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ARTICLE DE PRESSE: L'ONU est en état de quasi-faillite financière

Publié le 17/01/2022

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30 septembre 1995 - La cinquantième assemblée annuelle des Nations unies s'est ouverte à New York sur fond de crise financière. L'organisation est confrontée à un déficit de trésorerie qui dépasse les 2,5 milliards de dollars, face à un budget général annuel, excluant les opérations de maintien de la paix, d'un peu plus de 1 milliard de dollars. Les Etats-Unis sont le premier contributeur de l'organisation, et son principal débiteur avec 1,2 milliard de dollars (6 milliards de francs) d'arriérés soit près de la moitié du total des sommes dues, lesquelles sont aussi imputables à la Russie et à l'Ukraine, incapables de faire face à leurs obligations financières. L'ONU contrainte de tendre la sébile à la Banque mondiale pour continuer à vivre ! En d'autres temps, l'idée aurait fait sourire les fonctionnaires de l'organisation new-yorkaise, qui ont longtemps pratiqué un ostracisme idéologique à l'encontre des institutions financières internationales de Washington (la Banque mondiale et le Fonds monétaire international), accusées de n'offrir au tiers-monde que le modèle de développement néolibéral. Mais au 38e étage du palais de verre de l'Organisation des Nations unies, la crise financière revêt une telle ampleur que son secrétaire général, Boutros Boutros-Ghali n'a pas hésité à appeler à l'aide la Banque mondiale. Il est vrai que celle-ci se porte bien. Elle a annoncé un bénéfice net de 1,35 milliard de dollars (près de 7 milliards de francs) au titre de l'exercice 1994-1995, tandis que le déficit de trésorerie de l'ONU avoisine 2,5 milliards de dollars. Pour autant, la banque dirigée par James Wolfensohn s'est poliment récusée, expliquant que ses statuts ne lui permettaient pas de fournir le type d'aide demandée par l'ONU. Faute de pouvoir s'appuyer sur cette béquille, le secrétariat de l'organisation a un temps envisagé de recourir à un gigantesque emprunt, solution déjà envisagée par Javier Perez de Cuellar, le prédécesseur de M. Boutros-Ghali. Mais plusieurs pays membres, notamment parmi les gros contributeurs, sont opposés à l'idée d'un emprunt qui grèverait les comptes de l'organisation pour remédier au défaut de paiement du premier d'entre eux : les Etats-Unis. Au 31 août 1995, les arriérés dus par Washington à l'Organisation représentaient 1,17 milliard de dollars (dont 530 millions au titre du budget général et 647 millions pour les forces de maintien de la paix), soit près de la moitié du déficit de trésorerie de l'institution. Traditionnellement, les Etats-Unis ont toujours été mauvais payeurs. Pour des raisons autant financières que politiques. Les interminables marchandages auxquels donne lieu chaque année l'établissement du budget américain ne facilitent pas l'établissement, à l'automne, des chèques libellés à l'ordre de l'ONU. De plus, l'Amérique qui, à elle seule assure le quart du budget général de l'ONU et près du tiers des forces de maintien de la paix ne se prive pas de ce moyen de chantage pour peser sur les décisions politiques cette fois que peut être amenée à prendre l'organisation. Quitte à se retrancher derrière les réticences, souvent réelles, du Congrès américain. L'effondrement soviétique L'ONU, qui s'attendait à recevoir une contribution américaine de 800 millions de dollars à la fin septembre, ne recevra que 200 millions destinés au seul financement des forces de paix. Le budget général des Nations unies, lui, n'aura pas droit à un seul dollar. La situation est d'autant moins supportable que, depuis l'effondrement de l'empire soviétique, nombre d'anciens pays socialistes ont basculé du côté des mauvais payeurs. C'est le cas de la Russie, deuxième débiteur du budget de l'ONU. Moscou a accepté de verser 475 millions de dollars, mais au seul bénéfice des forces de maintien de la paix. Le budget général n'a, jusqu'ici, pas reçu un seul kopek. Quant à l'Ukraine, troisième débiteur, voilà deux ans qu'elle ne verse plus un dollar ce qui, au vu des statuts, devrait en principe conduire à l'exclusion de ce pays. Une mesure difficilement envisageable pour d'évidentes raisons politiques. L'ONU n'est pas la seule organisation du système des Nations unies à se débattre dans des difficultés financières. La quasi-totalité des organisations spécialisées sont logées à la même enseigne exception faite de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qui bénéficie d'une bonne image de marque et donc d'argent. Le cas de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), dont le siège est à Rome est exemplaire de ces problèmes. Les Etats-Unis, comme quelques rares pays en développement, ne versent pas l'intégralité de leur contributions, et les arriérés de paiement (76 millions de dollars à la mi-1995 pour les seuls Etats-Unis) s'accumulent. D'être mauvais payeur n'empêche d'ailleurs pas Washington de prêcher les vertus de l'austérité à l'organisation. L'UNESCO aussi Résultat de ces pressions, depuis 1992 le budget ordinaire de la FAO affiche une croissance zéro (hors inflation). Ce sera également le cas du prochain exercice qui couvrira la période 1996-1997 (698 millions de dollars pour les deux années). Basée à Paris, l'Unesco n'est pas en meilleure posture, boudée pendant près de dix ans par l'Amérique reaganienne et par la Grande-Bretagne thatchérienne, qui lui reprochaient d'être trop tiers-mondiste. La FAO, l'Unesco, l'OMS ou le BIT (Bureau international du travail) sont financées sur la base de contributions obligatoires par les Etats. Ce n'est pas le cas des " grands programmes " de l'ONU tels que le PNUD (développement), l'Unicef (enfance), le HCR (réfugiés), le PNUE (environnement)... La contribution à leur financement est laissée à la libre appréciation de chaque Etat. Ce système fragilise les grands programmes. Que l'orientation politique de l'un d'eux ne donne pas satisfaction et rien n'empêche l'Etat mécontent de cesser de contribuer à son financement. Mais, en pratique, ce financement sur une base volontariste donne des résultats satisfaisants. Exception faite du HCR, qui a du mal à faire face à l'augmentation considérable du nombre de réfugiés de par le monde, et de l'UNRWA, qui prend en charge les réfugiés de Palestine et du Proche-Orient, les autres programmes savent trouver des bailleurs de fonds à la mesure de leurs besoins. Lorsque les Etats font défaut ou se montrent un peu pingres, l'opinion publique est sollicitée. L'Unicef, par exemple, tire le tiers de ses recettes de ressources non gouvernementales (ventes de cartes de voeux...). SERGE MARTI, JEAN-PIERRE TUQUOI Le Monde du 30 septembre 1995

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