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Article de presse: McNamara, l'organisateur

Publié le 17/01/2022

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20 janvier 1961 - C'est en Chrysler que le président de la Ford se rend à son travail. Il veut se livrer ainsi à une étude comparative des modèles concurrents. Ce quadragénaire cérébral, de sombre vêtu, au visage ascétique chaussé de lunettes sans monture, arrive à 7 h 30 au bureau, alors livré aux balais, où il va s'adonner à la tâche de sa vie : la réorganisation. Sur le berceau du jeune Robert McNamara se penchaient sans doute les fées " Statistique " et " Planification ". Brillant étudiant, tenant à la main la clef d'or Phi-Beta-Kappa, insigne des sujets d'élite, " bachelor " en économie politique et en philosophie de l'université de Californie, lauréat de l'école supérieure d'administration de Harvard, docteur en droit " honoris causa " de l'université de l'Alabama, il semble destiné à une carrière intellectuelle. Bientôt, il retourne à Harvard, où il enseigne l'administration commerciale à la Business School. La guerre l'amène à installer un système de contrôle statistique pour l'armée de l'air, mais il termine lieutenant-colonel sur les fronts d'Inde, de Chine et du Pacifique. Démobilisé et inemployé, il se voit embauché, en compagnie de neuf autres jeunes et brillants officiers dans son cas, par Henry Ford II, âgé de vingt-huit ans, qui, à la tête de la Ford Motor Co, perd près de 9 millions de dollars par mois. Le monde automobile baptisera sans délai la nouvelle équipe les " whiz kids " : bouillonnants d'idées, rapides, audacieux McNamara gravit les échelons grâce à son sens de l'organisation et à son don de prévoyance, l'autonomie appliquant le principe de " l'autonomie des dépenses et des bénéfices " dans chaque secteur de la société. Il sauve la Thunderbird en en faisant une " quatre places ", met au point commercialement et financièrement la Falcon (modèle Compact). Vingt-quatre heures après l'élection de M. Kennedy, Henry Ford II offre à McNamara la présidence de la société Ford, jusque-là réservée à la famille, malgré les reproches qu'on fait au nouveau président de " régner par la terreur ". Quinze jours plus tard, M. Kennedy, renouant avec la tradition d'Eisenhower qui, en 1952, avait confié le même poste au président de la General Motors, lui propose d'être son secrétaire à la défense. Tous les sommets s'offrent à cet alpiniste méthodique qui se délasse en escaladant le pic d'Aspen (Colorado). Au salaire annuel d'un demi-million de dollars chez Ford, il préfère les modestes 27 000 dollars alloués au secrétaire à la défense. Une fois encore, il va s'atteler à la lourde tâche de réorganiser de fond en comble le Pentagone, qui absorbe plus de la moitié du budget américain. Insensible ? McNamara ne rayonne pas à première vue de chaleur humaine. " Ce n'est pas un homme, c'est un Univac ", dit-on de lui (un Univac est un cerveau électronique). D'une réserve frisant l'hostilité à l'égard de la presse, détestant le " monde ", cultivant les amitiés universitaires, il se déclare indépendant du point de vue politique, bien qu'ayant voté pour Kennedy. " Les démocrates me prennent pour un républicain, et les républicains me croient démocrate. J'ai aidé les deux partis et n'ai retiré d'avantage d'aucun ", aimait-il à dire. C'est un " juste ", signataire de manifestes religieux condamnant la discrimination raciale, méritant l'épithète, flatteuse dans son dépit, d'un de ses collègue : " Pour le comprendre, il faut en avoir lu des livres ! " ELVIRE DE BRISSAC Le Monde du 4 février 1961

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