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Article de presse: Quatre caractéristiques de la crise

Publié le 17/01/2022

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16 décembre 1980 - Près de sept ans après le début de la crise, Gilbert Mathieu analysait, en se servant des chiffres de l'époque, les traits principaux du phénomène mondial. Où en est-on exactement? Quels faits majeurs caractérisent cette crise sans précédent depuis la guerre? Quatre traits principaux la situent dans le temps et dans l'espace, lui conférant son originalité par rapport aux dépressions de naguère. La durée de la crise, d'abord. Commencée en 1974, elle se poursuit, et tout donne à penser qu'on ne verra pas rapidement la fin des basses eaux. La croissance moyenne des pays occidentaux, qui avait été en moyenne de 5,5 % pendant les quinze années précédant 1974, n'a pas dépassé par la suite 2,5 % (et même 2,3 % en comptant l'année en cours) : moins de la moitié; La traduction humaine de cette situation a été l'aggravation prodigieuse du chômage. Dans l'ensemble des pays de l'OCDE, il concerne désormais plus de dix-sept millions de salariés. Fait remarquable, cette multiplication des chômeurs n'a pas entraîné le ralentissement de l'inflation, habituel en pareille circonstance. La " loi de Philips " -du nom de cet économiste qui avait cru pouvoir la tirer de l'examen d'un siècle d'histoire de la Grande-Bretagne-n'a donc pas joué; La hausse des prix a, en effet, persisté malgré la crise et s'est même aggravée. De 5 % par an en moyenne dans les pays occidentaux, elle est passée à plus de 10 %. Son niveau varie, certes, du simple au triple selon les nations (moins de 6 % en RFA, plus de 20 % en Italie, presque autant en Grande-Bretagne), mais partout il s'élève. Cette " stagflation " (simultanéité de la stagnation et de l'inflation) caractérise, avec la durée exceptionnelle de la crise, la dépression que connaît aujourd'hui l'Occident. L'enchérissement du pétrole brut, presque dix fois plus coûteux aujourd'hui qu'avant 1973, n'y a pas peu contribué. On estime à 3 % de croissance en deux étapes (1974-1975, 1979-1980), la perte moyenne de croissance des produits nationaux entraînée par le prélèvement pétrolier supplémentaire. On peut de même évaluer à 3 % en moyenne la hausse additionnelle des prix de détail provoquée en 1974 par le quadruplement du prix du brut, le nouveau doublement opéré depuis un an ayant un effet à peine moindre. Ces chiffres montrent le poids de l' " affaire pétrolière ", mais ils montrent aussi que la crise des économies occidentales aurait été grave même sans l'envolée du pétrole, qui l'a, bien entendu, amplifiée; Dernière caractéristique majeure de cette crise, la détérioration profonde des paiements extérieurs. La ponction opérée par l'enchérissement du brut a tout à la fois procuré des excédents massifs aux pays de l'OPEP (plus de 200 milliards de dollars au cours des trois dernières années et encore quelque 120 milliards en 1980, prévoit-on) et précipité dans le déficit les pays acheteurs. Parmi ces derniers, ceux qui pouvaient vendre aux détenteurs de l' " or noir " de l'armement, des biens d'équipement ou des produits de consommation-les uns et les autres de plus en plus chers chaque année-ont réussi, pour la plupart, à combler ce déséquilibre : la RFA et le Japon, très vite; la France, beaucoup moins. Mais il a suffi que le brut recommence à augmenter cette année pour que tous se retrouvent en déficit. La pire situation a été, bien entendu, celle des pays du tiers-monde non possesseurs de pétrole, qui ont subi de plein fouet un renchérissement de leurs approvisionnements, auquel ils étaient bien incapables, à quelques exceptions près, de répondre. D'où un déficit colossal de leur balance commerciale : de l'ordre de 200 milliards de dollars en six ans, ce qui les a obligés à s'endetter encore plus. Cette inadaptation des échanges et des paiements a provoqué de vastes mouvements de capitaux, qu'a amplifiés l'exploitation par les Etats-Unis de l'absence de règles monétaires internationales précises. La marée des eurodollars, suivie par celle des pétrodollars-en partie seulement " recyclés ", c'est-à-dire utilisés à des achats, à des investissements et à des prêts, mais de moins en moins bien d'ailleurs,-a contrarié les politiques nationales de maîtrise du crédit, stimulé l'inflation internationale (évitant, il est vrai, du même coup une dépression encore plus forte) et provoqué une hausse énorme des taux d'intérêt. L'investissement privé, déjà menacé par la stagnation, n'avait pas besoin de ce nouveau coup pour s'étioler. GILBERT MATHIEU Le Monde du 15 mai 1980

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