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Article de presse: Pérou, les racines de la violence

Publié le 17/01/2022

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22 avril 1997 - Comment un groupe, issu d'un mouvement de guérilla défait militairement et dépourvu de tout appui populaire, a-t-il pu avec une efficacité qui a stupéfié le monde entier prendre d'assaut la résidence de l'ambassadeur du Japon à Lima, le 17 décembre 1996 ? Où le Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru (MRTA) a-t-il trouvé l'énergie et les moyens de concevoir et d'exécuter, au Pérou, la plus spectaculaire prise d'otages jamais réalisée sur le continent américain ? Ces questions reviennent, jusqu'à l'obsession, dans la bouche des responsables péruviens. Elles résonnent comme l'aveu de la vanité de leur action, depuis six années, face à une violence politique qu'ils pensaient avoir éradiquée. Quel que soit son épilogue, la prise d'otages de Lima dissipe l'équivoque entretenue par le président péruvien, Alberto Fujimori, sur la réalité de son pays, tant à destination de ses concitoyens qu'à l'attention de la communauté internationale. Même si celle-ci n'a pas manqué d'adresser un soutien sans faille aux autorités de Lima, le coup de force du MRTA ruine pour longtemps l'image fallacieuse d'un Pérou paisible, sans risque et réconcilié après quinze années d'une violence politique qui a causé trente mille morts. Enfin, et surtout, l'action du MRTA qui détenait soixante-quatorze personnes en otage rappelle qu'aucune démocratie, même relative, ne peut s'accommoder durablement de législations d'exception, sans provoquer des réactions elles-mêmes exorbitantes. Sans que cela puisse justifier son action, le commando du MRTA s'est livré à une opération terroriste face à un Etat qui, lui-même, use de moyens terroristes pour " pacifier " le pays. Les succès militaires remportés, depuis six ans, contre le Sentier lumineux et le MRTA ont culminé avec l'arrestation, en 1992, des principaux chefs des deux mouvements armés. La lutte menée par les autorités a conduit à une baisse spectaculaire de la criminalité politique, qui est tombée de 3 500 victimes en 1990 à 550 en 1995. Cette " victoire militaire " explique pourquoi la population a soutenu dans sa grande majorité l'" autoputsch " d'août 1992, conduit par le président Fujimori, élu en 1990. Elle explique aussi sa réélection au premier tour de l'élection présidentielle de 1995. Pour autant, le président Fujimori ne s'est pas attaqué aux causes qui ont produit la " violence idéologique ". Aujourd'hui, les autorités de Lima se retrouvent otages dans une épreuve de force où le fonctionnement même de l'Etat est mis en cause. Les pleins pouvoirs accordés aux forces de l'ordre, la soumission totale du pouvoir judiciaire, l'existence de tribunaux d'exception avec des juges sans visage ne peuvent plus incarner la norme. Les dispositions exceptionnelles ont envoyé, selon les défenseurs des droits de l'homme, plus de 1 200 innocents, sur les 5 000 personnes regroupées dans les prisons de haute sécurité réservées aux " terroristes et aux traîtres à la patrie ". Plus de la moitié du pays demeure soumise à des régimes spéciaux d'ordre public, incompatibles avec une vie démocratique. Les traitements infligés aux prisonniers du MRTA, que dénoncent les membres du commando de l'ambassade du Japon à Lima, sont effectivement inhumains. Les récits d'anciens condamnés et des hommes qui s'efforcent d'améliorer les conditions carcérales confirment cette donnée, de même que l'usage général et permanent de la torture pendant les périodes de mise en accusation judiciaire. Les militants, et principalement les dirigeants du MRTA, subissent un isolement total; ils vivent 23 h 30 sur 24 dans une quasi-pénombre; souffrent de malnutrition et d'absence d'assistance médicale. Les cas de démence sont nombreux. " Inconcevale impunité " Ces traitements, qui relèvent d'un archarnement extrajudiciaire, n'ont fait que renforcer ceux qui les subissaient dans la conviction qu'ils n'avaient rien à attendre d'un Etat qui porte le mépris de la personne humaine à un tel degré. Pour les rares encore en liberté, elle a nourri la rage et la haine qui les habitent. Ces deux ingrédients suffisent, pour les membres du commando de Lima, à justifier leur action, ce dont témoigne de façon répétée le contenu des communiqués du MRTA qui fait de l'amélioration des conditions de détention une exigence à la cessation de son opération. Il convient d'ajouter à ce triste florilège les effets dévastateurs de l'amnistie accordée, en 1995, à tous les militaires et membres des forces de l'ordre impliqués depuis 1980 dans " la sale guerre " contre le terrorisme. Les dossiers des violations des droits de l'homme (environ 5 000 disparitions et exécutions) ont été classés sans suite, décision ressentie par tous les défenseurs des droits de l'homme comme une " inconcevable impunité propre à empêcher toute réconciliation dans le pays ". L'absolution accordée aux militaires et aux forces de l'ordre contient en germe, selon eux, le ferment d'actions radicales de la part de groupes subversifs qui ne sauraient se limiter au Sentier lumineux ou au MRTA. Le caractère inique de cette loi a été renforcé par l'adoption d'un autre texte interdisant au pouvoir judiciaire de se prononcer sur la recevabilité de plaintes déposées par des victimes d'exactions. Ainsi, les responsables des massacres de Barrios Altos (qui fit seize victimes en novembre 1991) ou de la Cantuta (en juillet 1992) perpétrés par des escadrons de la mort du groupe paramilitaire Colina ne seront jamais jugés ou punis. Et, à la différence du Guatemala, par exemple, où l'amnistie concerne tous les belligérants, celle décidée au Pérou ne concerne que les exactions commises par les responsables de l'Etat ou ses affidés. Développement inégal Chaque fois qu'ils sont interrogés sur ces points, Alberto Fujimori et les autorités de Lima se bornent à répondre qu'une telle vision du Pérou vient de personnes " mal informées, principalement à l'étranger ". La " pacification militaire " est devenue une fin qui justifie tous les moyens. L'autre conséquence immédiate de l'épreuve de force engagée par le MRTA est de mettre au rancart le stéréotype d'un pays, bon élève du Fonds monétaire international (FMI), engagé sur la voie de la prospérité économique. Le constat d'une population à la merci de l'arbitraire de l'Etat se double d'un autre, peu engageant, sur la situation économique, également dénoncée par le commando du MRTA. Depuis 1990, le gouvernement de M. Fujimori s'est engagé dans une politique économique libérale qui ressemble à une construction formelle dont continue à être exclue plus de la moitié de la population qui vit dans des conditions d'extrême pauvreté. Les bidonvilles de la périphérie ou enclavés dans la capitale, Lima, qui, avec 8 millions d'habitants, regroupe près du tiers de la population du pays, témoignent d'un développement inégal. Il trouve sa contrepartie dans un accroissement inexorable de la misère pour les plus démunis. Depuis 1990, les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus misérables. La réduction de l'hyperinflation (de 7 000 % en 1990 à 10 % en 1996) a été obtenue par une série de mesures dont la seule variable d'ajustement a été la précarité des plus modestes. En 1996, 60 % des actifs de la population péruvienne continuaient d'appartenir au secteur de l'économie informelle, sans aucune autre perspective que leur simple survie. La population aspire à une amélioration de son bien-être et son désenchantement réel s'exprimait par la chute d'environ 35 % de la popularité du chef de l'Etat au cours de l'année 1996. Le président Alberto Fujimori persiste à ne considérer la crise des otages de Lima que comme " un simple fait isolé qui n'a et n'aura aucune conséquence pour l'avenir du pays ". L'épreuve de force risque donc de se prolonger aussi longtemps que la réalité péruvienne. ALAIN ABELLARD Le Monde du 10 janvier 1997

« sur la recevabilité de plaintes déposées par des victimes d'exactions.

Ainsi, les responsables des massacres de Barrios Altos (quifit seize victimes en novembre 1991) ou de la Cantuta (en juillet 1992) perpétrés par des escadrons de la mort du groupeparamilitaire Colina ne seront jamais jugés ou punis.

Et, à la différence du Guatemala, par exemple, où l'amnistie concerne tousles belligérants, celle décidée au Pérou ne concerne que les exactions commises par les responsables de l'Etat ou ses affidés. Développement inégal Chaque fois qu'ils sont interrogés sur ces points, Alberto Fujimori et les autorités de Lima se bornent à répondre qu'une tellevision du Pérou vient de personnes " mal informées, principalement à l'étranger ".

La " pacification militaire " est devenue une finqui justifie tous les moyens. L'autre conséquence immédiate de l'épreuve de force engagée par le MRTA est de mettre au rancart le stéréotype d'un pays,bon élève du Fonds monétaire international (FMI), engagé sur la voie de la prospérité économique.

Le constat d'une population àla merci de l'arbitraire de l'Etat se double d'un autre, peu engageant, sur la situation économique, également dénoncée par lecommando du MRTA. Depuis 1990, le gouvernement de M.

Fujimori s'est engagé dans une politique économique libérale qui ressemble à uneconstruction formelle dont continue à être exclue plus de la moitié de la population qui vit dans des conditions d'extrême pauvreté.Les bidonvilles de la périphérie ou enclavés dans la capitale, Lima, qui, avec 8 millions d'habitants, regroupe près du tiers de lapopulation du pays, témoignent d'un développement inégal.

Il trouve sa contrepartie dans un accroissement inexorable de lamisère pour les plus démunis.

Depuis 1990, les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus misérables. La réduction de l'hyperinflation (de 7 000 % en 1990 à 10 % en 1996) a été obtenue par une série de mesures dont la seulevariable d'ajustement a été la précarité des plus modestes. En 1996, 60 % des actifs de la population péruvienne continuaient d'appartenir au secteur de l'économie informelle, sansaucune autre perspective que leur simple survie.

La population aspire à une amélioration de son bien-être et son désenchantementréel s'exprimait par la chute d'environ 35 % de la popularité du chef de l'Etat au cours de l'année 1996. Le président Alberto Fujimori persiste à ne considérer la crise des otages de Lima que comme " un simple fait isolé qui n'a etn'aura aucune conséquence pour l'avenir du pays ".

L'épreuve de force risque donc de se prolonger aussi longtemps que la réalitépéruvienne. ALAIN ABELLARD Le Monde du 10 janvier 1997. »

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