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Article de presse: L'obstiné négateur du génocide

Publié le 22/02/2012

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Mémoire 1979 - Au début des années 70, Robert Faurisson, agrégé de lettres et maître assistant à l'université Paris-III, n'avait pas à rougir de sa carrière. Dans le petit milieu de la critique littéraire, ce turbulent professeur avait des adeptes, qui se grisaient de la lecture " faurissonienne " des poèmes de Rimbaud, et des contempteurs, qui notaient d'un zéro pointé son décryptage érotique des Voyelles. Personne ne songeait à le comparer à un Roland Barthes ou à un Gérard Genette, mais enfin il existait, ludion légèrement sulfureux, bousculant les traditions de la vieille Sorbonne. En 1972, il présentait sa thèse sur la " Bouffonnerie de Lautréamont " devant un jury éminent en démontrant à sa manière que ce poète flamboyant et romantique masquait en réalité un auteur comique. " Vous faites du poujadisme intellectuel ", lui lançait alors Pierre Albouy. Robert Faurisson décrocha néanmoins la mention " très honorable ". De sa fréquentation des poètes, le professeur avait définitivement acquis le goût du paradoxe. Pour lui, à n'en pas douter, les auteurs sont fréquemment le contraire de ce qu'ils prétendent être. Ainsi avait-il déjà dépouillé Arthur Rimbaud de sa cape de " voyant " pour lui offrir les manchettes de lustrine et la visière de mica du " plus rigoureux des Parnassiens ". Et c'est durant ces années qu'il prit pour habitude de dénoncer les prétendues " mystifications " des autres. " Vous savez, ça a commencé très tôt, confiera-t-il à un journaliste. On m'a dit que le Père Noël existait, et puis il n'existait plus : je n'ai pas supporté. " De là - risquons l'explication, - cet acharnement à prendre le contre-pied des faits les mieux établis et des opinions dominantes. Durant la seconde guerre mondiale - il a une quinzaine d'années à la Libération, - il hait les Allemands. Mais leur reflux en 1944 attise aussitôt sa compassion. Le professeur commence à s'intéresser aux chambres à gaz et au génocide des juifs durant la seconde guerre mondiale dès les années 60. C'est alors qu'il lit Passage de la Ligne et le Mensonge d'Ulysse, deux livres de Paul Rassinier, socialiste et ancien déporté à Buchenwald et Dora. Or Rassinier conteste très vivement la qualité de maints témoignages sur les camps et avance que les chambres à gaz furent bien moins nombreuses qu'il n'est généralement dit. Ce " flambeau " -là, Faurisson s'en saisit avec la froideur d'un entomologiste et la passion enragée d'un futur martyr. A l'en croire, lui seul va dépouiller toutes les archives sur le sujet, faisant surgir contradictions et mensonges. Il visite les camps de la mort avec le regard d'un arpenteur, et en revient avec une certitude, ou plutôt une foi : les chambres à gaz n'ont jamais existé. Se rend-il bien compte qu'il a quitté le domaine de la critique littéraire, où la provocation et le pamphlet ont leurs lettres de noblesse pour aborder un territoire encore brûlant de douleur ? En 1977, alors qu'il est maître de conférences à l'université Lyon-II, il rédige une note dans laquelle il annonce, selon ses propres termes, sa " bonne nouvelle ", et la diffuse auprès de ses amis et collègues... Dans ce premier texte, le professeur Faurisson se garde bien de dévoiler toute sa pensée, mais la seule négation de l'existence des chambres à gaz provoque déjà un tollé. Ce docteur d'Etat se voit contraint de suspendre ses cours en raison d'un arrêté du président Lyon-II en date du 17 novembre 1978. Ce n'est plus " L'affaire Rimbaud " mais l'affaire Faurisson. Une polémique qui trouve, à l'époque, largement sa place dans les colonnes du Monde et se prolongera à coups de droits de réponse. Entre-temps, cet universitaire atypique a cependant révélé sa pensée : de la négation d'une partie (les chambres à gaz), il est passé à la négation du tout (le génocide). Dans son ivresse de la démythification à tout prix, il assure : " Cette invention est d'origine essentiellement sioniste. Elle a eu des retombées politico-financières dont l'Etat d'Israël est le principal bénéficiaire. Jamais Hitler n'a donné l'ordre de tuer ne serait-ce qu'un seul homme en raison de sa race ou de sa religion. " La critique, l'analyse, le doute, sont par définition respectables, indispensables chez un historien. Mais ces qualités ne reposent-elles pas ici sur un préjugé " hénaurme " : les juifs-sionistes ont dupé le monde ? Ce qui frappe, c'est la volupté secrète que Faurisson éprouve de son rejet en même temps que son désarroi d'être " incompris ". Il compare un jour sa situation à celle de Galilée. Mais lui n'abjure pas ! Il est à ce point victime de sa monomanie qu'il est parfaitement insensible à la mémoire juive qu'il piétine : " Quand j'entends parler de la question juive, dira-t-il, je sors mon oreiller. C'est mon droit, non ? Ce qui m'intéresse, c'est comment un dogme s'établit, comment on persiste à le défendre, et comment il s'effrite pour disparaître ". Rien ne l'arrête, rien ne le rebute. Le voilà historien, s'auto-proclamant expert en gaz asphyxiant, comptable du nombre des vivants et des cadavres, traducteur émérite des archives du IIIe Reich et des témoignages des anciens chefs de camp. Il s'adosse à quinze ans de recherches... Qui dit mieux ? Pourtant, son ouvrage Mémoire en défense, paru en 1980, s'apparente à un formidable fourre-tout où l'on rebondit difficilement de pièce annexe en pièce annexe. Qu'importe à Robert Faurisson ! Il est désormais connu, sinon reconnu. On parle de lui. Il est poursuivi en justice, condamné. Serait-il la victime de son mauvais génie, ce talent d'iconoclaste bienvenu en littérature et indécent dès lors qu'il fouaille des plaies encore vives ? Robert Faurisson n'a en tout cas pas pris la peine de répondre à Me Serge Klarsfeld, qui lui demandait, voilà plusieurs années : " Où sont nos familles, monsieur Faurisson ? Où sont nos parents ? Cachés sous de faux noms, comme les nazis ? " LAURENT GREILSAMER Le Monde du 19 septembre 1989

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