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Article de presse: Paul Ramadier révoque les ministres communistes

Publié le 22/02/2012

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4 mai 1947 - " Le matin du 5 mai 1947, dans ce comité fédéral (du Pas-de-Calais), on nous annonça que Ramadier avait proposé à Auriol la révocation des ministres communistes. Ce fut, dans la salle, une explosion de joie! Tout le monde applaudit, on se leva et on se mit à rire " (1) Mais cette joie n'était pas partagée par la direction du parti, qui ressentit, à juste titre, cette éviction comme une défaite. Tillon nous décrit cette séance fatidique du 4 mai 1947 : pris au dépourvu par la forme choisie par Ramadier, Thorez s'empourpre et reste sans voix (2) Le premier coup de semonce a lieu à propos des événements d'Indochine. Là-bas, le Vietminh, dirigé par le kominternien Ho Chi Minh, guerroie contre l'armée de ce gouvernement auquel participent ses camarades français. Leur volonté de faire pression sur le gouvernement débouche sur cette étonnante séance du 18 mars 1947 où les députés se lèvent pour rendre hommage aux soldats français tombés alors que le ministre de la défense nationale-le communiste François Billoux-reste ostensiblement assis. Le parti parvient le 22 mars à s'en tirer par une pirouette : les députés communistes refusent la confiance mais les ministres communistes l'accordent. Nouvelle alerte le 16 avril à propos des événements de Madagascar : le vice-président du conseil, Maurice Thorez, et les autres ministres communistes quittent avec éclat le conseil des ministres. Une semaine plus tard, le 23 avril, nouvelle altercation en conseil, à propos de la politique allemande du gouvernement cette fois. Du côté des socialistes et des républicains populaires, chacun sent que l'ambiguïté ne saurait indéfiniment se prolonger sous peine de voir le gouvernement paralysé et perdre tout crédit. Et il n'est pas nécessaire pour comprendre cette volonté d'invoquer la main de Washington qui, certes, le souhaitait mais dont aucun document ne nous prouve une quelconque démarche pressante et impérieuse (3) Ce souci de clarification est-il partagé par les communistes ? Dans le pays, la situation du PCF devient de plus en plus inconfortable. Outre le fait d'être, lui aussi, empêtré dans les affrontements coloniaux, il voit, non sans amertume, ses contradictions s'aggraver avec sa base sociale. Depuis la victoire de 1945, les travailleurs n'ont pas cessé d'enregistrer la baisse de leur salaire réel. Dans cette situation, la " bataille de la production " impulsée par les communistes et l'antienne de " la grève, arme des trusts " suscitent une incompréhension et un malaise croissants. Les signes n'ont d'ailleurs pas manqué d'être enregistrés par la direction du PCF. Le 24 avril 1947, aux élections à la Sécurité sociale, la CGT ne recueille que moins de 3,3 millions de voix (59 %) bien qu'elle revendique 6 millions d'adhérents. Les effectifs du parti précisent même l'avertissement : malgré l'inflation verbale que connaissent à partir de 1947 les chiffres officiels, la reprise des cartes est en deçà des résultats de 1946 et le parti terminera l'année avec 40 000 adhérents de moins (4) Dernier signal d'alarme, le 25 avril 1947 : Renault se met en grève, contre l'avis de la CGT et sous l'impulsion de ces " hitléro-trotskystes " -ainsi nommés par le PCF-dont les seize listes avaient recueilli 60 000 voix aux élections législatives de novembre 1946. Face au danger d'une nouvelle détérioration de leurs positions, les communistes décident de prendre le train en marche. Le 29 avril, la CGT lance un débrayage d'une heure et soutient la grève totale le 2 mai. Lors du conseil des ministres qui s'est tenu deux jours plus tôt, Thorez a condamné la politique sociale du gouvernement. Est-ce à dire que la direction du PCF a déjà choisi la rupture ? Avec le gouvernement Ramadier, oui, avec la volonté d'une participation gouvernementale, non. En fait, le premier semestre de l'année 1947 ne semble pas marquer un réel changement de la ligne politique du PCF. Il serait plus exact de parler d'inflexion. Depuis 1945, le PCF mène une politique de " participation-pression ". En 1947, il renforce le second terme sans vouloir renoncer aux avantages du premier; car ils sont réels et, depuis 1945, le parti a enregistré de notables succès. Il a supprimé l'obstacle gaullien au début de l'année 1946, il est devenu le premier parti de France en 1946 et cinq de ses membres sont ministres en 1947. Tant et si bien que certains se prennent à rêver tout haut. C'est Thorez qui déclare dans son interview au Times du 18 novembre 1946 que " les progrès de la démocratie à travers le monde... permettent d'envisager, pour la marche au socialisme, d'autres chemins que celui suivi par les communistes russes ". Certains ont alors cru que Thorez avait succombé aux sirènes de la démocratie bourgeoise, mais lui-même décrypta sa formule le 8 juin 1947 en donnant en exemple les expériences polonaise, yougoslave, bulgare et tchécoslovaque où, comme l'avait précisé le 12 février 1947 le dirigeant communiste Raymond Guyot, " le mouvement démocratique a été poussé jusqu'au triomphe d'une démocratie nouvelle et populaire ". Comme le fait remarquer Thorez, non sans humour, aux militants parisiens : " Quand le camarade Dimitrov est chef du gouvernement, quand le ministre de la guerre est communiste, quand le ministre de l'intérieur et chef de la police de Sofia est communiste, vous savez, ça peut s'appeler dictature du prolétariat. " Cette avancée des positions communistes, heurtée mais finalement continue, le parti n'entend pas la brader. N'a-t-il pas obtenu le ministère-autrefois interdit-de la défense nationale ? Le pari est jouable qu'à la faveur d'une crise ministérielle, le parti conserve ses positions, les renforce même, par exemple en supprimant les amputations qu'a subies en février le ministère de la défense. Encore faut-il que le gouvernement démissionne. Or c'est ce que demande la tendance de Guy Mollet, alors majoritaire au Parti socialiste et, le 6 mai 1947, Guy Mollet n'est battu qu'au poteau à la séance du comité national du PS : 2125 mandats pour la démission contre 2529 pour la simple révocation des communistes. Cette défaite, le PCF mettra du temps avant de la comprendre. Pendant plusieurs mois, il continuera à se poser en " parti de gouvernement ". Jusqu'à ces jours de septembre 1947, en Pologne, où il dut non pas choisir son camp-c'était le même-mais attaquer frontalement le camp adverse : le Kominform était né. PHILIPPE BUTON Mars 1985

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