux immeubles, l'essence qui disparaît, l'aéroport, après le port, qui se ferme, avec, en prime, dans le secteur " palestino-progressiste ", le chaos et le banditisme. Par centaines de mille, ils fuient cette terre devenue brusquement hostile à la vie. Pourtant, l'espoir est dans leur tête et leur coeur. Démesuré, infondé, mais tellement réel que même ceux qui fuient emportent des valises et dans ces valises la certitude qu'il y en a pour un mois ou deux. Que les jeunes trouvent dans la guerre une raison de vivre et y adhèrent, surtout du côté chrétien que les étudiants ne veulent plus rejoindre leurs universités à l'étranger, pour faire le coup de feu. Chez les chrétiens, c'est la patrie, la terre, que l'on défend avec un dévouement souvent sublime. Chez les " palestino-progressistes ", c'est une cause. LUCIEN GEORGE Le Monde du 16 avril 1985

« Ce ne sera évident que plus tard mais Damas bascule à ce moment en faveur des chrétiens, impose une trêve, qui durera deuxmois (mi-janvier, mi-mars 1976) et sera rompue par un coup d'Etat d'opérette, d'autant plus incongru qu'il s'insère dans une vraieguerre, dure, meurtrière, dévastatrice. Le peu qui subsistait de l'armée et de l'Etat éclate : le président de la République, Soleiman Frangié, abandonne le palaisprésidentiel et se réfugie en terrain phalangiste-c'était alors l'union sacrée chez les chrétiens, la rupture n'interviendra qu'en 1978.Quant à l'armée, si elle se désintègre, du moins ne participe-t-elle pas aux combats, ou si peu, à travers l' " armée du Libanarabe ", fraction sans grande envergure qui rallie le camp " palestino-progressiste ", tandis que des officiers chrétiens aident lesmilices de leur communauté. L'affrontement syro-palestinien De la mi-mars à la mi-novembre, ce sont huit mois tragiques, la plus longue phase d'hostilités ininterrompues des dix ans deguerre, dont le foyer principal est Beyrouth, mais dont les convulsions secouent tout le Liban.

Avant que le front ne se stabilise etque les chrétiens ne regagnent du terrain avec le soutien de la Syrie, ils perdent pied de tous côtés.

A Beyrouth, de l'hôtel HolidayInn à l'immeuble Fattal-deux hauts lieux de la guerre,-leur recul n'excède pas 800 mètres. Mais c'est le coeur de la cité qui meurt, ravagé par les combats, pillé et saccagé boutique après boutique, bureau après bureau,dans le sillage de l'avance des " palestino-progressistes " : la fin d'un monde. Au nord aussi, les chrétiens lâchent prise au Koura.

Plus grave : leur sanctuaire de la montagne centrale est attaqué par le haut,par ces crêtes hautaines dont ils s'enorgueillissent et qui tombent entre les mains de leurs ennemis.

Entraînés par le chef druzeKamal Joumblatt, qui commet l'erreur de défier ouvertement les Syriens en voulant cueillir une victoire qu'il sent à portée de main,les Palestiniens s'enhardissent à proclamer que " la route de Jérusalem passe par Jounieh " (coeur du pays chrétien).

Autant dire,dans le contexte d'alors, par Damas... Dès lors, le président Assad deviendra leur ennemi implacable-et le restera, même durant les longues années 1978-1982, où ilest contraint, par le traité de Camp David, à refaire alliance avec eux jusqu'à les éjecter enfin de la scène en 1983, ou, du moins,de les faire sortir du Liban et de Syrie. Fermant les yeux sur les relations déjà étroites des milices chrétiennes avec Israël, la Syrie croise le fer avec les Palestiniens enjuin 1976, puis de nouveau à l'automne.

Les armes syriennes font couler le sang palestinien sans qu'à Damas le régime s'effondre,sans même qu'il soit affaibli.

L'URSS, sollicitée désespérément par la résistance palestinienne, laisse faire son allié syrien. Remis en selle après que Damas eut inversé le cours de la guerre, les chrétiens renouent avec le succès au nord et, à Beyrouth,au camp de Tell-el-Zaatar, au prix il est vrai d'un effroyable massacre supplémentaire... L'équilibre rétabli, et l'Arabie saoudite ayant convaincu les présidents Assad et Sadate d'arrêter leur épreuve de force-cardepuis un an et demi que dure la guerre au Liban, le chef de l'Etat égyptien y a constamment pris le contre-pied de Damas,-lasituation est mûre pour une pause, que l'on prend à l'époque pour la paix.

La caution arabe permet à la Syrie de transformer sonarmée au Liban en une Force arabe de dissuasion. Entre-temps, le Liban a pu se doter d'un nouveau président, Elias Sarkis, qui hérite d'un non-pouvoir, homme seul s'il en futjamais à la tête d'un Etat qui n'existe plus. Les Libanais apprennent, durant cette période noire entre toutes, que la guerre, outre les obus, les liquidations, les francs-tireurset les destructions qu'ils connaissaient déjà, c'est aussi l'électricité coupée, l'eau qui n'arrive plus aux immeubles, l'essence quidisparaît, l'aéroport, après le port, qui se ferme, avec, en prime, dans le secteur " palestino-progressiste ", le chaos et lebanditisme. Par centaines de mille, ils fuient cette terre devenue brusquement hostile à la vie. Pourtant, l'espoir est dans leur tête et leur coeur.

Démesuré, infondé, mais tellement réel que même ceux qui fuient emportentdes valises et dans ces valises la certitude qu'il y en a pour un mois ou deux.

Que les jeunes trouvent dans la guerre une raison devivre et y adhèrent, surtout du côté chrétien que les étudiants ne veulent plus rejoindre leurs universités à l'étranger, pour faire lecoup de feu. Chez les chrétiens, c'est la patrie, la terre, que l'on défend avec un dévouement souvent sublime.

Chez les " palestino-progressistes ", c'est une cause.. »

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