Devoir de Philosophie

Article de presse: Paul Touvier, un fuyard omniprésent

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

Mémoire 1991 - Le mystère de Paul Touvier tient en une curieuse contradiction : toujours fuyant, toujours présent. Sans doute est-ce l'une des clés du personnage : à force d'entêtement et d'inconscience, ce collaborateur d'envergure régionale a fini par devenir l'un des " grands " noms de la collaboration. Dès le début des années 50 - alors qu'il a été condamné à mort par contumace à deux reprises au lendemain de la Libération - le voilà s'efforçant de rassembler des attestations en vue d'arracher une amnistie. Les échecs ne le rebutent pas. Au début des années 60, épaulé par Mgr Charles Duquaire, secrétaire particulier du primat des Gaules, son dossier parvient jusqu'à la chancellerie... Le garde des sceaux de l'époque, Edmond Michelet, rappelle alors l'un des nombreux prêtres à intervenir en faveur de l'ancien milicien au sens des réalités : " Je m'empresse de vous faire connaître que les faits ayant entraîné la condamnation ne sont pas de ceux dont la législation en vigueur permet l'amnistie : l'intéressé a été en effet condamné pour avoir exposé ou tenté d'exposer autrui à des tortures, à la déportation ou à la mort ". La mécanique Touvier ne cédera pourtant pas devant l'obstacle. Devenu dévôt, parvenant tour à tour à séduire et à apitoyer nombre d'ecclésiastiques et de personnalités comme le philosophe Gabriel Marcel ou le chanteur Jacques Brel, Touvier multiplie démarches et ambassades, se persuadant de la justesse de son cas. Accusé, recherché, il n'est plus, à ses yeux, qu'une victime de l'Histoire. La réhabilitation devient son but exclusif. En 1967, lorsque sa longue fuite devant la justice trouve un terme à la faveur de la prescription de ses peines, son sort ne le satisfait toujours pas. Plutôt que la retraite et le silence, il choisit un nouveau combat, avec détermination, ténacité, audace : arracher une mesure de grâce du président de la République. Pauvre grâce ! Signée en novembre 1971 par Georges Pompidou, portant sur l'interdiction de séjour et la levée de la confiscation des biens passés et présents de Touvier, elle s'avère bientôt empoisonnée. Révélée en 1972 par l'Express, elle attire l'attention sur cet ancien cadre, somme toute obscur, de la milice, machine à broyer, au choix, du communiste, du juif ou du franc-maçon. Touvier devient, alors seulement, Paul Touvier. On l'ignorait, il devient célèbre. Il vivait libre, il retrouve la semi-clandestinité. Sa présence avérée à Chambéry réveille trop de douleurs jamais éteintes. Le voilà à nouveau en fuite, gracié mais pourchassé par la vindicte de ses anciennes victimes ou de leurs enfants. Entouré des siens - sa femme et ses deux grands enfants - Paul Touvier nomadise durant plus de quinze ans, de monastère en prieuré, d'abbaye en couvent. Mais la protection que lui offre une partie de l'Eglise ne freine pas la simple justice. En novembre 1981, un mandat d'arrêt est décerné contre lui pour crimes contre l'humanité. Car, en quelques années, l'histoire s'est accélérée . Et les accusations à son encontre se sont précisées. Jugé par contumace en 1945 et 1947 pour trahison et intelligence avec l'ennemi, on lui reproche désormais d'avoir commis un attentat contre une synagogue lyonnaise en décembre 1943, d'avoir participé à l'assassinat de Victor et Hélène Basch, octogénaires, en janvier 1944, d'avoir supervisé la rafle d'une cinquantaine de réfugiés espagnols à Montmélian en avril de la même année (neuf seulement reviendront de déportation), et d'avoir enfin envoyé sept otages juifs à la mort, en juin, pour venger l'assassinat du milicien et secrétaire d'Etat à l'information Philippe Henriot. Charges terribles. Devant le poids des accusations, Touvier opte définitivement pour la clandestinité. Il faudra la patience de quatre juges d'instruction et la diligence de la gendarmerie pour finalement " coincer " l'ancien milicien dans un appartement du prieuré intégriste Saint-François, à Nice, fin mai 1989. LAURENT GREILSAMER Le Monde du 13 juillet 1991

Liens utiles