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Article de presse: Luttes entre alliés

Publié le 17/01/2022

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14-26 janvier 1943 - La correspondance entre Churchill et Roosevelt ( 1 688 lettres ou télégrammes échangés en cinq ans) permet de suivre au jour le jour une coopération amicale sans précédent entre deux puissants hommes d'état. La France occupe dans l'ensemble une place relativement importante (un document sur sept lui est consacré entre juin 1940 et septembre 1944). Pour Churchill et Roosevelt, il n'y a plus de France, plus d'autorité centrale qui puisse parler en son nom, mais seulement des pouvoirs locaux, vraisemblablement temporaires, qu'il convient d'utiliser au mieux, en évitant qu'ils ne penchent vers l'Allemagne et en s'efforçant, s'ils ont rejoint le bon camp, de les unifier sous une direction militaire alliée. Tous deux vont jouer, non sans cynisme, les cartes françaises successivement à leur disposition, ou à leur portée. La première carte de Churchill est le général de Gaulle mais elle se révèle, initialement, un faible atout : le général n'est rejoint que par une poignée de volontaires. Seule une partie de l'empire, la plus démunie, a fait sécession derrière lui et, surtout, il n'a pu prendre Dakar. Décidément, l'empire et la flotte restent avec Pétain. Churchill est désarmé, ses appels du pied à Weygand demeurent sans effet, ses actions brutales ne font qu'envenimer l'antagonisme franco-anglais. A sa demande, c'est Roosevelt qui agit à Vichy. Le président américain préfère la manière douce : il comble le vieux maréchal d'éloges et d'attentions il envoie en zone sud des vivres, des vitamines, au risque d'affaiblir le blocus britannique. Le retour de Laval au pouvoir apparaît à Washington comme le signe manifeste de l'échec, d'autant plus qu'une promesse d'aide à Pétain, s'il reprend la lutte dans l'empire, n'a obtenu en réponse que l'affirmation de la volonté du maréchal de " défendre l'empire contre quiconque : gaullistes, Anglais, Allemands... et américains ". De Gaulle et Pétain ayant déçu pour des raisons contradictoire, il faut trouver un troisième homme capable d'assurer une neutralité bienveillante, peut-être même un revirement des troupes françaises en AFN lors du débarquement que les alliés préparent. Mais surprise, à Alger se trouve Darlan c'est grâce à lui que les combats prennent fin et que l'AOF (avec Dakar) rallie le camp allié. Churchill et Roosevelt méprisent l'amiral un " collaborateur ", un " fasciste ", un " expédient provisoire ", dira publiquement le président. Ils ne concluront avec lui aucun accord bilatéral mais, enfin, il est en place, il est utile, les chef militaires français le reconnaissent comme leur patron. Churchill interdit à de Gaulle de condamner à la BBC l'accord conclu avec Darlan il reconnaît que quelques " bons points " peuvent être décernés à l'amiral. Mais le comportement des Français est imprévisible : Darlan est assassiné. Churchill et Roosevelt sont soulagés, ils vont pouvoir choisir leur troisième homme, mais qui ? Roosevelt tient à Giraud, bien que celui-ci se soit montré plutôt décevant. Il ne tarit pas d'éloges sur lui, l'appelle " son vieux compagnon ", lui trouve de " remarquables qualités " et, surtout, il est ravi que le général ne parle jamais de politique et accepte, sans récriminer, de se ranger sous l'autorité, sans partage, d'Eisenhower. C'est bien commode. Il est sage, cependant, d'unifier toutes les forces françaises anti-allemandes, c'est-à-dire que de Gaulle et Giraud soient amenés à s'accorder. Le chef de la France libre fait ainsi sa rentrée dans le jeu anglo-américain par la petite porte Churchill ne le soutient pas, bien qu'il ait déclaré qu'il était " notre symbole ". Roosevelt est convaincu que de Gaulle, avec ses faibles troupes, l'hostilité qu'il rencontre en AFN, ne fera pas le poids en face d'un Giraud. " Commandant en chef civil et militaire ", appuyé par toute la puissance américaine, celui-ci n'en fera qu'une bouchée. Mais voilà que de Gaulle n'accepte pas cette situation diminuée, qu'il prétend parler au nom de la France et qu'il ne tolère pas de mainmise étrangère, fût-elle alliée, sur les affaires françaises. Contrarié dans ses plans, irrité de se voir contredit par un si minime élément de la coalition alliée, Roosevelt ne va plus cesser de faire preuve à l'égard du général de Gaulle d'une hostilité quasi maladive. " C'est un ambitieux, écrit-il, qui ne pense qu'à imposer sa personne, voire sa dictature, à la France. Il est profondément anti-américain il deviendrait dangereux pour les troupes alliées s'il exerce son autorité sur l'armée française. " Roosevelt ne cesse d'inviter Churchill à " se débarrasser " du général, qu'il ridiculise en public en inventant des anecdotes, qu'il appelle " une Jeanne d'Arc complexe ". Qu'on le nomme gouverneur à Madagascar qu'on constitue à Alger un nouveau comité dans lequel il sera en minorité, dont il sera peut-être même exclu. Sur tous ces points, Churchill se dit parfaitement d'accord, jetant par-dessus bord ses engagements envers la France libre-un des points sur lesquels il gardera un silence prudent dans la rédaction de ses Mémoires. Mais le général de Gaulle a l'audace de se comporter comme si les affaires françaises ne dépendaient que des Français ! Il va son chemin il prend des décisions qui placent ses grands alliés devant le fait accompli, avec le risque, s'ils les annulent, comme ils en ont le pouvoir, de créer une situation encore plus délicate. Il ne cesse de marquer des points. D'abord, les agents américains le soulignent, sa popularité va croissant en AFN-en témoignent les " passages " de soldats des troupes de Vichy aux unités " françaises libres " il a gagné à sa cause les délégués alliés (Macmillan et Murphy) et le général Eisenhower : à Londres, le Foreign Office a pris position pour lui, ainsi qu'une partie du cabinet, dans le dessein de continuer en Europe une politique indépendante des américains aux Etats-Unis, une bonne partie de la presse, des sénateurs influents, ont pris parti en sa faveur-et les marins du Richelieu, en rade de New-York, impressionnent l'opinion par leur plébiscite muet, en se rendant à son bureau de recrutement. Churchill admet l'évidence il est préoccupé par le comportement qu'adoptera la population après le grand débarquement allié le général de Gaulle lui paraît le plus qualifié pour garantir sa coopération amicale. Ainsi, pour ce qui est de la France, le général de Gaulle est devenu progressivement le meneur du jeu allié. Seul Roosevelt-qui confond allègrement son amour-propre avec la raison d'Etat-refuse de l'admettre. Il s'oppose longtemps à une reconnaissance du gouvernement provisoire comme un pouvoir de facto et, à plus forte raison, de jure. Roosevelt ne le recevra à Washington qu'après que le général eut été acclamé à Bayeux, ne reconnaîtra son autorité de fait qu'une fois que le Résistance l'aura conquise sur une bonne moitié de la France, et refusera encore, Paris libéré, d' " introduire la France dans nos organismes ", pour finir par l'exclure de la conférence de Yalta. Mais en définitive, à la fin de la guerre, la France aura retrouvé sa place parmi les grandes puissances, derrière le général de Gaulle. HENRI MICHEL Le Monde du 27 janvier 1985

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