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Article de presse: Violence au Québec

Publié le 22/02/2012

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5 septembre 1970 - L'enlèvement à Montréal le 5 octobre 1973 de james Cross, diplomate britannique, par le Front de Libération du Québec (FLQ), et celui de Pierre Laporte, ministre québécois de la main-d'oeuvre et de l'immigration, dont on retrouvera le cadavre le 18 octobre, ouvrent une grave crise au Canada. Aux yeux de la plupart des Canadiens, le dénouement tragique paraissait inconcevable. Malgré la gravité des problèmes qui lui sont posés, le pays jouit d'un niveau de vie confortable, bénéficie de toutes les libertés garanties par un régime démocratique et, malgré l'argumentation spécieuse de certains séparatistes, ne saurait en aucune manière être comparé à un pays " colonisé ". Dans la stupeur et l'indignation qui les frappent, les Canadiens ne peuvent pourtant pas s'enfermer dans une morose et vaine méditation. Tout acte, y compris le plus répugnant, possède non certes sa justification, mais son explication. Trop longtemps les passions ont obscurci les analyses et retardé ainsi la recherche d'une solution. Bien des années avant le " Vive le Québec libre ! " du général de Gaulle, et avant même l'apparition du Front de libération du Québec, ce journal a décrit les injustices dont sont victimes les Canadiens francophones. Pendant des décennies, les Québécois ont refusé d'admettre qu'ils en étaient en grande partie responsables : les gouvernements conservateurs, cléricaux et autoritaires qu'ils se sont donnés avant et après la deuxième guerre mondiale ont freiné ou bloqué toute possibilité d'évolution dans un continent nord-américain en pleine expansion. Ottawa, pour sa part, a trop longtemps fait preuve d'incompréhension et d'indifférence à l'égard des aspirations des Québécois. Les rancoeurs et les frustrations se sont ainsi accumulées, jusqu'à devenir explosives. Des esprits enthousiastes ont cru trouver dans l'indépendance le remède à tous les maux dont souffre le Québec. Mais, si l'on exclut quelques vagues déclarations d'intention et de confuses allusions à un " socialisme " mal défini, ils ont présenté leur programme en termes politiques et sentimentaux sans préciser leurs objectifs et leurs moyens économiques, alors que l'océan anglo-saxon qui les entoure risque de les submerger. L'exaltation des passions nationalistes a naturellement fait le lit du séparatisme, qui lui-même a débouché sur le terrorisme et l'assassinat. Par un paradoxe plus apparent que réel, la violence fait irruption sur la scène canadienne en une époque où, précisément, s'ouvrent de nouveaux espoirs. Les minorités conscientes d'être opprimées passent rarement à l'action directe lorsque les contrôles qui pèsent sur elles les paralysent, étouffent leurs velléités de secouer le carcan. Québec ne s'insurgeait pas lorsque Maurice Duplessis régnait par la corruption et par la force. Mais les premiers progrès enregistrés depuis dix ans grâce au gouvernement de M. Jean Lesage, puis le vent nouveau qui souffle à Ottawa grâce à M. Pierre Trudeau, ont exacerbé les désirs trop longtemps refoulés, nourri des espoirs plus ambitieux. Une fois de plus, les faits sont en retard sur l'imagination. Les lenteurs du processus démocratique, la résistance des faits économiques, la confusion des idées, ont inspiré des sentiments de frustration, et des esprits survoltés entendent aujourd'hui servir de légitimes aspirations par des moyens qui font horreur et que chacun condamne. Mais au-delà du deuil, subsistent les problèmes, qu'il faudra bien résoudre. Malgré les encouragements qu'ils ont pu croire trouver dans tel ou tel pays étrangers, les terroristes du FLQ savent bien, eux, qu'ils ne sont pas les instruments d'un quelconque complot international, et que la source de leur exaspération est au Canada même. En relançant l'économie du Québec, en rénovant les structures, les responsables provinciaux et fédéraux ont reconnu le bien-fondé de certains griefs. Il ne suffit pas de pourchasser les assassins, il faut attaquer le mal à la racine. Mais n'est-il pas déjà bien tard ? Le Monde du 20 octobre 1970

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